Face aux rebelles du M23, le pouvoir de Felix Tshisekedi apparaît dangereusement isolé
La relative solitude du président Tshisekedi face aux rebelles du M23 pourrait refléter des doutes sur son leadership : n’est pas de Gaulle qui veut.
Prenant ses fonctions, Jeff Nyagah, le commandant de la force kényane dépêchée par la communauté est africaine, a déclaré qu’il empêcherait Goma de tomber.
Aidez-nous… On va nous envoyer au front et nous n’avons même pas une boîte de sardines… »
Depuis que le président Tshisekedi a lancé un « appel patriotique » à ses compatriotes demandant aux jeunes de s’engager pour défendre leur pays, ils sont des milliers à avoir répondu. A Goma, un premier contingent de volontaires a été envoyé en formation à Kitona dans le Bas Congo, d’autres sont prêts à monter au front sans tarder car, ayant déjà été enrôlés au sein des Mai Mai (groupes armés formés sur une base ethnique) ils assurent avoir l’expérience des armes.
Cependant, si la population congolaise, dans sa vaste majorité, entend défendre l’intégrité territoriale du pays, dénonce les appétits des pays voisins et se dit prête à suivre l’appel du chef de l’Etat, entre le discours et la réalité, la marge est cruelle : même dans un Nord-Kivu placé sous état de siège, l’intendance ne suit pas, et chacun sait que seuls les camps militaires entourant Kinshasa ont bénéficié de quelques avantages.
Officiellement, médiateurs et pacificateurs s’activent cependant : prenant ses fonctions, le commandant de la force kényane dépêchée par la communauté est africaine a déclaré qu’il empêcherait Goma de tomber et Uhuru Kenyatta, l’ancien président kényan désigné comme médiateur s’efforce de parvenir à une négociation. Une tâche difficile car le M23 aujourd’hui qualifié de « groupe terroriste » (donc exclu de tout dialogue) avait bel et bien été enregistré comme groupe congolais…
Malgré les efforts déployés sur le plan régional, la frustration est palpable à Kinshasa où l’on met en cause tant les Nations unies que les alliés traditionnels. C’est ainsi que les critiques dénoncent le régime dit de « notification », qui contraint Kinshasa à informer l’ONU de ses achats d’armes et d’équipements militaires. Cette mesure – qui n’est pas un embargo – s’explique cependant par le fait que les Forces armées congolaises sont régulièrement accusées de vendre des armes aux groupes armés, dont les FDLR (rebelles hutus) rwandais.
Une autre ambiguïté reprochée à Kinshasa porte sur le haut commandement militaire : parmi les gradés récemment nommés figurent des hommes comme Tommy Tambwe, chargé de la démobilisation et du désarmement alors qu’il est lui-même un ancien du M23, et John Tshimbangu, ex-rebelle mais Kasaïen d’origine, nommé à la tête de la 21e région militaire couvrant le Kasaï.
Faiblesse de la communauté internationale
Malgré le fait que la Monusco ait reconnu que les assaillants du M23 bénéficiaient probablement d’un soutien extérieur et disposaient d’un armement moderne auquel les Casques bleus ne pouvaient faire face (un hélicoptère onusien a été abattu faisant huit morts), la réaction de la communauté internationale surprend par sa faiblesse.
Les autorités de Kinshasa ont beau dénoncer le fait que les rebelles occupent un territoire frontalier avec le Rwanda qui s’élargit sans cesse et s’étend jusqu’au fertile massif du Masisi et au parc des Virunga, souligner que le contrôle des voies d’écoulement des matières premières (or, coltan, lithium) vers le Rwanda et l’Ouganda représente le véritable enjeu de cette guerre, rappeler que la population s’oppose à une tentative de balkanisation du pays, l’Europe tarde à réagir. De même que la Belgique : Bruxelles se contente, par la voix de la secrétaire d’Etat à la migration, de décourager les candidats réfugiés congolais de faire le voyage (alors que, pour cette année seulement, le Congo compte 700.000 déplacés…) et le gouvernement semble avoir oublié que lors de sa visite à Kinshasa le roi Philippe avait défendu le principe de l’intégrité territoriale de l’ancienne colonie.
C’est avec amertume que le pouvoir congolais compare cette inaction avec le soutien occidental apporté à l’Ukraine (alors que, dans les deux cas, la population fait courageusement face à l’agresseur) et va jusqu’à dénoncer un complot international dont l’accès aux matières premières serait l’enjeu véritable. Cependant, d’autres considérations pourraient s’imposer.
En effet, lorsqu’il s’agit de mobiliser toutes les forces patriotiques, le pouvoir de Félix Tshisekedi suscite bien des suspicions. N’est pas le général de Gaulle qui veut…
C’est ainsi qu’un interlocuteur de Goma nous rappelle que « des notables locaux, membres politiques du M23 font toujours partie de l’Union sacrée, (la coalition qui soutient Félix Tshisekedi et qui lui avait permis de faire éclater la majorité parlementaire de l’ancien président Joseph Kabila). » En outre, nul n’a oublié qu’au lendemain des élections, – que le candidat Tshisekedi n’avait pas gagnées – le président rwandais Paul Kagame, qui se trouvait alors à la tête de l’Union africaine, avait fini par s’incliner après avoir initialement dénoncé la fraude électorale. Peu de temps après, le président Tshisekedi se rendit à Kigali pour se recueillir devant le mémorial aux victimes du génocide et accorder de substantiels avantages économiques au Rwanda (comme l’exploitation de l’or du Maniéma ou l’ouverture des aéroports congolais à la compagnie Rwandair). L’autre voisin de l’Est, l’Ouganda, reçut également l‘autorisation de construire une route permettant d’évacuer l’or du Kivu vers une raffinerie de Kampala. Au grand dam de Kigali…
Autrement dit, le chef de l’Etat, désireux d’obtenir une pacification rapide et soucieux de se démarquer de son prédécesseur Joseph Kabila, tendit la main à tous ses voisins. Auprès de tous, il multiplia les promesses, additionna les voyages dispendieux et, sur le plan intérieur, autorisa que les émoluments des députés passent à 21.000 dollars par mois. Ce qui lui permit d’acheter l’adhésion d’une majorité d’élus à son « Union sacrée » mais plomba des finances qui auraient pu servir à renforcer l‘armée et la cohésion sociale.
Passivité de la Belgique
Alors que les élections sont prévues pour fin 2023, le doute apparaît : la guerre et la mobilisation patriotique ne seront-elles pas utilisées comme arguments pour remporter le scrutin ou pour le reporter ? La crise ouverte avec le M23 ne fournira-t-elle pas l’occasion de disqualifier de potentiels rivaux ? Déjà le retour à Kinshasa de Martin Fayulu, président de « Ensemble » et qui se présente comme le véritable vainqueur du scrutin de décembre 2018 fut perturbé par les forces de l’ordre tandis qu’à Bukavu, la cérémonie prévue pour la remise d’un prix Docteur Honoris Causa au Docteur Mukwege fut annulée in extremis sous pression de la hiérarchie de l’Eglise catholique, elle-même en phase avec Kinshasa. Quant à la redistribution des entreprises publiques, les originaires du Kasaï se sont taillés la part du lion.
Les réserves et les questions sur le leadership du « leader maximo » pourraient expliquer pourquoi l’appel à la mobilisation, même s’il a touché l’opinion, rencontre peu d’adhésion au sein de la classe dirigeante et pourquoi, malgré la gravité – humanitaire et politique- de la situation à l’Est et les risques d’une explosion de vindicte populaire, les alliés traditionnels de la RDC, dont la Belgique, demeurent anormalement passifs.
Le Soir /Colette Braeckman