L’annonce surprise, le 1er mars,
de l’ouverture imminente d’une ambassade congolaise en Israël est d’abord une
tentative du président congolais Félix Tshisekedi de s’arrimer
fermement à son homologue américain Donald
Trump. A plus long terme, l’initiative vise à rebattre les cartes des
réseaux israéliens en RDC, trustés sous les deux mandats de Joseph Kabila par
le magnat minier Dan
Gertler, véritable ambassadeur plénipotentiaire des intérêts israéliens
à Kinshasa.
Opération séduction à la Maison Blanche
Trois semaines avant l’annonce
surprise de Félix Tshisekedi, l’ambassadeur de RDC à Washington, Francois Nkuna Balumuene, avait
participé, le 7 février au Département d’Etat, à une réunion avec plusieurs
homologues africains autour du conseiller spécial et gendre de Donald Trump, Jared Kushner. Ce dernier leur a
demandé que les pays africains soutiennent explicitement le plan de paix pour
le Moyen-Orient dont il est le principal artisan, et que l’administration Trump
a rendu public le 28 janvier. L’ambassadeur ougandais Mull Sebujja Katende a
ouvertement regimbé.
En revanche, son homologue congolais, qui bataille depuis l’élection de Félix
Tshisekedi pour que ce dernier soit reçu à la présidence américaine, n’a rien
perdu du message. Deux semaines plus tard, le 25 février, Félix Tshisekedi
était annoncé parmi les invités d’honneur à la conférence annuelle de l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac),
le lobby pro-israélien de Washington. La même semaine, les autorités
congolaises arrêtaient l’ancien patron du renseignement militaire Delphin Kahimbi, que les
Etats-Unis avaient placé dès 2016 sous sanctions. Et, le 1er mars, Félix
Tshisekedi annonçait à Washington, devant les délégués de l’Aipac, l’ouverture
d’une ambassade congolaise à Tel Aviv avec, clin d’œil supplémentaire envers la
Maison Blanche, un bureau économique à Jérusalem, considéré par
l’administration Trump comme la capitale du seul Israël.
Mais les efforts de Félix Tshisekedi n’ont pas été payés en retour : pas
d’entrevue avec Donald Trump, ni même avec le vice-président Mike Pence. Le président congolais
a dû se contenter de quelques minutes avec le secrétaire d’Etat Mike Pompeo, qui avait refusé de
se rendre à Kinshasa le mois dernier (LC n°818).
Sur les ruines des réseaux Gertler
Depuis le retour de Félix
Tshisekedi à Kinshasa, plusieurs réseaux concurrents se bousculent pour transformer
l’ouverture du président congolais vis-à-vis d’Israël en un nouvel axe
diplomatico-business. Leur but : occuper l’espace laissé vacant par Dan
Gertler, désormais sous sanctions américaines. Autour du conseiller sécurité de
la présidence, François Beya Kasonga, et de son
frère Alidor Beya gravitent
plusieurs émissaires israélo-marocains, notamment le consultant Ygal Cohen, longtemps proche du
PDG du groupe de BTP marocain Satram (LC n°803), ainsi que le courtier Didier Sabag, qui représente en
Afrique plusieurs fabricants israéliens de matériel d’interception (IOL n°802). Sous la présidence de Joseph
Kabila, c’était déjà un industriel de la sécurité, Omer Laviv, qui jouait les
facilitateurs entre Kinshasa et Tel Aviv. Mer Group, la société de Laviv,
réglait même les honoraires des nombreux lobbyistes américains qui
travaillaient à Washington pour le régime Kabila (LC n°787). Sous Kabila, deux autres
consultants défendaient à Kinshasa les intérêts de plusieurs sociétés de
sécurité israéliennes : le courtier Steve Bokhobza (IOL n°764) et l’ex-conseiller à la sécurité du
magnat israélien du diamant Beny
Steinmetz, Victor Nassar (LOI n°1473)
La connexion anversoise
Sabag et Cohen ne sont pas les seuls à s’activer entre Kinshasa et Tel Aviv. Un autre réseau, israélo-belge celui-ci, est également à la manœuvre. Il est structuré autour de Pihan Aslan, consul honoraire d’Israël à Kinshasa depuis 2012 et principal acheteur de diamants artisanaux congolais via son comptoir Concorde. Celui qu’une concurrence féroce opposa, dans les années 2000, à son homologue anversois David Zollman a ainsi fait venir à Kinshasa, le 15 mars, le grand rabbin de Bruxelles, Albert Guigui, dont il avait déjà organisé une première visite en RDC en 2012. Membre actif de la conférence des rabbins européens, Albert Guigui est un religieux très politique particulièrement introduit au sein de l’Union européenne.
Source: La Lettre du Continent.