Paradoxalement, c’est un président originaire du Kasaï, au centre du pays, qui donne aujourd’hui plus de gages aux voisins de l’Est que le Katangais Joseph Kabila, qui avait été prétendument qualifié de Rwandais…
Un an après avoir conquis sa nouvelle majorité, Tshisekedi patine toujours.
Il y a un an, la majorité parlementaire jusque-là détenue par le parti de Joseph Kabila basculait au profit de l’« Union sacrée » du président Félix Tshisekedi. Mais si les promesses et les engagements se sont multipliés, le bilan reste mitigé.
Les voitures du convoi présidentiel embourbées sur une route du Kasaï, transformée en ravine par les pluies diluviennes et l’absence d’entretien… Si la photo a fait le tour des réseaux sociaux, ce n’est pas seulement parce qu’elle illustre le dénuement de l’intérieur du pays, c’est aussi parce qu’elle symbolise le pouvoir de Félix Tshisekedi une année après le « grand remplacement ».
La majorité jusque-là détenue par Joseph Kabila et son parti le Front commun pour le Congo (FCC) avait basculé au profit de l’« Union sacrée » de la nation, les élus ayant changé de camp après avoir monnayé leur revirement à coups de billets verts et de 600 jeeps généreusement distribuées. L’argument brandi à l’époque était que la majorité jusque-là contrôlée par le président sortant bloquait toutes les réformes que le nouveau pouvoir souhaitait mettre en œuvre.
Un an après, le constat est ambigu. Sur le plan extérieur, Félix Tshisekedi a multiplié les promesses et les engagements et son porte-parole assure que, grâce à ses multiples voyages et à la présidence de l’Union africaine, « il a remis le Congo sur la carte du monde ». Il a rétabli avec la Belgique des relations qui étaient exécrables du temps de Kabila, s’est fait photographier aux côtés de Joe Biden, s’est recueilli sur le tombeau du Christ à Jérusalem au grand dam des Palestiniens, s’est employé à réduire le poids de la Chine et à faire reculer les ambitions économiques de Pékin…
Libre circulation de troupes étrangères
Mais le coût du cabinet du chef de l’État – plus de 1.000 personnes très bien payées – a fait exploser le budget de la présidence qui accuse un dépassement de… 479 %. Sur le plan extérieur toujours, le président s’est employé à normaliser les relations avec les pays de la région, concluant de nombreux accords de coopération économique et surtout militaire, applaudis de l’extérieur mais sévèrement jugés par l’opinion nationale.
Les souverainistes relèvent que l’adhésion à la zone africaine de libre-échange se traduit surtout, pour la RDC, par la fourniture de matières premières brutes qui seront transformées hors des frontières (l’or en Ouganda et au Rwanda, le coltan au Rwanda, le cuivre en Zambie, le cobalt en Chine après avoir transité par la Tanzanie et l’Afrique du Sud…). En outre, les accords militaires se résument souvent à une sorte de libre circulation de troupes étrangères sur le territoire national, moins pour rétablir la paix au bénéfice des Congolais que pour traquer divers groupes d’opposants menaçant les pays voisins et exploitant les richesses locales.
Les zones frontalières sont ainsi devenues des terrains d’opération pour des forces étrangères antagonistes : des militaires burundais traquent, dans le Sud-Kivu, des groupes d’opposants eux-mêmes soutenus par Kigali pour affaiblir le régime de Bujumbura tandis que des opposants rwandais du RNC (Congrès national rwandais) dirigés par le général Kayumba Nyamwasa tentent de recruter dans les hauts plateaux au-dessus d’Uvira, ce qui entraîne la destruction des villages et du bétail de Tutsis congolais Banyamulenge.
La Monusco mise à l’écart
Au Nord-Kivu, l’état de siège décrété voici sept mois n’a pas empêché les massacres de se poursuivre : malgré la suspension des administrations civiles et le quartier libre donné aux militaires, 1.300 personnes ont péri sous les coups des ADF, ces milices islamistes affirmant s’opposer au président ougandais Museveni et relever de l’internationale djihadiste. La Monusco, dont l’impuissance a été avérée après vingt ans de présence en RDC, a été mise à l’écart des opérations conjointes désormais menées par une armée congolaise dont les effectifs avaient été surestimés et par l’armée ougandaise qui a envoyé ses meilleurs détachements dans l’Ituri. Ce qui n’a pas empêché un groupe terroriste de mener une attaque suicide à Beni le jour de Noël.
Quant à la présence rwandaise, elle est plus mal vécue encore par les populations locales : elles ont assisté, voici quelques semaines, à une « promenade » de l’armée de Kagame au nord de Goma, tout le système de télécommunications congolais est désormais contrôlé au départ de Kigali, les avions Rwandair opèrent (avec succès et ponctualité) sur l’ensemble du territoire national et, pour s’être opposé à une tentative de mainmise rwandaise sur les réseaux d’information, le directeur de la radio télévision congolaise Freddy Mulumba a été sèchement licencié.
Relevant que les provinces placées sous état de siège sont dirigées par des généraux issus des anciennes rébellions naguère soutenues par le Rwanda et l’Ouganda, des observateurs militaires comme Jean-Jacques Wondo se demandent « s’il ne s’agit pas de replacer la RDC sous l’ancien ordre politique régional qui a prévalu de 1997 à 2003 », une époque où les pays d’Afrique de l’Est (Rwanda, Ouganda, Kenya) avaient soutenu les mouvements rebelles pour tenter de faire basculer vers l’Est le géant congolais.
Paradoxalement, c’est un président originaire du Kasaï, au centre du pays, qui donne aujourd’hui plus de gages aux voisins de l’Est que le Katangais Joseph Kabila, qui avait été prétendument qualifié de Rwandais…
Collette Braeckman/le Soir