« La Monusco doit partir » : Comment comprendre que ces rebelles sont installés et opèrent à seulement 2 km de leur base ?

Dans l’est de la RDC, la colère contre la Monusco ne faiblit pas.

Depuis les manifestations meurtrières de cet été, une partie de la population congolaise demande le départ anticipé de la mission de maintien de la paix de l’ONU.

L’arrivée d’une poignée de Jeep blanches siglées « UN » fait bondir deux hommes adossés à l’unique échoppe du village de Kiliba. Depuis quelques mois, les casques bleus pakistanais ne sont pas les bienvenus dans ce coin du Sud-Kivu, une province de l’est de la République démocratique du Congo (RDC). On les somme de quitter les lieux en agitant les bras. Les mots fusent en swahili, la langue parlée par les communautés locales.

De l’autre côté du carrefour, les soldats de la patrouille, équipés de gilets pare-balles et de mitraillettes, sont muets face aux villageois qui les dévisagent. Aucun interprète ne les accompagne. Mis à part quelques officiers qui peuvent s’exprimer en anglais, la plupart de ces hommes ne parlent que l’ourdou, langue nationale du Pakistan. Un fossé linguistique qui n’aide pas dans un contexte de défiance croissante vis-à-vis des militaires de la Mission de l’ONU pour la stabilisation en RDC (Monusco).

Une partie des habitants de l’est du pays leur reprochent leur inefficacité face à la multitude de bandes armées qui déstabilisent la région. Le contingent pakistanais, environ 3 000 hommes présents au Sud-Kivu depuis plus de dix ans, vient lui-même d’en faire l’amère expérience. L’un des leurs a été tué la nuit du 30 septembre lors d’une attaque menée, selon l’armée congolaise, par les Twirwaneho, une milice locale, contre le camp de Minembwe.

Depuis l’arrivée de la force onusienne, en 1999, le nombre de groupes armés n’a pas diminué. Le Kivu Security Tracker, une organisation qui recense les violences dans la zone, en comptait plus de 120 il y a deux ans.

« Ce sont les groupes armés qui font la loi »

« Si les casques bleus ne sont pas capables de les mettre hors d’état de nuire, alors ils doivent partir », lance André Byadunia, l’un des instigateurs de la journée « ville morte » du 4 octobre à Uvira, la deuxième ville du Sud-Kivu, située au bord du lac Tanganyika. Une initiative visant à dénoncer les « insuffisances » de la Monusco et qui s’ajoute à une série d’actions citoyennes et de manifestations organisées ces derniers mois contre les « soldats de la paix ».

Depuis fin juillet, au moins 36 personnes sont mortes au cours de manifestations contre la Monusco

Fin juillet, quatre personnes sont mortes électrocutées lors d’un rassemblement spontané devant les installations de la Monusco à Uvira : des tirs de sommation censés disperser les manifestants auraient fait chuter des fils électriques. « Ici, nous pouvons encore circuler, indique cependant un agent civil de l’ONU qui souhaite rester anonyme. Ailleurs, certains mouvements des Nations unies sont en stand-by. » Dans la province voisine du Nord-Kivu, plusieurs convois ont été attaqués et des bases ont été pillées. Au total, depuis fin juillet, au moins 36 personnes sont mortes et 170 autres blessées au cours de manifestations contre la Monusco.

Patient Rafiki n’a participé à aucune de ces actions. Mais ce natif de Baraka, une cité isolée du Sud-Kivu, n’en a pas moins des griefs qu’il est venu présenter lors d’une réunion organisée fin septembre par la section « relations publiques » de la Monusco. Celle-ci a convié des représentants des associations citoyennes et des journalistes locaux dans sa base de Baraka pour « renouer le dialogue ».

Patient Rafiki vient tout juste de rentrer chez lui. Quelques semaines plus tôt, ce responsable associatif a fui après avoir reçu des menaces de mort de la part d’un « groupuscule » qui avait assassiné deux membres de son organisation de défense de la jeunesse. « Ils ont aussi kidnappé des habitants et volé du bétail. D’autres ont même construit un cachot et emprisonnent des gens sans raison. Dans notre zone, ce sont les groupes armés qui font la loi », déplore-t-il. Avant de s’emporter : « Comment comprendre que ces bandits sont installés et opèrent à seulement 2 km de cette base ? » Les 14 000 soldats de la mission présents en RDC ont pourtant pour mandat de « protéger les citoyens », rappelle le jeune homme tiré à quatre épingles.

Assise en rond dans la salle de réunion aménagée dans un conteneur, la dizaine d’invités monopolise la parole. Les occasions d’échanger sont rares et les doléances nombreuses. « Les gens sont en colère parce qu’ils veulent qu’on les défende », reconnaît un agent onusien. Pourtant, s’agace-t-il, « c’est la force qui ne fait pas bien son travail. Pas nous, les civils ! Nous développons énormément de choses pour les communautés. »

Des rebelles mieux équipés que les casques bleus

 Outre les militaires et les policiers, la Monusco compte quelque 3 000 employés civils et utilise une partie de son budget annuel de plus d’un milliard de dollars pour développer des programmes de réintégration d’anciens combattants. Entre 2021 et 2022, 34 projets dits « à impact rapide » ont également été lancés, tels que la construction de bâtiments publics, d’infrastructures dans les prisons ou la réhabilitation de chaussées.

La rénovation de la salle de conférences de la mairie d’Uvira en est un. Devant la façade fraîchement repeinte en blanc et bleu, les autorités locales se prennent en photo avec les personnels onusiens qui ont financé les travaux. Mais le ton change lorsque le maire les reçoit dans son bureau. « Les gens ne voient que les belles voitures de l’ONU, fustige Kiza Muhato. C’est comme si la Monusco était devenue un observateur, alors qu’en 2013 les casques bleus agissaient, notamment contre les rebelles du M23. »

 Le Mouvement du 23-Mars (M23), vaincu il y a dix ans, a repris les armes contre l’armée congolaise depuis fin 2021. Ces combattants sont « mieux équipés que la Monusco », estimait le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, lors d’une interview donnée le 20 septembre à RFI et France 24. Selon un rapport du groupe d’experts de l’ONU, le Rwanda voisin a apporté son soutien au M23. « Dans ces conditions, ramener la paix est impossible », a affirmé M. Guterres lors de cet entretien.

A Uvira, cet aveu d’impuissance a ravivé la colère des habitants, épuisés par trente ans de guerre. Les appels à un départ anticipé de la Monusco – prévu pour l’heure à horizon 2024 – se multiplient au sein de la société civile. En attendant, dans le centre-ville d’Uvira, les casques bleus ont renforcé les tôles et les barbelés autour de leur base, que les manifestants avaient en partie détruits en juillet.

Des incertitudes sur le calendrier de départ

 Le retrait « progressif et échelonné » à horizon 2024 de la Monusco a été acté en 2020 dans une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU. Plusieurs bureaux des provinces du Kasaï et du Kasaï-Central ont déjà fermé, ainsi que, depuis juin, ceux du Tanganyika. Aujourd’hui, les actions de la mission sont concentrées dans trois provinces de l’est de la RDC, l’Ituri, le Nord-Kivu et le Sud-Kivu, là où « plus de 90 % des violations et atteintes aux droits humains se sont produites », selon un rapport des Nations unies de septembre 2021.

Pour la Monusco, le départ d’ici à 2024 reste un calendrier indicatif. Des conditions minimales pour le retrait des casques bleus ont été décidées, comme l’organisation d’une élection présidentielle « crédible, transparente, inclusive et pacifique » en décembre 2023, selon le délai constitutionnel, ou encore le rétablissement de l’autorité de l’Etat dans les zones de conflit.

En juillet, de violentes manifestations, où au moins 36 personnes ont péri, ainsi que la multiplication des actions « anti-Monusco » dans tout le pays, ont poussé le gouvernement congolais à demander une « réévaluation » de ce plan. « La mission devra partir avant le délai prévu. Après l’élection de 2023, il n’y aura plus de raison qu’elle reste », a affirmé le chef de l’Etat, Félix Tshisekedi, dans une interview à RFI et France 24 le 23 septembre.

Mais, pour l’heure, rien n’a été convenu. « Ces sentiments [anti-Monusco] sont plus forts dans certains endroits que d’autres. Nous attendons les discussions avec les autorités pour la suite », précise Cécilia Piazza, cheffe de bureau de la Monusco au Sud-Kivu et au Maniema.

Coralie Pierret pour le Monde /Sud-Kivu

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