Alors que la tenue de la présidentielle en RDC, prévue en décembre, est sujette à caution, les conseillers officiels et de l’ombre du pouvoir congolais s’activent. La gestion d’une potentielle crise politique se conjugue à un travail électoral à même de sécuriser une victoire du président sortant, Félix Tshisekedi.
En lice pour briguer un second mandat, le chef de l’Etat congolais Félix Tshisekedi n’a pas encore formellement constitué sa task force pour cette année électorale. Alors que la présidentielle, dont la tenue en décembre reste incertaine, la stratégie du pouvoir est encore peu structurée. Elle s’articule autour de réseaux d’influence à la fois cloisonnés et entremêlés, évoluant dans le premier cercle du président. Après avoir recomposé son cabinet en janvier, Félix Tshisekedi a tardivement remanié son gouvernement, deux mois plus tard. A Kinshasa, une poignée de fidèles en fonction ou opérant dans l’ombre se mobilise pour esquisser une feuille de route.
Le temps des juristes
De son petit bureau encombré de dossiers, au siège du Journal officiel, dont il est directeur général depuis novembre 2019, Guy Kabombo Muadiamvita tente de discipliner les réflexions. Autrefois proche d’Etienne Tshisekedi, cet infirmier et juriste de formation originaire de Tshilenge (Kasaï oriental, la province dont est issu le président) passe au crible les textes de loi et, en toute discrétion, conseille le chef de l’Etat en matière de politique intérieure et de droit. Son influence et son entregent dans les cénacles de la magistrature lui valent quelques inimitiés au sein de l’appareil d’Etat, où on le soupçonne d’interférences dans des affaires judiciaires sensibles.
Félix Tshisekedi, qui le considère comme un homme de confiance, apprécie son franc-parler, mais aussi son habileté à négocier avec les formations politiques de l’Union sacrée, sa coalition. Les connexions judiciaires de Muadiamvita pourraient être utiles dans l’hypothèse de plus en plus avancée dans les cercles du pouvoir d’un report du scrutin de plusieurs mois.
Ce dernier cultive aussi des liens avec la direction de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, le parti présidentiel), dont il est un militant fidèle depuis la lutte contre Mobutu Sese Seko (1965-1997). A commencer par son secrétaire général, Augustin Kabuya qui, ces derniers mois, s’entretient régulièrement avec le président.
L’avocat de profession Peter Kazadi a également l’oreille attentive du chef de l’Etat, dont il a été le conseiller juridique pour l’élaboration de sa stratégie politique. Son rapport de confiance avec Félix Tshisekedi étant resté constant depuis le début de la mandature, il a été nommé vice-premier ministre chargé de l’intérieur lors du remaniement. Un maroquin particulièrement stratégique alors que des craintes se font jour sur d’éventuels troubles lors de la période électorale.
En prévision de débats constitutionnels, Félix Tshisekedi s’est adjoint les compétences de spécialistes du droit et des campagnes. C’est ainsi que l’avocat Jacquemain Shabani, cadre historique de l’UDPS, dont il fut secrétaire général, a été nommé en décembre dernier au poste de conseiller principal du chef de l’Etat chargé du collège politique et du processus électoral. Il connaît bien les arcanes de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni), une institution au sein de laquelle il a autrefois représenté l’UDPS et où on lui prête des relais.
Depuis son arrivée à la tête de la centrale électorale, Denis Kadima tente de faire montre de son indépendance à l’égard de l’exécutif congolais. Ce dernier peut toutefois s’appuyer sur un ex-conseiller de Tshisekedi, Mabiku Tokotani Thotho, désormais secrétaire exécutif de la Ceni. Il est réputé pour informer la présidence des activités et de la stratégie de la centrale électorale.
La loi avec la foi
Outre Shabani, Kazadi et Muadiamvita, le président consulte également d’autres juristes, tels qu’Ivon Mingashang, dont il avait soutenu l’élection, fin 2021, à la Commission du droit international des Nations unies. Il est également chef de département de droit international public à l’Université de Kinshasa (Unikin), où s’est formé le directeur de cabinet adjoint du président, Olivier Mondonge, chargé du progrès social. Le chef de l’Etat écoute avec attention les analyses de ce dernier, qu’il considère comme modérées. Il lui a aussi confié l’organisation de son déplacement, en décembre dernier, dans la province de l’Equateur, d’où est originaire Mondonge.
Entre la politique, le droit et la foi, Félix Tshisekedi entretient également son propre réseau d’hommes de l’ombre. Parmi eux, le pasteur Olivier Tshilumba Chekinah, qui n’apparaît dans aucun organigramme. Si l’intéressé se défend de tout rôle de conseiller occulte, il jouit de longue date d’une relation privilégiée avec le chef de l’Etat, avec qui il échange régulièrement sur la situation du pays. Cette proximité suscite rumeurs et jalousies au sommet de l’Etat, où on lui prête un ascendant sur les nominations des uns et des autres. Militant historique de l’UDPS – il s’est exilé au Canada pour fuir le régime de Mobutu -, Olivier Chekinah connaît personnellement le président depuis 2013.
Alors que Tshisekedi était encore opposant, le pasteur l’a introduit auprès de plusieurs ecclésiastiques, notamment l’archevêque ghanéen Nicholas Duncan-Williams, qui avait prédit sa victoire fin 2018 et qui continue de prier pour Tshisekedi. Il a aussi facilité, au même moment, sa rencontre avec le chef de l’Etat Nana Akufo-Addo. En plus de ses activités religieuses, Chekinah est aussi un homme d’affaires qui œuvre, à travers sa société OL Consult, à faire venir des investisseurs en RDC.
A son actif, on retrouve le géant minier australien Fortescue Metals Group (FMG), qui s’est positionné sur le projet de mégabarrages du Grand Inga , ou encore Xcalibur Multiphysics, qui assure la cartographie minière de la RDC pour le compte du ministère des mines.
Un groupe à façonner
Le chef de l’Etat n’a pas encore désigné les membres de sa task force pour l’échéance électorale. Au mitan de l’année 2022, un groupe informel s’était constitué pour penser la mise en récit du bilan du premier mandat et des dossiers stratégiques, dont celui de l’année électorale.
Guy Kabombo Muadiamvita a participé à quelques-unes de ces réunions confidentielles aux côtés du ministre des finances, Nicolas Kazadi, du patron de la Direction générale des migrations (DGM), Roland Kashwantale Chihoza, du chargé de mission du président peu à peu tombé en disgrâce, Pacifique Kahasha, et de son conseiller privé d’alors, Fortunat Biselele, dit « Bifort ». Avant que ce dernier soit placé en détention, en janvier. Il est inculpé notamment de trahison et d’atteinte à la sécurité de l’Etat de par ses liens supposés avec Kigali .
Pour lui succéder, Tshisekedi a désigné l’artisan de son rapprochement avec les Emirats arabes unis, Kahumbu Mandungu Bula, dit Kao. Ce disciple de François Beya Kasongo, ancien conseiller en sécurité du président poursuivi par la justice congolaise et actuellement en France, est parvenu à nouer une relation privilégiée avec Mohammed bin Zayed al-Nahyan (MbZ).
Au cœur de la présidence, Kao orchestre les deals miniers avec Abu Dhabi et la coopération entre les deux Etats. Il s’invite aussi sur le dossier sécuritaire de l’est de la RDC, où les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) affrontent, depuis mars 2022, les rebelles du M23, avec l’aide de groupes armés locaux et d’anciens de la Légion. Kao va devoir s’accorder avec Jean-Pierre Bemba, nommé le 23 mars vice-premier ministre chargé de la défense, pour arracher des victoires sur le terrain avant d’entamer de probables négociations avec le M23 d’une part et le Rwanda et son président Paul Kagame d’autre part.
Sama Lukonde multiplie les sondages
L’image de Félix Tshisekedi et la tenue des élections dépendent en partie de l’amélioration sécuritaire dans les provinces orientales, les plus peuplées du pays, et d’une reconquête du territoire occupé par le M23. Sur le plan politique, la nomination par Félix Tshisekedi de son ancien directeur de cabinet, Vital Kamerhe, comme ministre de l’économie, permet de neutraliser son éventuel pouvoir de nuisance et d’user de son influence dans son fief du Sud-Kivu, qu’il se dispute avec le président du Sénat, Modeste Bahati Lukwebo.
Dans le même temps, la nomination de l’ancien chef rebelle puis de la diplomatie congolaise (février 2007-octobre 2008), Antipas Mbusa Nyamwisi, ministre d’Etat chargé de l’intégration régionale, permet de sécuriser une partie des votes dans le septentrion du Nord-Kivu et en Ituri, mais aussi de réactiver ses réseaux anciens avec l’Ouganda de Yoweri Museveni.
A défaut de stratégie électorale centralisée, conseillers et ministres s’activent pour l’instant dans leurs zones respectives. Le premier ministre, Sama Lukonde Kyenge, a la tâche la plus difficile dans sa région d’origine du Katanga, où l’ancien gouverneur et candidat à la présidentielle, Moïse Katumbi, ainsi que l’ex-président Joseph Kabila (2001-2019), restent populaires. Dans tout le pays, le chef de gouvernement orchestre un ballet de sondeurs, à l’instar du directeur de cabinet du chef de l’Etat, Guylain Nyembo. Tous deux disposent de fonds à cet effet et engrangent des études et prédictions électorales.
Alors que les ralliements de figures de l’ancien régime de Joseph Kabila se sont multipliés au fil de ce premier mandat, l’un de leurs stratèges, le Libanais Kamal Al Feghali, a également changé de camp. Cet ancien expert électoral de la mission des Nations unies en RDC (Monuc, devenue Monusco) a ensuite mis sa connaissance réputée fine des territoires et de leurs subtilités électorales au service du Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) de Joseph Kabila, ce qui lui avait valu d’être exposé en 2018 à des sanctions américaines et européennes.
Arrêté début mars par l’Agence nationale de renseignement (ANR), où il a été retenu deux jours, il confirme œuvrer désormais pour le compte de la présidence de Félix Tshisekedi.
Africa Intelligence