Automobile : La passation  » rapide » et « discrète » entre Tractafric et Sada Motors d’ Alexis Ndinga en RDC, Congo et Gabon

Propriété de la holding du roi du Maroc Al Mada, Tractafric Motors se retire de la distribution automobile en RDC, au Gabon et bientôt au Congo, au profit de Sada Motors, jeune société contrôlée par un homme d’affaires et député allié au président congolais Denis Sassou Nguesso.

La réorganisation à la serpe de Tractafric Motors, le distributeur automobile et d’équipements industriels propriété de la holding Al Mada de Mohammed VI, fait au moins un heureux : le député et homme d’affaires congolais Alexis Ndinga. C’est sur sa Société africaine de distribution automobile, plus connue sous le nom de Sada Motors, que Tractafric s’est appuyé pour introduire, au début de l’été, les 4×4 et pick-up de l’américain Ford au Gabon. Présenté à cette occasion comme un simple « sous-distributeur », ce groupe est, en réalité, en passe de se substituer entièrement aux filiales de Tractafric au Gabon, ainsi qu’en RDC et au Congo. Cette passation, menée aussi rapidement que discrètement, doit permettre à Tractafric et à sa maison-mère, Optorg, de se défaire de ces entités qui plombent lourdement ses comptes, sans abandonner le marché aux concurrents de toujours, CFAO, Sogafric (au Gabon) et Promimpex (en RDC).

Collection d’écussons

Député de Pointe-Noire depuis 2012, où siège déjà un chapelet d’entreprises réunies sous la barrière d’IMEX, Alexis Ndinga n’a choisi ni la « cité océane », ni Brazzaville, pour se lancer dans la distribution automobile. C’est sur l’île Maurice qu’il a fondé, en 2019, Sada Holding, dont il a pris la présidence. Celle-ci a aussitôt commencé à essaimer. Sa première filiale Sada RDC, créée à Kinshasa en mai 2020, a aussitôt distribué des pick-up et 4×4 de marque Ford, Mitsubishi et Renault, puis les berlines et SUV de BMW. Autant de marques jusque-là représentées localement par Tractafric.

Même chose au Gabon, où Sada Motors ne s’est implanté que début 2021 avec un catalogue comparable. Paradoxalement, c’est au Congo, fief d’Alexis Ndinga, que les choses avancent le moins vite. Le député-businessman n’y a constitué Sada Motors Congo qu’en septembre 2020 et le groupe travaille à ouvrir un premier showroom dans le quartier de Mpila, à Brazzaville, non loin de celui du concurrent CFAO Motors. A terme, Sada Motors reprendra la totalité du portefeuille « véhicules légers » de Tractafric dans ces trois pays, à l’exception – du moins pour l’instant – de Mercedes-Benz, qui restera au catalogue de Tractafric Motors. Question de prestige !

Les anciens de Tractafric au volant

La passation entre Tractafric et Sada Motors s’est faite d’autant plus naturellement qu’Alexis Ndinga s’est attaché les services de plusieurs vétérans du groupe. La filiale gabonaise est ainsi dirigée par Jean-Prosper Faubert dont la carrière, depuis 2010, s’est partagée entre les filiales gabonaise et congolaise de Tractafric Motors.

Même chose en RDC où Jacky Kazadi Nduba, directeur général de Sada RDC depuis août 2020, pilotait auparavant la filiale de Tractafric Motors à Kinshasa. Cet homme d’affaires multicartes, actif notamment dans le secteur minier, figure même au tour de table de Sada RDC via la société Socimat Motors, créée pour l’occasion. A la ville, il est l’époux de Marie-Josée Ifoku, ancienne gouverneure de la province de Tshuapa et candidate malheureuse à l’élection présidentielle de 2018 au nom de son micro-parti, l’Alliance des élites pour un nouveau Congo. Elle s’était rapidement ralliée à « l’union sacrée » prônée par le vainqueur, Félix Tshisekedi. Elle-même est une experte du commerce automobile : après avoir longtemps été directrice commerciale chez… Tractafric, elle a dirigé durant plusieurs années Congo Motors, le distributeur Nissan en RDC détenu par un homme d’affaires d’origine libanaise, Hassan Abdallah.

Pharmacie, télécom, services

A la tête du Parti pour la concorde et l’action politique (PCAP), qu’il a fondé en 2011 pour accéder au Parlement l’année suivante, Alexis Ndinga est un soutien actif du président Denis Sassou Nguesso, dont il a dirigé la campagne à Pointe-Noire lors du scrutin présidentiel de mars qui a vu le chef de l’Etat accéder à un quatrième mandat. Mais il est, surtout, très investi dans les affaires. Lancé dans les années 2000 depuis Sharjah, aux Emirats arabes unis, et la France, son groupe Imex Health a été réenregistré en 2015 sur l’île Maurice et rebaptisé Imex Pharma.

Grâce à une cohorte de visiteurs médicaux, cette structure importe et distribue, dans toute l’Afrique de l’Ouest, une large gamme de médicaments génériques : analgésiques, antipaludiques, antibiotiques, etc. Ceux-ci sont principalement fabriqués par le laboratoire indien Bliss GVS Pharma, mais aussi par le portugais Laboratório Edol, le chinois Guangzhou Yichao, etc. Imex Pharma avait même lancé en 2013 la construction d’une usine de production et de conditionnement, en joint-venture avec Bliss GVS, à Tsokia, situé à quelques kilomètres d’Oyo, fief du président Sassou Nguesso. Mais malgré le déblocage de subventions gouvernementales et la pose de la première pierre par le ministre de la promotion industrielle de l’époque, Isidore Mvouba, l’unité n’a finalement jamais vu le jour. Imex n’a toutefois pas renoncé à développer sa propre gamme de produits pharmaceutiques et de génériques. Cette activité est menée via une structure française, Imex Santé familiale (basée à Paris) et une autre enregistrée à Maurice, Imex Generics. Alexis Ndinga ne figure pas au tour de table d’Imex Santé familiale, entièrement aux mains de son directeur général Patrick Simao, mais l’entreprise se présente comme la structure chapeautant Imex Pharma et Imex Generics.

Outre la pharmacie, Alexis Ndinga est devenu incontournable sur de nombreux créneaux. Imex Environnement, actif dans le transport, la logistique ou encore la maintenance de bâtiments, assure notamment des prestations de facility management pour le compte des pétroliers Total E&P, ENI et Chevron, des sièges des opérateurs télécom Airtel et MTN, du Crédit du Congo, etc. Il possède aussi Imex Technologies, qui distribue les solutions d’accès à internet par satellite de l’émirati Yahsat, mais aussi les radios Motorola, ainsi qu’un service de géolocalisation de flottes automobiles, en partenariat avec Orange, etc.

Tractafric Motors marche sur la réserve

En transférant une partie de son réseau à Alexis Ndinga, Tractafric Motors tente avant tout de redresser une situation financière devenue intenable. Le chiffre d’affaires de la firme, domiciliée au siège de sa maison-mère Optorg, quai de Dion-Bouton, à Puteaux (en région parisienne), est passé de 550 millions d’euros en 2012, son record, à… 285 millions d’euros en 2020. L’an dernier, il n’a écoulé que 5 000 véhicules particuliers, contre plus de 7 000 en 2016. Les filiales gabonaise et congolaise, en particulier, ont accumulé les pertes, poussant le patron d’Optorg Marouane Tarafa et le directeur général de Tractafric Motors, Dominique Hanotaux, tous deux nommés début 2019, à tailler dans le vif. Le groupe a notamment provisionné, cette année-là, la valeur totale des titres des filiales au Gabon (14,7 millions d’euros en 2019) et au Congo (6,4 millions d’euros), cette dernière étant promise à la liquidation.

Tractafric ne semble toutefois pas devoir abandonner son principal bastion, la Côte d’Ivoire, et se développe dans d’autres pays : elle a lancé les pneus Michelin, le loueur Europcar et les garages Point S au Cameroun, et vient de créer une filiale au Ghana où elle distribue Nissan. La vente de poids lourds, étiquetés Mercedes, Hyundai, Isuzu, FUSO et JAC, sur tout le continent, reste aussi dans le giron de Tractafric Motors. Cette activité pourrait être à terme rattachée à sa société-sœur Tractafric Equipment, distributeur des engins de chantier Caterpillar dans toute l’Afrique de l’Ouest (notamment pour l’industrie minière) et dont les résultats – 346 millions d’euros en 2020 – représentent désormais plus de la moitié de ceux d’Optorg.

En s’appuyant sur son très connecté partenaire Alexis Ndinga, Optorg et Tractafric espèrent aussi, peut-être, se prémunir d’éventuelles tensions avec des clients VIP, qui perturbent à l’occasion la bonne entente entre Rabat et ses alliés subsahariens. La direction de Tractafric avait ainsi dû gérer, en 2016, la colère d’un des fils de Denis Sassou-Nguesso, furieux de ne pouvoir faire réparer sa Mercedes importée des Etats-Unis dans les ateliers congolais de Tractafric, et qui avait brièvement pris possession de deux véhicules . Tout s’était arrangé après l’intervention diplomatique de Rabat…

Africa Intelligence

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