Toute la journée de lundi, les informations sont restées contradictoires sur la possible prise de Bunagana par le M23 après les violents combats lancés dimanche par les rebelles contre l’armée congolaise. Pourtant, très rapidement, des sources militaires locales indiquaient sous couvert d’anonymat que les « nouvelles n’étaient pas bonnes » en provenance de la ville frontière. En début d’après-midi, des témoins envoyaient des photos d’un char congolais abandonné dans la zone et des vidéos montrant des soldats FARDC traversant le poste-frontière pour se réfugier en Ouganda. L’annonce de la prise de la ville par la rébellion du M23 est intervenue en fin de journée, mais il aura fallu attendre le début de soirée pour que le porte-parole du gouverneur militaire du Nord-Kivu confirme le contrôle de Bunagana par la rébellion. L’armée congolaise avoue dans son communiqué que la ville frontière est tombée dès 7h00 du matin grâce, notamment, au soutien de l’armée rwandaise.
Une « invasion » du Congo
Les autorités congolaises ont dénoncé « une violation de l’intangibilité » de leur frontière et « une invasion de la RDC ». « Les forces armées congolaises en tireront toutes les conséquences qui s’imposent » a noté le porte-parole du gouverneur militaire. Cela fait maintenant plusieurs semaines que Kinshasa n’hésite plus à accuser nommément son voisin rwandais de soutenir « en hommes et en armes » les rebelles du M23. Le 5 juin déjà, le président Tshisekedi avait affirmé n’avoir « aucun doute » sur le soutien du Rwanda à une rébellion venue « agresser » le Congo. Sur Bunagana, le champ lexical est monté d’un cran. Le gouverneur militaire parle « d’invasion », une accusation qui fait clairement augmenter la tension entre les deux pays. Kigali dément toute implication de ses troupes au Congo.
Une attaque venue du territoire ougandais
La défaite de Bunagana constitue un important revers pour l’armée congolaise qui affirmait pourtant ces derniers jours « faire reculer l’ennemi ». La ville stratégique de Bunagana était un bastion important de la rébellion lorsqu’elle avait brièvement occupé la capitale provinciale de Goma en 2012. La chute de Bunagana pose également question sur le rôle ambiguë de l’Ouganda. Ce lundi, des sources militaires locales nous indiquaient que le M23 aurait attaqué la ville « par derrière », c’est à dire depuis l’Ouganda. Une information que ni les autorités congolaises, ni l’armée ougandaise n’ont confirmé.
Une frontière passoire
Au sein des FARDC, la question du soutien direct ou indirect de Kampala à Kigali et au M23 se pose désormais. Un possible trouble jeu de l’Ouganda inquiète fortement Kinshasa, qui comptait pourtant sur le soutien des troupes ougandaises pour combattre les rebelles ADF. Mais l’escalade de ces dernières semaines a fortement brouillé les cartes de la situation militaire sur le terrain. La zone frontière entre les trois pays, qui se trouve être le territoire d’affrontement entre le M23 et les FARDC, se trouve être une vraie passoire. Les deux voisins sont toujours intervenus régulièrement chez leur voisin pour des raisons très diverses : maintenir la pression sur le gouvernement congolais, pérenniser les trafics de matières premières, ou continuer d’agiter la menace extérieure pour mieux contrôler son opposition interne. Comme Kigali, Kampala pourrait être tenté par jouer sa partition dans le Rutshuru.
Un voisin très peu fiable
Kinshasa avait pourtant cherché à se mettre l’Ouganda dans la poche en l’autorisant à intervenir militairement sur le sol congolais pour traquer la rébellion ADF. En invitant les soldats ougandais, Félix Tshisekedi pensait avoir trouvé un allié sérieux. Mais au final, le président congolais a passablement énervé Kigali, qui a laissé faire le M23 qui attend depuis 10 ans la mise en oeuvre de son accord de paix et son intégration dans l’armée. Comme avec Kigali, le chef de l’Etat congolais a sans doute été trop naïf vis à vis du président Museweni. Et aujourd’hui, Kampala voit une bonne occasion de profiter du chaos causé par le retour du M23 pour de nouveau peser dans la région : géopolitiquement, mais aussi économiquement. La complicité supposée ou la non-intervention de l’Ouganda à l’attaque du M23 sur Bunagana depuis son territoire en dit long sur les intentions de ce voisin, décidément très peu fiable.
Christophe RIGAUD – Afrikarabia