Congo Hold-up: Congo Futur, un empire sous sanctions

L’enquête Congo Hold-up révèle comment le conglomérat Congo Futur et ses promoteurs, les frères Tajeddine ont continué, grâce à la BGFI et d’autres banques, d’avoir accès au système bancaire international malgré leur mise sous sanctions américaines en 2010 pour avoir blanchi l’argent du Hezbollah. Ils ont réussi à transférer plus de 90 millions de dollars malgré les alertes de plusieurs services de conformité. Enquête réalisée avec L’Orient Le JourDe Standaard, NRC et Mediapart sous l’égide du réseau européen EIC.

« Enfin Congo Futur Sprl à Kimpese ». Le panneau est presque entièrement effacé, mais c’est l’un des rares vestiges de l’existence d’une société appelée Congo Futur en République démocratique du Congo (RDC). Blanchi par les ans, il se dresse toujours à l’embranchement d’une des routes qui lient Kimpese, ville commerçante de la province du Kongo Central, à l’une des usines de ciment qui ont fait sa renommée. Congo Futur n’existe plus. Cette entreprise, comme toutes celles liées au groupe du même nom, a été placée sous sanctions du Trésor américain.

Dans un communiqué daté du 12 septembre 2010, le Bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC), l’organisme de contrôle financier dépendant du département du Trésor qui s’occupe de ces questions, explique avoir ciblé « le réseau financier du Hezbollah » dont Congo Futur et deux de ses promoteurs, Ali Tajeddine et Husayn Tajeddine, pour leur soutien au puissant mouvement chiite libanais. Un troisième frère, Kassem Tajeddine était déjà sous sanctions depuis 2009.

Congo Futur est « un réseau d’entreprises détenues ou contrôlées par les frères Tajeddine, qui opèrent en Gambie, au Liban, en Sierra Leone, en République démocratique du Congo, en Angola et dans les îles Vierges britanniques », explique alors l’OFAC.

Mais en République démocratique du Congo, Congo Futur, c’est avant tout ce que l’on retrouve à l’adresse indiquée sur le panneau annonçant l’arrivée du conglomérat à Kimpese : un magasin de vente au détail, avec des produits importés peints, toujours les mêmes, sur la façade. Juste devant, un poids lourd et des employés congolais pour décharger des marchandises.

Dans la province du Kongo Central, on retrouve des magasins de sociétés liées à Congo Futur dans presque toutes les villes. Leurs camions sillonnent la route nationale 1, principale voie d’approvisionnement de Kinshasa, la capitale et ses plus millions de bouches à nourrir.

Véritable arme financière, le placement sur la liste des « ressortissants spécialement désignés » (Specially Designated NationalsSDN) de l’OFAC interdit à toute entité américaine, ou résidant aux États-Unis, de faire des affaires avec la personne physique ou morale sanctionnée. Du fait de la primauté du dollar dans les échanges interbancaires, la mesure est généralement synonyme d’exclusion du système financier international, plus encore en République démocratique du Congo où les transactions interbancaires en dollars passent obligatoirement par une banque américaine.

Au Congo, les sanctions sont un jeu de dupes. Congo Futur nomme désormais sa chaîne de magasins Afri Food, sa compagnie de transport routier Ecotrans et continue ses activités au vu et au su de tout le monde. « Les bâtiments qu’avait Congo Futur, on les retrouve sans nom ou avec un autre nom, mais tout le monde sait », explique le premier chauffeur venu. « Même les enfants continuent de dire : « Je vais chercher du sucre à Congo Futur ». »

L’enquête Congo Hold-up, basée sur l’analyse de millions de documents et transactions bancaires de la BGFI obtenus par PPLAAF et le site d’information français Mediapart, révèle l’existence d’un réseau de sociétés, officiellement indépendantes de Congo Futur, mais effectivement gérées par les mêmes individus.

Ces entreprises ont pu prospérer avec le concours de la BGFI de 2012 à 2017 et ont transféré quelque 91 millions de dollars vers des comptes aux Émirats arabes unis appartenant à Kassem Tajeddine. Les banques correspondantes et certains employés de la BGFI avaient pourtant donné l’alerte. D’autres ont, malgré tout, laissé passer de très nombreuses transactions comme la filiale suisse de la banque libanaise BankMed avec plus de 11 millions d’euros.

Enfin, quelque 7,14 millions de subventions européennes ont été versées à une société appartenant au réseau Congo Futur qui, à son tour, a transféré des millions sur des comptes contrôlés par Kassem Tajeddine.

Conseil #1 : changer de nom

Originaire de Hanawé, dans le Sud-Liban, fief du Hezbollah, la fratrie libanaise Tajeddine a défrayé la chronique pendant près de dix ans en Europe et aux États-Unis. Le plus connu, Kassem, l’aîné de la fratrie, est un habitué des cours de justice. Il a été condamné à deux ans de prison avec sursis fin 2009 avec sa femme et trois de ses frères par la cour d’appel d’Anvers, en Belgique, pour « fraude et blanchiment d’argent ».

À l’époque, il était accusé d’avoir mis en place un double système de facturation entre Congo Futur et l’une de ses sociétés basées à Anvers qui lui avait permis de blanchir plus de 50 millions d’euros. Il est libéré au bout de deux mois.

En 2017, Kassem Tajeddine est à nouveau arrêté, cette fois à l’aéroport Mohammed V de Casablanca. Il est transféré aux États-Unis et accusé par la justice de ce pays d’avoir récidivé en blanchissant plus de 27 millions de dollars lors de transactions illégales avec des entités américaines. Il plaide coupable en 2018 de « conspiration en vue de blanchir de l’argent ». Il est condamné à payer une amende de 50 millions de dollars et à purger une peine de cinq ans de prison.

Retournement de situation en juillet 2020 : Kassem Tajeddine est libéré avec deux ans d’avance, officiellement pour raisons de santé. Alors que plusieurs médias dont Reuters lient ce dénouement à un accord d’échange de prisonniers entre Washington et Téhéran – dont le Libano-Américain et ex-milicien de l’Armée du Liban-Sud, Amer Fakhoury, libéré quelque mois plus tôt par Beyrouth –, Kassem Tajeddine dément catégoriquement : « Comme le prouvent les documents judiciaires américains, ma libération relevait exclusivement d’un acte de compassion, et non d’un accord plus large ou d’un échange de prisonniers », lit-on dans le courrier qu’il a adressé au consortium. L’homme d’affaires vit depuis au Liban.

Dans un mémorandum envoyé à la justice américaine en juillet 2019, les avocats de Kassem Tajeddine décrivent son parcours « exceptionnel », l’histoire d’une ascension sociale, d’une enfance passée dans « une maison d’une pièce sans plomberie, ni toilettes ou électricité » jusqu’au succès entrepreneurial en Afrique. Une réussite qu’il ne doit qu’à son « dur labeur ».

Cette success story débute véritablement avec son départ pour la Sierra Leone, en 1976, un an après le début de la guerre civile libanaise. Kassem Tajeddine a alors 21 ans. Il commence par travailler comme un simple employé dans le magasin d’alimentation d’une parente, avant d’ouvrir son propre commerce deux ans plus tard. Au milieu des années 1980, il déménage en Côte d’Ivoire, puis met le cap sur la Belgique en 1989 où il installe le siège de ses entreprises. Ses activités africaines se développent et prennent leur envol au cours de la décennie suivante.

Créé en 1997, le conglomérat familial Congo Futur, dirigé par son frère Ahmed qui a été condamné en Belgique en 2008 pour fraude et blanchiment d’argent, sera le symbole de cette réussite qui se traduira, entre autres, par la très moderne Future Tower, érigée sur le boulevard du 30 juin, en plein cœur de Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo (RDC).

Si les sanctions américaines ont fini par entraîner la disparition officielle de Congo Futur, la nébuleuse Tajeddine a trouvé d’ingénieux moyens pour se réinventer et continuer à prospérer, avec l’aide de la BGFI RDC. Chaque fois que le nom d’une de ses entreprises est repéré, elle disparaît et une nouvelle fait son apparition.

Exemple : un nouveau conglomérat baptisé « Glory Group » est constitué par des proches d’Ahmed Tajeddine et plusieurs sociétés ont pignon sur rue comme la société immobilière Simmokin, la Société congolaise de construction moderne (SCCM) et l’entreprise d’exploitation forestière Cotrefor.

Les trois sociétés emblématiques de Glory Group sont contrôlées, dans les faits, par le Libanais Youssef Sleiman, par ailleurs coactionnaire d’une autre compagnie avec la femme d’Ahmed Tajeddine, et son associé Abed Hassan Farhat, qui a été actionnaire de Congo Futur.

La filiation avec Congo Futur est à peine cachée. Ces sociétés ont toujours les mêmes adresses à Kinshasa, comme dans les autres villes du Congo. Une simple visite sur place permet de confirmer ce que les services de conformité des banques peinent à établir.

Ainsi, dans la commune de Limete, les habitants ne connaissent pas les noms des successeurs du conglomérat Congo Futur tels que Kin Trading, ATCOM ou Golden Falcon Company. En revanche, dès qu’on demande où se trouve la parcelle de Congo Futur, les visages s’éclairent. « Congo Futur, c’est au bout, à droite, en face d’une église du réveil ». Derrière le portail, on retrouve côte à côte les camions Ecotrans et Cotrefor.

Contactés il y a un mois, Ahmed Tajeddine, Youssef Sleiman, Abed Hassan Farhat n’ont pas donné suite.

Conseil #2 : chercher une banque peu regardante

Alors que Kassem Tajeddine se plaignait, en 2019, par l’intermédiaire de ses avocats que les sanctions américaines avaient fait payer « un lourd tribut aux entreprises familiales et à de nombreux membres de la famille individuellement », les documents Congo Hold-up établissent pourtant que l’homme d’affaires belgo-libanais est parvenu, avec l’aide de la BGFI, à transférer quelque 91 millions de dollars vers le compte d’Epsilon Trading FZE, l’une de ses sociétés aux Émirats arabes unis entre 2013 et 2017.

Ce n’est qu’une partie des fonds qui vont transiter par les comptes des sociétés liées à Congo Futur. Notre enquête révèle qu’au moins 11 millions de dollars ont été transférés vers le compte de la société offshore libanaise Global and Infinite Traders SAL (GAIT) à la BankMed Suisse, une filiale de BankMed Liban, l’un des cinq plus grands établissements du pays, contrôlé majoritairement par la famille Hariri.

Au sein même du groupe BGFI, pourtant très critiqué pour ses pratiques, la sonnette d’alarme est tirée très tôt. Le 30 mai 2011, la succursale du groupe BGFI à Paris rejette « par précaution » quatre ordres de transferts d’un montant total de 810 345 dollars d’Atlantic Trading Company (ATC), une société spécialisée dans l’importation des abats et bas-morceaux de bœuf en République démocratique du Congo (RDC) vers GAIT, présenté comme son principal fournisseur.

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Le lendemain, Stéphane Orliac, du service de la conformité, explique pourquoi dans un e-mail adressé à ses collègues du Congo : « Un ensemble d’éléments ont attiré mon attention : le caractère répétitif de la transaction, l’importance des montants, l’envoi des fonds à Bankmed Suisse qui n’est pas une banque habituelle dans nos flux. » Sa position est catégorique : « J’ai fait des recherches et il ressort de plusieurs sites internet que cette société (NDLR : Atlantic Trading Company) serait une filiale de charcuterie du Groupe Congo Futur de la famille TADJIDEEN avec lequel il ne faut absolument pas travailler ». L’e-mail est envoyé jusqu’au directeur général de la BGFIBank RDC, Françis Selemani Mtwale, le frère adoptif de l’ancien président Joseph Kabila.

Deux jours plus tard, ça bloque sur un autre paiement et la BGFI RDC tente de rassurer son partenaire parisien : « D’après les informations reçues du client », Global and Infinite Traders SAL (GAIT) est « recommandable et de bonne signature », elle vante même « son rapport qualité-prix ».

Stéphane Orliac, du service de la conformité à Paris, ne se satisfait pas de ces explications et tente d’établir les liens entre certaines sociétés qu’il identifie comme dépendantes de Congo Futur. Le 6 juin 2011, il a déjà décidé d’écarter une société appelée Kin Trading, car elle est « désormais en réalité dirigée par AHMED TADJIDEEN […] que les États-Unis considèrent comme finançant le terrorisme ». Il cite aussi GAIT et assure ne plus accepter de virements en sa faveur « sans avoir des éléments plus probants ».

La porte se ferme avec la succursale à Paris. Les banquiers de la BGFI se tournent vers d’autres banques internationales qui peuvent se montrer moins regardantes, en commençant par l’allemande Commerzbank. Pour preuve, un peu plus tard, en 2015, elle a dû payer 1,45 milliard d’amende en 2015 pour clore une enquête sur des transactions avec l’Iran et d’autres pays visés par des sanctions.

La Commerzbank laisse passer plusieurs transferts, mais finit par repérer les sociétés écrans de Congo Futur. Un rapport du service de conformité de la BGFIBank RDC, daté d’août 2012 et adressé à sa direction, indique que « tous les transferts ordonnés par ATCOM (NDLR : client de GAIT) sont refusés par tous nos correspondants pour des raisons de conformité ». Il mentionne deux transactions bloquées par la banque allemande.

Contactée, Commerzbank n’a pas souhaité commenter les transactions en question, assurant avoir renforcé ses contrôles depuis 2015, utilisant « des systèmes modernes de filtrage et de surveillance pour nous assurer que les transactions suspectes sont signalées aux autorités responsables ».

La BGFI se tourne ensuite vers l’établissement maltais FIMbank qui, en janvier et avril 2013, demandera des factures sur deux transferts entre GAIT et un de ses clients, Congo Stars For Commerce. Deux factures ont bien été produites par l’importateur. Cependant, ni les montants ni la date de la facture ou sa référence ne semblent correspondre aux transactions effectuées. Une anomalie qui aurait dû alerter le département de conformité de la banque. FIMbank n’a pas souhaité répondre à nos questions concernant son « ancienne relation bancaire avec BGFIBank RDC » pour des raisons de confidentialité. Elle affirme néanmoins maintenir les « normes éthiques et de conformité les plus élevées dans ses relations avec ses correspondants ».

Mais qui se cache derrière Global and Infinite Traders SAL, repérée par toutes les banques ? GAIT appartient bien à Ovlas Trading SAL, un groupe contrôlé par Kassem Tajeddine. Son compte à BankMed Suisse a reçu au moins 11,37 millions de dollars entre mai 2011 et avril 2015 venant des comptes de six sociétés à la BGFIBank-RDC : Congo Stars for Commerce, Atlantic Trading Company (ATCOM), General Trade Company, Congo Quality Industries, Kin Trading et Glory Group. Toutes sont apparentées, directement ou indirectement, à Congo Futur.

Contacté sur ces virements, Kassem Tajeddine a affirmé, dans un courrier transmis par ses avocats, ne pas pouvoir « être en mesure de fournir des réponses détaillées » à nos questions, « en raison des procédures légales actuelles et passées ».

L’analyse des comptes de ces six sociétés à la BGFI laisse apparaître des entrées massives d’argent liquide : deux d’entre elles ont ainsi reçu l’équivalent de 110 millions de dollars versés en espèces (en dollars ou en francs congolais) au comptoir de la banque congolaise durant la période à laquelle elles étaient en affaires avec GAIT. Que font ces sociétés ? Difficile de le dire, il y a très peu de dépenses liées à leur fonctionnement sur leur compte.

Contactées, BankMed Liban et BankMed Suisse refusent de confirmer ou de commenter dans le détail, arguant notamment que la loi suisse ne leur permet pas de divulguer des informations relatives à des clients spécifiques. « Chaque banque suit et respecte strictement les lois et règlements applicables en matière de conformité et de lutte contre le blanchiment d’argent. Nous n’ouvrons pas de comptes et n’effectuons pas de transactions pour des personnes ou des sociétés sous sanctions, ou dont les bénéficiaires effectifs font l’objet de sanctions », précise notamment la maison mère libanaise dans une réponse écrite aux questions de Congo Hold-up. « Si des clients existants qui n’étaient pas soumis à des sanctions auparavant en font l’objet par la suite, nous cesserons d’effectuer des transactions sur leurs comptes et/ou les fermerons, en coordination avec nos régulateurs », ajoutent les deux établissements dans leurs réponses respectives.

Conseil #3 : se choisir un État complaisant

Si entre 2011 – lorsqu’ont commencé les transferts – et 2013, l’affiliation de GAIT à Ovlas n’était pas immédiatement apparente, un rapport d’audit commandé par le gouvernement congolais établit clairement le lien à partir de cette date.

L’audit porte sur les prix des denrées de première nécessité et le « commerce triangulaire » dont est victime la RDC. Il est réalisé par le cabinet MENAA Finance pour le compte du ministère de l’Économie. Les auteurs de ce rapport, remis en 2013, expliquent que leur travail « se base sur un long processus, démarré en octobre 2012 à Kinshasa puis Matadi et poursuivi dans plusieurs pays d’origine ou de facturation des denrées alimentaires dites de première nécessité en RDC ».

Ce rapport détaille des « pratiques anticoncurrentielles » qui expliquent la vie chère dont souffrent aujourd’hui encore les Congolais : « Des ententes tacites entre importateurs », le recours à « des fournisseurs basées dans des pays comme le Liban, Monaco, les Îles Vierges britanniques » ou même de « sociétés écrans basées dans des paradis fiscaux ».

Il cite Congo Futur en exemple et « confirme » que Global & Infinite Traders SAL (GAIT), ainsi que deux autres sociétés (Leaders of Supply and Products et Galaxy Flame Trading), fournissent 85% des approvisionnements du conglomérat basé au Congo et appartiennent à Ovlas. Encore une fois, rien n’est caché. Selon ce rapport, « en réalité », ce ne sont qu’une seule et même entité. Ces trois sociétés offshore libanaises sont « représentées par un seul bureau qui gère toutes les opérations », « dont l’adresse n’est pas celle qui figure sur les factures fournies en RDC ». Son activité se résume à la gestion des approvisionnements et la relation avec des fournisseurs.

Le lien entre elles est assuré par Imad Hassoun, à la fois actionnaire de GAIT, référent d’Ovlas Trading et représentant de Leaders of Supply and Product. L’homme est, en outre, décrit comme le « confident et lieutenant » de Kassem Tajeddine par la justice américaine qui l’accuse, en novembre 2016, d’avoir aidé Congo Futur à restructurer son empire commercial. Imad Hassoun n’a pas répondu à nos questions.

Par ailleurs, toujours selon le rapport de Menaa, GAIT est intégrée non seulement à Ovlas, mais aussi à Congo Futur, comme l’indique Imad Hassoun aux auditeurs de Menaa.

Faute d’action entreprise par BankMed Suisse, des transferts se poursuivent néanmoins jusqu’en avril 2015, parfois effectués jusqu’à quatre par jour pour des montants oscillant entre 50 000 et 385 000 dollars.

Le gouvernement congolais ne prend pas, lui non plus, de mesures. Interrogé par RFI, un ministre de l’époque explique que ce rapport visait essentiellement à propulser Egal, une société créée par des proches de Joseph Kabila. « Une réunion est organisée au ministère de l’Économie pour obtenir de remettre les prix à la normale. Mais il faut s’imaginer que c’est Albert Yuma, le patron de Fédération des entreprises du Congo, qui s’y oppose », explique-t-il. « Il ne voulait pas que le prix baisse et que le système s’effondre ».

Interrogé sur son rôle dans le scandale d’Egal, Albert Yuma, qui est l’un des actionnaires de cette société, n’a pas donné suite.

Conseil #4 : obtenir des fonds d’une grande organisation internationale

Une filiale de Congo Futur, la Société congolaise de construction moderne (SCCM), a pu recevoir 7,14 millions d’euros du Fonds européen de développement (FED) entre 2015 et 2017 dans le cadre des marchés publics portant sur l’amélioration de l’infrastructure judiciaire, policière et navale de la RDC. Sur les 7,14 millions d’euros versés, au moins 4,47 millions d’euros ont transité par les comptes de la SCCM hébergés par la BGFIBank-RDC.

Contactée, la SCCM explique elle-même que le montant de ces contrats financés par des fonds européens « atteindrait au moins neuf millions d’euros ». « Il n’y a pas eu d’irrégularités », a-t-elle fait savoir par écrit à l’enquête Congo Hold-up.

D’un point de vue purement légal, « il n’y a pas de risques légaux particuliers dans la mesure où ces paiements ont été effectués en euros et qu’ils ne concernent pas des citoyens américains », explique Me Robert Clifton Burns, avocat du cabinet Crowell & Moring à Washington DC, spécialisé sur les questions de sanctions. « Par ailleurs, le Fonds européen de développement possède une immunité souveraine, d’autant plus qu’il fournit un appui à l’aide au développement et qu’il ne mène pas des activités commerciales. »

Sur le papier, Congo Futur et la SCCM sont deux compagnies bien distinctes, aussi bien d’un point de vue managérial qu’actionnarial. La SCCM est, en effet, gérée par un Libanais, Abdel Karim Berry, d’après le registre du commerce congolais. Elle est détenue à 90% par une offshore libanaise, la Luzerne Commerce Company LCC SAL, et à 10% par son gérant.

L’enquête Congo Hold-up révèle pourtant qu’il existe des liens forts entre la SCCM et Congo Futur à différents niveaux. D’abord, du fait de sa localisation : cette entreprise de construction est domiciliée dans la Future Tower, le siège de Congo Futur, largement désertée depuis les sanctions américaines.

De nombreux autres recoupements sont possibles. Ainsi, dans des échanges d’e-mails avec la BGFI, un certain Mohammed Ali Chihi signe indifféremment en tant que directeur du département juridique du groupe Congo Futur ou de la SCCM.

Par ailleurs, un nombre de personnes employées par la SCCM communiquent avec la BGFI afin de réaliser certaines actions (transferts d’argent, échanges de devises, réponses aux demandes d’information) en utilisant leur adresse e-mail « @kintrading.com «. C’est le cas d’Abed Hassan Farhat, à la fois actionnaire de Congo Futur et directeur financier de Kin Trading, d’Ahmed Tajeddine, directeur et actionnaire de Congo Futur, et de Youssef Sleiman, directeur et actionnaire de Glory Group, considéré comme le successeur de Congo Futur.

Or, Kin Trading SPRL, on l’a vu, est bien identifié dès 2011 par plusieurs banques comme une entité opérationnelle de Congo Futur.

Des liens que la SCCM dément fermement, se bornant à évoquer une « relation commerciale dans les règles » avec Kin Trading SPRL, limitée à « l’achat de béton, construction des hangars ». Elle affirme par ailleurs ne même pas connaître Ahmed Tajeddine.

Contactée, la Commission européenne a expliqué, de son côté, ne disposer « d’aucune information sur ces liens présumés. » et qu’il s’agissait « de contrats de travaux et de fournitures, attribués à la suite d’une mise en concurrence, conformément à nos procédures de passation de marchés ». « La procédure d’attribution des marchés », assure encore la commission, « prévoit la vérification systématique, avant l’attribution, de l’absence de soumissionnaire sur la liste d’exclusion de l’Union européenne (Système de détection précoce et d’exclusion, anciennement Système d’alerte précoce). Cette vérification a été effectuée pour l’attribution des marchés à SCCM, qui ne figure pas sur cette liste. »

Alors que la SCCM recevait des financements européens, elle procédait par ailleurs à des transferts de plusieurs millions de dollars de ses comptes à la BGFI vers plusieurs compagnies situées aux Émirats arabes unis. Parmi elles, une entreprise se distingue : Epsilon Trading FZE. La compagnie appartient en effet au frère d’Ahmed, Kassem Tajeddine, qui est placé sur la liste des « ressortissants spécialement désignés » du Bureau de contrôle des avoirs étrangers (OFAC).

Les documents Congo Hold-up montrent qu’Epsilon Trading FZE a reçu directement plus de 6,7 millions de dollars venant des comptes de la SCCM à la BGFI. Epsilon Trading FZE est d’autant moins inaperçu que Kassem Tajeddine a reconnu lui-même avoir utilisé la compagnie afin de blanchir de l’argent et de contourner les sanctions américaines en vigueur. Il a été jugé coupable par la justice américaine dans cette affaire en 2017 pour avoir délibérément dissimulé son association avec Epsilon Trading FZE, afin de conduire plus de 27 millions de dollars de transactions avec des entreprises américaines, violant ainsi ces interdictions.

Concernant ces virements vers Epsilon, la SCCM reconnaît qu’il est « possible » qu’ils aient eu lieu, « pour l’achat des matériaux ou des engins », tout en insistant qu’elle n’avait pas connaissance qu’Epsilon appartenait à Kassem Tajeddine, quelle « ne connaît même pas ».

Conseil #5 : se faire de nouveaux amis

Félix Tshisekedi, le nouveau président, a beau être un allié des États-Unis, les sanctions américaines ne semblent pas davantage respectées depuis 2019. Tous les ans, des ONG, dont certaines partenaires de Congo Hold-Up comme The Sentry ou la Plateforme de protection des lanceurs d’alerte d’Afrique (PPLAAF), ont publié des rapports pour dénoncer le contournement des sanctions occidentales, via la RDC par des hommes d’affaires étrangers, qu’ils soient israélien, nord-coréen ou libanais.

Les révélations ne touchent pas que la BGFI, mais d’autres banques comme Afriland First Bank et la nigériane Access Bank. Contacté, le lanceur d’alerte de la filiale en RDC de cette dernière, Israël Kaseya, explique comment Congo Futur opérait dans sa banque et son récit correspond point par point à ce qu’on retrouve dans les documents Congo Hold-up.

« Trois personnes géraient tous les comptes des sociétés liées à Congo futur, dont Abed Hassan Farhat et Youssef Sleiman. Ils établissaient une nouvelle société presque chaque mois. On n’a jamais vu les actionnaires officiels, qui étaient des employés de Congo Futur », explique-t-il à Congo Hold-up. « Et lorsque nous avons dû geler le compte de la SCCM à la suite d’un signalement de notre banque correspondante, ils sont allés jusqu’à ouvrir des comptes fictifs, pour lesquels ils n’ont fourni aucune documentation légale sur leur nature et l’identité des titulaires », poursuit le lanceur d’alerte.

Ces propos sont fermement niés par la SCCM qui indique notamment, dans un courrier à Congo Hold-up, avoir « trouvé d’autres moyens pour recouvrer (ses) droits (et rester) en conformité avec la législation congolaise. »

Access Bank avait déjà démenti ces accusations à RFI. Un haut responsable de cette banque avait expliqué que « les Libanais ont tous les mêmes noms, ça peut prêter à confusion, mais en réalité, il ne s’agit pas des mêmes personnes. » Access Bank RDC avait dit avoir vérifié toutes les allégations, mais n’y trouve aucun fondement. « Nous n’avons jamais eu de comptes liés à Congo Futur. Glory Group avait ses bureaux dans un immeuble lui appartenant, mais la société a même déménagé pour éviter des problèmes », ajoutait encore le haut cadre de la banque.

Les sociétés héritières de Congo Futur ont encore de beaux jours en République démocratique du Congo. L’un de ses plus gros chantiers immobiliers va enfin voir le jour, idéalement situé au bord du puissant fleuve Congo : les River Twins Tower. Deux tours de 26 étages dont la construction avait été suspendue, car une partie du terrain se trouvait sur le domaine de l’État. C’est Alexis Thambwe Mwamba, alors ministre de la Justice, qui traitait ce dossier à l’époque.

Contacté, l’ancien garde des Sceaux explique que les « promoteurs » ont construit une première tour sur un terrain « appartenant à des privés » et « qui ne donnait lieu à aucune contestation ». Mais ils ont construit la deuxième tour sur un « espace relevant du domaine public de l’État », « sans l’accord des autorités publiques », « d’où le contentieux ». Les travaux étant avancés, Alexis Thambwe Mwamba dit avoir fini par signer un « compromis » et le fait publier au journal officiel « pour assurer que nul ne (le) remettra en cause ».

Ce protocole d’accord, signé le 9 décembre 2016, prévoit que la SCCM « cède à titre d’indemnisation » l’immeuble érigé par elle sur le terrain du domaine public de l’État « qui se fera délivrer le titre de propriété par le seul fait du présent protocole d’accord. » Le nom d’Ahmed Tajeddine figure comme « concessionnaire ordinaire » de la parcelle 4 260.

Après l’arrivée au pouvoir du nouveau président Félix Tshisekedi, cet accord est rompu… par l’État congolais ! Le 5 décembre 2019, le ministre de l’Urbanisme, Pius Muabilu, transfuge de l’ancienne majorité présidentielle, signe un arrêté ministériel « portant restitution des droits fonciers et immobiliers relatifs à la parcelle 4260/2 à la Société SCCM Sarl » qui abroge « toutes les dispositions antérieures ».

Contacté, Pius Muabilu n’a pas donné suite.

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