Le Trésor américain vient de conclure son enquête sur André Wameso, l’un des plus proches collaborateurs du président congolais Félix Tshisekedi. Si rien n’est encore décidé à Washington, son éventuel placement sous sanctions est susceptible de fragiliser le pouvoir alors que s’approche l’échéance électorale prévue fin 2023.
C’est le dossier le plus sensible des relations entre les Etats-Unis et la RDC. Il se trouve désormais entre les mains du secrétaire d’Etat américain Antony Blinken et de son homologue au Trésor, Janet Yellen. Tous deux doivent statuer sur l’enquête de l’Office of Foreign Assets Control (OFAC, qui dépend du Trésor) concernant André Wameso, le directeur de cabinet adjoint du président Félix Tshisekedi, chargé des questions économiques et financières.
Interrogées, plusieurs sources à Washington ont confirmé à Africa Intelligence que les fonctionnaires de l’OFAC viennent de boucler leurs investigations sur ce dossier, qui attend désormais l’avis des responsables politiques. Antony Blinken et Janet Yellen pourraient toutefois prendre leur temps, tout comme ne pas donner suite au placement sur la liste des sanctions américaines d’une personnalité de premier plan du pouvoir congolais. Le risque est de fragiliser le régime à un peu plus d’un an de la prochaine échéance électorale. Si elles restent à l’état de menace, l’agitation du spectre des sanctions constitue néanmoins un moyen de pression contre Kinshasa.
Le deal Gertler
Comme l’avait révélé Africa Intelligence , André Wameso – tout comme d’autres personnalités en fonction au cabinet du chef de l’Etat, ainsi qu’au gouvernement – s’est retrouvé dans le viseur de l’OFAC il y a plusieurs mois déjà. Ces investigations sont directement liées à son implication dans l’accord scellé en février avec le milliardaire israélien Dan Gertler. Ce dernier est sous sanctions américaines depuis 2017 et soupçonné d’avoir cherché à les contourner ces dernières années.
Banquier de formation ayant réalisé la plus grande partie de sa carrière à Bruxelles avant d’exercer à Kinshasa, André Wameso est perçu par Washington comme le principal maître d’œuvre de ce deal. Le directeur de cabinet adjoint a remis le 25 mai dernier au département du Trésor une copie de l’accord. Soit trois mois après la signature, malgré les demandes insistantes formulées par l’ambassadeur d’alors en RDC, Mike Hammer.
Parmi les causes de l’irritation américaine figure d’abord l’engagement de l’Etat congolais à oeuvrer en faveur de la levée des sanctions visant Gertler. A cela s’ajoute le fait que certaines clauses du deal prévoient le remboursement par l’Etat congolais des frais avancés par les sociétés sous contrôle de l’homme d’affaires israélien pour valoriser ses actifs pétroliers et miniers . La somme de 270 millions de dollars est avancée par nos sources.
Administration Tshisekedi sous pression
Malgré la pression américaine, le président Tshisekedi et certains de ses proches collaborateurs ont entretenu jusqu’à ce jour une relation risquée avec Dan Gertler . L’administration de Joe Biden n’a pas manqué de relever l’entretien – censé rester secret – entre l’homme d’affaires et le chef de l’Etat. L’audience s’est tenue début août à Kinshasa , la veille de la visite officielle de Blinken en RDC. Dans la foulée de ce déplacement, une poignée de partenaires occidentaux ont été informés de l’éventualité de sanctions à l’encontre de personnalités proches du chef de l’Etat. Tshisekedi a toutefois maintenu des contacts avec plusieurs émissaires dépêchés par Gertler ces derniers mois.
Au sein du cabinet présidentiel, Wameso est, pour le moment, la première personnalité « sanctionnable ». Contactés, l’OFAC et le département d’Etat n’ont pas souhaité réagir de manière officielle. Les personnalités ciblées ne sont pas informés du processus en cours dont l’issue reste à la discrétion de Blinken et Yellen, et n’ont donc pas la possibilité de se défendre. Wameso n’ignore toutefois pas qu’il se trouve dans le viseur de l’OFAC. Il s’en est d’ailleurs ouvert tout début septembre, lors d’un passage à Bruxelles, auprès de l’un de ses amis de longue date : le diplomate belge à la retraite Renier Nijskens, qui fut envoyé spécial du royaume pour la région des Grands Lacs (2016-2019). Auprès d’Africa Intelligence, ce dernier n’a pas souhaité commenter ce dossier délicat.
De son côté, Wameso reconnaît sans ambages l’existence de cette procédure qu’il pense « normale pour toute personne ayant été en relation avec un sanctionné ». Il assure du reste être en contact permanent avec ses interlocuteurs américains, notamment sur le dossier de Dan Gertler qu’il a géré sur instruction du président Tshisekedi auquel il rend compte. Selon lui, l’Etat congolais sort gagnant et les actifs pétroliers comme miniers, jusque-là bloqués, peuvent à nouveau être introduits sur le marché.
Olivier Liffran, Joan Tilouine pour
Africa Intelligence