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Immédiatement après le coup d'État, Mobutu s'autoproclame président. En quelques années, Il vide de son contenu la constitution républicaine et crée une véritable dictature. Il se fait accorder ou s'octroie des pouvoirs exceptionnels : il cumule les fonctions de premier ministre, de chef de l'armée et de législateur. Il nomme les ministres. Le MPR (Mouvement populaire de la Révolution) est le parti-État auquel toute la population doit adhérer. Le régime de Mobutu est fondé sur l’autorité et le nationalisme, qui sont les secrets de sa longévité. D’entrée, Mobutu se présente comme le libérateur des Noirs, en nationalisant les mines (1966) et déboulonnant les statues coloniales dans la capitale Léopoldville rebaptisée Kinshasa la même année. Les Congolais qui viennent de sortir de l’époque coloniale sont alors très sensibles à cette propagande.

La police politique recherche, intimide ou torturent les opposants politiques. Suite à des voyages en Chine et en Corée du Nord, Mobutu met en place le culte de sa personnalité. Son portrait apparait à la télévision juste avant le journal du soir. Des panneaux dans les rues vantent sa politique ; des chants célèbrent ses vertus11.

Zaïrianisation et recours à l'authenticité

Dès 1971, Mobutu prend une série de mesures pour se détacher de tout ce qui peut rappeler l'Occident. Le pays est renommé « République du Zaïre ». Les Congolais doivent adopter des noms africains (suppression des prénoms occidentaux, et rajout d'un « postnom ») à l'image de Mobutu qui se fait appeler Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu wa Zabanga. La tenue vestimentaire abacost est imposée aux hommes en lieu et place du costume-cravate. Une nouvelle monnaie - le zaïre divisé en 100 makuta (singulier likuta) - remplace le franc congolais. De nombreuses villes sont rebaptisées : Stanleyville devient Kisangani, Elisabethville Lubumbashi.

Lors du sixième anniversaire de l’indépendance, un défilé résume l’histoire du pays, montrant notamment le Belge infligeant la chicotte. En arrière-plan, les relations entre la Belgique et le président sont bonnes : en 1968, en voyage à Bruxelles, Mobutu reçoit le Grand Cordon de l'ordre de Léopold12. Le roi Baudouin est à son tour reçu au Zaïre en 1970 et 1985.

Réalisée dans le courant de l'année 1974, la « zaïrianisation » a constitué l'un des événements des plus importants de la politique menée par le régime mobutiste, à savoir la nationalisation progressive des biens commerciaux et des propriétés foncières qui appartenaient à des ressortissants ou groupes financiers étrangers. En réalité, si cette mesure s'inscrivait officiellement dans un effort visant à la réappropriation nationale de l'économie ainsi qu'à la redistribution des richesses acquises pendant la colonisation, elle constitue surtout un échec.

Économie

Après la première guerre du Congo, Mobutu, nouveau chef d’État s’est engagé à regagner la confiance des milieux d’affaires étrangers. En 1966, les puissantes industries minières du Kasaï et du Katanga ont été nationalisées. C'est alors l’âge d’or du Congo, maintenant indépendant : en 1967 1 franc congolais vaut alors 2 dollars américains, les écoles publiques se développent et l’exode rural s’accélère ; les prix du café, du cuivre ou d’autres minerais sont florissants. La réalisation de grands travaux (le barrage hydroélectrique d’Inga sur le Congo), le financement d'un programme spatial donnent l'impression que le Zaïre, à l'image de certains pays asiatiques émergents, est un dragon africain. Cependant l’économie du pays est encore, comme à l’époque coloniale, trop tournée vers l’exportation et donc fragile.

À partir de 1973, le pays est touché par une crise économique aiguë, causée par la baisse des prix du cuivre et à l’augmentation de ceux du pétrole. La corruption se généralise et l'inflation devient galopante tandis que Mobutu privatise de nombreuses entreprises à son nom ou aux noms de ses proches (« Zaïrianisation »)13. Le pays produit d’importantes quantités de café pour l’exportation mais ne couvre pas ses besoins alimentaires, Mobutu fait importer des céréales et de la viande d’Afrique du Sud et de Rhodésie au lieu de moderniser l’agriculture du pays qui, vu son climat, pourrait facilement subvenir à ses besoins. Dans les années 1980, l'économie congolais tourne au marasme : le PIB croît faiblement alors que la croissance démographique explose.

De manière générale, les nouveaux propriétaires de biens économiques et financiers ne sont pas suffisamment préparés pour assurer une gestion de moyen et de long terme de l'outil de production. Ceux qui n’ont pas fait faillite ont placé d’immenses investissements en Occident. Mobutu détourne les devises d’État de telle façon qu'en 1984, il est un des hommes les plus riches de la planète avec 4 milliards de dollars, l’équivalent de la dette extérieure du pays. La dette s’accroît encore plus avec la construction pharaonique du barrage hydroélectrique d’Inga, chantier légué par la Belgique coloniale et dont le Zaïre n’avait pas besoin. Si le barrage d’Inga a rapporté de l’argent aux entreprises françaises (EDF) ou italiennes, celui-ci, tout comme l'aciérie de Maluku fonctionnent à capacité réduite, faute de maintenance et de personnel compétent14,15.

La dictature, les persécutions et la paupérisation font fuir les cerveaux en Occident (Belgique et France en tête).

Structures politiques

La mise à disposition de fonds commerciaux et de patrimoines économiques a également constitué un relais du clientélisme entretenu par le pouvoir. Le clan entourant le chef de l'État a ainsi pu bénéficier des fruits de la politique de nationalisation, tout comme ceux qui dans les différentes régions du pays, faisaient allégeance au régime en échange d'un commerce ou d'une propriété foncière. De nombreux pays occidentaux ont signé des conventions avec le Zaïre afin de procéder à l'indemnisation des parties spoliées, mais dans la très grande majorité des cas, ces accords n'ont jamais été appliqués. La corruption devient l'une des caractéristiques du régime.

Diplomatie

Bien que le régime mobutiste se soit inscrit dès le départ dans le sillage de la guerre froide, en privilégiant des liens étroits avec l'ancienne puissance coloniale belge, les États-Unis et la France, on peut néanmoins parler de manière générale de schéma politique particulier.
• 24 novembre 1965 : Le coup d'État orchestré à Kinshasa n'aurait pas pu avoir lieu sans appuis occidentaux, qui craignent un basculement du géant africain dans la sphère de l'Union soviétique. Le colonel Mobutu représente à leurs yeux la seule alternative face à la politique prônée jadis par le panafricaniste Lumumba et à l'incapacité du président Kasa-Vubu de stabiliser son gouvernement.
• De 1970 à 1980, le Zaïre constitue une forme de rempart anti-communiste en Afrique, une situation d'autant plus attrayante pour les pays occidentaux que l'endiguement de la sphère soviétique (ex. Congo-Brazzaville), s'accompagne d'un accès au très important sous-sol minier (cuivre, uranium, cobalt, etc.).

Ainsi, en parallèle de la coopération militaire avec des pays comme la Belgique et la France, le Zaïre a également servi de principale base arrière d'approvisionnement en armes de la rébellion du Front national de libération de l'Angola FNLA de Holden Roberto et l’UNITA de Jonas Savimbi, soutenue par les États-Unis et l'Afrique du Sud, contre le régime marxiste angolais. Un élément clé du conflit dans le Sud-Ouest africain transite ainsi par le canal du régime zaïrois et ce, en échange d'un soutien politique externe mais aussi interne.
• 1977 : des rebelles « katangais » venus d’Angola envahissent le Shaba, les troupes de Mobutu sont impuissantes, les rebelles sont repoussés par des troupes marocaines acheminées par l’aviation française16
• mai 1978 : à nouveau, 4 000 rebelles venus d’Angola, « les gendarmes katangais », attaquent la ville minière de Kolwezi, comme on les accuse d’avoir massacré des Européens, la Légion étrangère françaises et des soldats belges interviennent pour mater la rébellion17.

Dans ces deux opérations, certains ont pu voir une tentative des marxistes angolais d’affaiblir Mobutu qui soutient l’UNITA et le FNLA. Les rebelles en tout cas en noyant les mines de Kolwezi, font aussi fuir pour de bon les ingénieurs, ce qui affaiblit l’économie zaïroise à long terme. Cette guerre interposée entre Luanda et Kinshasa montre aussi l’importance du Zaïre aux yeux des Occidentaux. Pour autant, en dépit des liens étroits entretenus avec les capitales occidentales, le président Mobutu ne ferme à aucun moment véritablement la porte aux pays situés dans l'orbite soviétique et à la Chine. En réalité, il s'agissait plus d'affinités du régime zaïrois pour les oripeaux des différents systèmes communistes que pour l'idéologie de base. Ainsi, le modèle de la révolution culturelle de Mao inspire le dirigeant zaïrois, qui l'adapte à son pays :
• naissance de l'abacost (« à bas le costume ») surmonté d'un col mao,
• publication du petit livre vert (1968), recueil des citations de Mobutu, équivalent du petit livre rouge de Mao
• retour à l'« authenticité » des patronymes individuels.

Bien que largement inférieurs à l'aide occidentale, les appuis issus des pays du bloc de l'Est n'en sont pas moins existants à l'instar de la mise à disposition de coopérants dans l'enseignement ou le financement de micro-projets de développement.

Chute de Mobutu (1989-1997)

Avec la fin de la Guerre froide, symbolisée par la chute du Mur de Berlin en novembre 1989, le régime de Mobutu perd la plupart de ses soutiens occidentaux. L'arrestation puis l'exécution de son ami Nicolae Ceaușescu en Roumanie semble avoir ébranlé le dictateur. Des manifestations, des grèves, des marches de protestation agitent Kinshasa et d'autres centres urbains. Le 24 avril 1990, dans le "Discours de la démocratisation", Mobutu annonce une série de réformes politiques pour son pays : abandon de la présidence du MPR, multipartisme, des élections d'ici deux ans18. Un premier ministre est nommé fin avril. Porté par ce revirement, l'épiscopat zaïrois propose l'organisation d'une Conférence Nationale Souveraine pour soutenir la transition démocratique. Mobutu accepte. Pendant environ un an et demi (août 1991-décembre 1992), la Conférence, réunie à Kinshasa, discute d'une nouvelle constitution pour remplacer celle de Luluabourg (1964) mais ne débouche sur rien. Une "marche de l'espoir" organisée par les chrétiens de Kinshasa est réprimée dans le sang le 16 février 199219. Contrairement au vœu de la rue, Mobutu ne compte pas abandonner le pouvoir. L'élection d’Étienne Tshisekedi wa Mulumba, principal leader de l'opposition radicale, comme premier ministre par les Conférenciers20 n'apporte pas de changement. Mobutu le démet de son poste le 5 février 1993.

La tentatives de libéralisation du régime ne résolvent pas la crise économique. Dans les années 1990, le PIB diminue. Le pays n'arrive plus à assumer le service de la dette. Les services publics s'effondrent, l'inflation galopante ruine le pouvoir d'achat (+ 9769 % en 19942). Le 21 septembre 1991, des soldats, impayés, pillent les magasins de Kinshasa et d'autres villes. Nouvelles scènes de pillage, du 28 au 30 janvier 1993, dans la capitale, beaucoup plus violent : on compte environ un millier de morts dont l'ambassadeur de France21.

Arrivée au pouvoir de Laurent-Désiré Kabila

Le génocide au Rwanda redonne une crédibilité internationale au maréchal Mobutu. Il accepte d'accueillir en Ituri les réfugiés rwandais fuyant la zone de l’opération Turquoise. Le Zaïre accueille 1,5 millions de personnes. Au Rwanda, les tutsis ont pris le pouvoir mais s’inquiète de la présence à la frontière zaïroise de ces camps de réfugiés principalement hutus : ils craignent qu’ils ne reprennent les armes et entre au Rwanda. Déjà, ces réfugiés Hutu sont accusés de persécuter les Tutsis du Zaïre. En 1996, le président rwandais Paul Kagame excite les tensions.

Physiquement, Mobutu est malade : il souffre d’un cancer de la prostate. Son premier ministre Kengo Wa Dondo exerce de plus en plus de pouvoir. L’armée du Zaïre est déliquescente. Seule la Division spéciale présidentielle maintient le régime.

Le Rwanda de Paul Kagame, l’Ouganda de Yoweri Museveni et des Zaïrois se coalise dans un mouvement hétéroclite appelé AFDL (Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo). Cette rébellion armée, soutenue par les États-Unis de Bill Clinton et l’Angola de Dos Santos, vise officiellement à renverser Mobutu mais sert aussi de couverture à la pénétration par le Rwanda et l'Ouganda du Zaïre pour traquer les réfugiés hutus et accéder aux richesses du sous-sol22. Un ancien marxiste congolais, Laurent-Désiré Kabila s'impose à sa tête. Muluba, né à Moba au Katanga, il a milité pour l’indépendance du Congo belge, a fui la guerre civile de 1960-1965 en Tanzanie, devenu là-bas trafiquant d’ivoire et d’or. L'AFDL reçoit le financement de lobbys miniers américains et canadiens. Kabila signera en effet des accords concernant l'exploitation minière avec les sociétés American mineral fields (le futur Adastra), Barrick Gold, First American Diamond, Horsham Corporation, Anglo Gold ashanti.

La faible motivation des soldats zaïrois à résister, la corruption de leurs officiers, la lassitude de la population par rapport au mobutisme facilite l'avancée de l'AFLD23. Alors que la rébellion approche de Kinshasa, Mobutu fuit dans sa ville natale de Gbadolite, puis s'envole pour le Togo puis le Maroc. Sans combattre, les forces de l'AFDL entrent dans Kinshasa le 17 mai 1997, bientôt rejointes par Laurent-Désiré Kabila qui s'autoproclame président du pays. L'opposition, historique et non violente, d’Étienne Tshisekedi est ignorée par le nouveau pouvoir.

Notes et références

1. ↑ Mobutu roi du Zaïre, film documentaire de Thierry Michel, 1999
2. ↑ Gauthier de Villers, De Mobutu à Mobutu: trente ans de relations Belgique-Zaïre, De Boeck Supérieur, 1995, p.33
3. ↑ Les années Mobutu (1965-1989): l'accroissement exponentiel d'une dette odieuse [archive]
4. ↑ Jean-Claude Willame, Zaïre : L’épopée d’Inga, Chronique d’une prédation industrielle, Paris, L’Harmattan, 1986
5. ↑ Le barrage d’Inga, l’exemple emblématique d’un éléphant blanc pp.22-26 [archive]
6. ↑ Crawford Young, Thomas Edwin Turner, The Rise and Decline of the Zairian State, 1985, p.256-257
7. ↑ Crawford Young, Thomas Edwin Turner, The Rise and Decline of the Zairian State, 1985, p.257-258
8. ↑ Ngimbi Kalumvueziko, Congo-Zaïre: Le destin tragique d'une nation, L'Harmattan, 2013, p.179
9. ↑ Kambayi Bwatshia, L'illusion tragique du pouvoir au Congo-Zaïre, L'Harmattan, 2007, p.148-149
10. ↑ Ngimbi Kalumvueziko, Congo-Zaïre: Le destin tragique d'une nation, L'Harmattan, 2013, p.181-189
11. ↑ David Van Reybrouck, Congo. Een geschiedenis, 2010 (trad. française : Congo. Une histoire, Actes sud, 2012)
12. ↑ Ngimbi Kalumvueziko, Congo-Zaïre: Le destin tragique d'une nation, L'Harmattan, 2013, p.195
13. ↑ Ngimbi Kalumvueziko, Congo-Zaïre: Le destin tragique d'une nation, L'Harmattan, 2013, p.201