Le Coordonnateur des recherches sur la violence à l’institut Ebuteli, Pierre Boisselet décrypte le contexte dans lequel s’inscrivent les attaques des rebelles du M23 contre l’armée congolaise.
Propos recueillis par Cyril Bensimon
L’est de la République démocratique du Congo (RDC) sera-t-il le théâtre d’une nouvelle guerre régionale ? Dans un contexte de tensions entre l’Ouganda et le Rwanda, les anciens rebelles du Mouvement du 23-Mars (M23) sont repassés ces derniers jours à l’attaque contre l’armée congolaise. Kinshasa accuse Kigali d’être derrière ce retour en scène des insurgés – ce que le Rwanda dément –, alors que l’armée ougandaise intervient depuis novembre 2021 à ses côtés dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri. Pour Pierre Boisselet, l’un des coordonnateurs d’Ebuteli, institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence, le scénario du pire ne peut être exclu.
Comment expliquez-vous cette reprise du conflit entre le M23 et l’armée congolaise ?
Le premier facteur est que les combattants de l’ancienne rébellion du M23, défaits militairement en 2013, n’ont jamais été capturés ou réinsérés dans la société congolaise. A cette époque, ils avaient fui pour partie en Ouganda et pour partie au Rwanda. Le processus politique qui devait leur permettre de revenir n’a pas fonctionné pour tous les combattants.
Dès 2017, une partie d’entre eux ont donc commencé à reprendre les armes et à retourner dans l’est de la RDC. En parallèle de combats sporadiques avec l’armée, ils ont en vain tenté de négocier avec le gouvernement congolais. A partir de novembre 2021, les affrontements ont repris bien plus violemment, avec de premières attaques contre les FARDC [Forces armées de la RDC] et les gardes du parc national des Virunga, une volonté de s’emparer de stocks d’armes et de ravitaillements, laissant penser à un projet d’installation de la rébellion dans la durée.
« Une partie des autorités congolaises est convaincue que cette résurgence du M23 est poussée par Kigali »
L’autre facteur explicatif se trouve dans les tensions entre l’Ouganda et le Rwanda. Les deux pays sont en compétition pour exercer une influence sur l’est de la RDC. Depuis 2021, le pouvoir congolais de Félix Tshisekedi s’est beaucoup rapproché du président ougandais, Yoweri Museveni, lui accordant notamment un droit d’intervention dans l’est du pays pour traquer un autre groupe rebelle, les islamistes des ADF [Forces démocratiques alliées].
Ce développement a certainement beaucoup irrité le gouvernement rwandais. En tout cas, une partie des autorités congolaises est convaincue que cette résurgence du M23 est poussée par Kigali. A ma connaissance, il n’existe pas de preuves de ce soutien. Cependant, l’hypothèse de facilités offertes par le Rwanda au M23 ne peut être écartée, tant on connaît les liens forts qui ont pu exister entre eux par le passé.
La RDC a accusé le Rwanda de soutenir le M23 et dit même avoir arrêté deux soldats rwandais sur le terrain. L’Ouganda appuie désormais les FARDC dans leur combat contre le M23. Une escalade régionale, avec une fois de plus le Congo comme terrain d’affrontement, vous paraît-elle envisageable ?
Je pense que c’est le risque majeur. Ira-t-on à ce scénario du pire ? Je ne sais pas. On peut espérer que les différentes parties feront preuve de retenue, même si cela n’a pas été toujours le cas. L’armée congolaise a, de mon point de vue, fait des déclarations à l’emporte-pièce en affirmant avoir capturé ces derniers jours des soldats venant de l’armée rwandaise – ce qui semble faux. Mais la présence de l’armée ougandaise si proche de ses frontières pourrait être interprétée par le Rwanda comme une menace. Et l’inciter à s’impliquer davantage.
Quels sont les enjeux locaux dans cette zone des trois frontières, près de Bunagana, où se concentrent les combats ?
L’enjeu est essentiellement la maîtrise des routes commerciales, légales ou illégales. L’est de la RDC regorge de ressources, notamment minérales. Malgré l’instabilité, c’est aussi un marché de consommateurs. Ces régions font partie des zones les plus peuplées du Congo et leur enclavement oblige à passer par les pays voisins pour accéder aux ports de l’océan Indien.
Pour comprendre cette crise, il est d’ailleurs utile de préciser que l’un des facteurs de rapprochement entre les présidents congolais et ougandais a été la réhabilitation de routes reliant l’est de la RDC à l’Ouganda. Un enjeu actuel concerne notamment la voie entre Bunagana et Goma, contournant le Rwanda. Sa réhabilitation devrait avoir un impact sur la maîtrise des routes commerciales par Kampala, au détriment du Rwanda.
Pourquoi les initiatives de sécurisation régionale de l’est congolais, comme la création de brigades mixtes avec les pays frontaliers proposée par Félix Tshisekedi au début de son mandat, ont-elles toutes échoué ?
Cette initiative-là avait surtout échoué pour des raisons internes à la RDC. Félix Tshisekedi était encore à l’époque dans une coalition avec [l’ex-président congolais] Joseph Kabila, qui, lui, était contre cette proposition. L’opinion publique congolaise est par ailleurs extrêmement réticente à toute intervention des pays voisins sur son sol. Félix Tshisekedi n’était donc pas allé au bout de ce processus, voyant bien le risque politique qu’il comportait.
« La RDC est pour les pays de la région une zone d’influence et d’affrontement pour ses ressources »
D’une manière plus générale, la RDC est pour les pays de la région une zone d’influence et d’affrontement pour ses ressources. Les initiatives du gouvernement congolais pèsent donc relativement peu face aux enjeux économiques et sécuritaires. Dans les faits, si l’est de la RDC, territoire toujours très mal contrôlé par l’Etat, représente encore une menace sécuritaire pour ses voisins, la défiance entre l’Ouganda et le Rwanda me semble demeurer le moteur de la crise actuelle.
Pourtant, certaines hautes personnalités ougandaises, comme Muhoozi Kainerugaba, le fils et possible successeur du président Museveni, ne cachent pas leurs liens avec Paul Kagame…
Il y a effectivement une dynamique de réconciliation qui a commencé il y a plus d’un mois et s’est manifestée notamment par le voyage de Muhoozi Kainerugaba à Kigali et la réouverture de la frontière entre le Rwanda et l’Ouganda. Il est cependant difficile d’interpréter la profondeur et la sincérité de cette réconciliation. Pour le fils du président Museveni, ce rapprochement s’inscrit très probablement dans une logique de positionnement pour la succession de son père, sachant qu’il est contesté au sein du régime ougandais.
Mardi 29 mars, la Monusco a perdu huit hommes et un hélicoptère dans la zone des combats, possiblement abattu par l’un des deux camps. Une intervention forte des casques bleus aux côtés de l’armée congolaise, comme en 2013, vous paraît-elle envisageable ?
Je pense qu’elle est souhaitée par le pouvoir congolais. Je ne sais pas cependant si on verra la même détermination de la Monusco à appliquer une stratégie militaire. Encore cette semaine à New York, la cheffe de la Monusco, Bintou Keïta, a insisté dans son discours sur le fait que les solutions militaires ne pouvaient pas tout régler et qu’un processus politique était nécessaire pour la résolution des problèmes de l’est de la RDC.
Quel bilan peut-on faire de l’état de siège décrété en mai 2021 au Nord-Kivu et en Ituri ?
Il est très insatisfaisant. Depuis sa proclamation, l’état de siège n’a pas entraîné de baisse du niveau de violence. Dans certaines zones, celui-ci a plutôt tendance à s’aggraver contre les civils. Transférer le pouvoir civil à des militaires ne paraît pas être la réponse adaptée à la situation, quand on sait à quel point l’armée congolaise souffre de multiples problèmes. Cette gestion des provinces qui lui ont été confiées a par ailleurs pu détourner l’armée de sa vocation première de défense du territoire.
Cyril Bensimon – Le Monde