Poursuivant les groupes armés locaux et surtout leurs propres opposants opérant en territoire congolais, plusieurs armées de la région se déploient dans l’est du Congo, avec l’approbation du président Tshisekedi.
Vingt-cinq ans après la fin de son mandat, Mobutu est regretté par certains Congolais qui estiment que si le Léopard de Kinshasa régnait toujours sur le Congo, toutes ces tensions n’existeraient pas.
Alors qu’il était encore chef d’état-major de l’armée rwandaise et avait dirigé les opérations durant les deux guerres du Congo (1996-97 et 1998-2002), James Kabarebe aimait répéter que le Congo représentait la « profondeur », autrement dit le recul nécessaire à toute action militaire, la possibilité de se déployer sur un terrain plus vaste que le petit pays des Mille collines. Autrement dit, c’est en territoire congolais que le Rwanda, minuscule et surpeuplé, entendait affronter ses adversaires, politiquement et militairement regroupés au lendemain du génocide des Tutsis et de l’exode des Hutus après la victoire du Front patriotique rwandais. Cette « profondeur », plusieurs pays voisins du Congo sont bien décidés à en profiter pour lancer leurs troupes, le Rwanda bien sûr, mais aussi le Burundi, qui dans le Sud-Kivu a déjà dépêché des miliciens Imbonerakure (jeunes Hutus recrutés par le régime) et vient de décider d’envoyer des troupes régulières. Il s’agit moins de pacifier le Sud-Kivu que de combattre, sur toute la « profondeur » requise, des groupes d’opposants armés « Red Tabara » parmi lesquels des Tutsis, issus des camps de réfugiés installés au Rwanda et préférant affronter le régime militaire hutu au départ du territoire congolais.
Depuis le séisme régional que furent le génocide au Rwanda en 1994 et la chute du régime Mobutu en 1997, l’Est du Congo est devenu un immense champ d’opérations militaires, le théâtre de ce que l’on appelait à l’époque la « première guerre mondiale africaine » au vu du nombre de pays impliqués aux côtés du Rwanda : l’Ouganda bien sûr, mais aussi l’Angola, le Zimbabwe, et même des éléments venus d’Erythrée voire de Somalie.
Durant des décennies, le Zaïre de Mobutu, avec sa redoutable Division spéciale présidentielle et ses services de renseignements efficaces avait représenté une puissance régionale soutenue par l’Occident, qui ne craignait pas d’intervenir au Rwanda, au Burundi et même au Tchad (pour contrer la Libye de Kadhafi). Mais le déclin du régime, puis la chute du « Guide », de l’« homme fort » respecté à l’Ouest représentèrent un véritable basculement : à la fois craint, critiqué et respecté, le « géant zaïrois » puis congolais n’était plus qu’un tigre de papier sinon une proie pour tous les prédateurs et Laurent Désiré Kabila, le « tombeur de Mobutu » qui entendait remettre en place un régime fort, ne tarda pas à être assassiné en 2001.
Une politique trop souple
La leçon fut retenue et mondialisation oblige, les portes du coffre-fort congolais durent s’ouvrir au nom de la libéralisation… Ce fut la ruée vers le coltan, vers l’or, vers le cuivre du Katanga, vers les métaux rares et ces ressources qui se dirigèrent vers les pays industrialisés, dont la Chine nouvelle venue, transitèrent par les pays de la région, principalement via les voisins de l’Est, dont le Rwanda qui put ainsi amorcer son impressionnant redressement économique. L’extraction brutale des ressources fut rendue possible par la corruption des dirigeants congolais à tous les niveaux, par l’impunité dont bénéficièrent les hommes en armes, par la violence des milices armées, liées ou non aux pays voisins ou aux ethnies locales…
Lorsque Félix Tshisekedi, un civil revenu de la diaspora et ignorant des forces opérant sur le terrain arriva au pouvoir à l’issue d’un vote contesté, sa politique de la main tendue fut d’abord bien accueillie. Multipliant les voyages, il tenta de plaire à tout le monde et en particulier à ses ombrageux voisins, qu’il combla de « cadeaux » comme autoriser les vols Rwandair sur le territoire congolais ou permettre l’exportation légale de l’or congolais vers les raffineries de Kigali ou Kampala tandis que les Occidentaux, au fil des nombreuses visites, se réjouissaient de sa « modération ». Mais non seulement chacun des voisins continua sur sa lancée, – poursuivre ses opposants dans la « profondeur » congolaise et tirer profit des ressources – tandis que les groupes armés se multipliaient comme des champignons après la pluie, chacun des chefs de guerre espérant monnayer à son tour sa reddition en échange d’un grade dans l’armée nationale ou d’un poste lucratif. L’état de siège décrété voici un an s’avéra sans effet, car l’armée n’était pas dotée de moyens suffisants, demeurait infiltrée par des officiers au passé douteux et restait soumise à un embargo implicite… Aujourd’hui, sur le corps du géant menotté, de nouvelles forces, celles de la Communauté est africaine, sont appelées à la rescousse, mais rien ne dit que, au contraire des intervenants précédents, elles feront enfin primer l’intérêt des Congolais eux-mêmes…
Les forces en présence
De l’Ituri jusqu’à la frontière avec la Tanzanie, l’Est du Congo est un vaste champ de manœuvres pour plus de 120 groupes rebelles.
« Grand Nord » congolais (Nord-Kivu et Ituri)
* Milices étrangères
– ADF (Allied democratic forces) : ces rebelles venus d’Ouganda se présentent comme des musulmans radicaux et pratiquent une politique de terreur des populations ;
– FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda) : éléments armés hutus venus du Rwanda, descendants des génocidaires de 1994.
* Milices nationales
– Codeco (Coopérative pour le développement économique du Congo) : composée de Lendu comparés aux Hutus du Rwanda ;
– UPC (Union des patriotes congolais) : fondé par Thomas Lubanga, proche des Tutsis du Rwanda ;
– FRPI (Forces de résistance patriotique de l’Ituri) : cette milice armée composée de Lendu avait été créée pour s’opposer à l’UPC. Forte de 15.000 hommes, elle a été officiellement dissoute en 2006 ;
– FPIC (Front patriotique et intégrationniste du Congo) : actif dans le territoire d’Irumu. A officiellement déposé les armes en 2022.
* Armées étrangères
– Monusco, Mission de l’ONU pour le Congo (anciennement Monuc) se compose de 14.000 militaires ;
– Forces armées ougandaises : 1.700 hommes engagés depuis novembre 2021 en RDC ;
– Mouvement du 23 mars (M23) : composé de Tutsi originaires du Nord-Kivu et réfugiés en Ouganda mais proches du Rwanda.
Sud-Kivu
* Forces étrangères
– FDLR, Forces démocratiques pour la libération du Rwanda ;
– RNC (Rwandese national Congres), force d’opposition à Kigali ;
– Groupe armé burundais Red Tabara (composé de Tutsi burundais initialement réfugiés au Rwanda) ;
– Imbonerakure : miliciens burundais envoyés en territoire congolais par le régime (hutu) de Bujumbura ;
– FNL (Forces nationales de libération) : groupe armé burundais ;
– Six cents militaires burundais sont déjà arrivés au Sud-Kivu ;
– RNC (Rwandese national congres) groupe armé composé de Tutsi rwandais opposé au président Kagame ;
* Forces nationales
Des dizaines de groupes armés évoluent dans le milieu, défendant leur terroir contre les troupes étrangères et s’alliant parfois avec certaines d’entre elles comme les FDLR.
Le Soir /Colette Braeckman