L’Afrique et le désarmement nucléaire (Sims Nono Simabatu)

Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté en juillet 2017 par 122 États, soit les deux tiers de la communauté internationale, est entré en vigueur le 22 janvier 2021, ayant recueilli plus de 50 ratifications. Comment les pays africains ont-ils contribué à ce résultat et que devraient-ils faire de plus ?

Parmi les plus importants acteurs, la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN), lauréate du prix Nobel de la paix en 2017, a déclaré, par l’intermédiaire de sa Directrice exécutive, Beatrice Fihn, que l’entrée en vigueur du traité constituait « un nouveau chapitre du désarmement nucléaire ». Des décennies d’activisme ont permis de réaliser ce que beaucoup jugeaient impossible : « les armes nucléaires sont interdites ». Le TIAN interdit notamment la mise au point, l’essai, la possession, le transfert, l’emploi ou la menace de l’emploi des armes nucléaires. Il oblige aussi chaque État partie à intégrer dans son droit interne toutes les interdictions de coopérer, participer à ou financer des activités liées aux armes nucléaires.

En ce qui concerne les pays africains, cette date doit être également l’occasion de souscrire et confirmer et renforcer leur engagement pour l’interdiction des armes nucléaires et d’en faire un axe prioritaire pour l’Afrique. En effet, ceci est exigé par les conséquences humanitaires catastrophiques potentielles des armes nucléaires pour le continent africain même si elles étaient employées sur d’autres continents. Les armes nucléaires représentent des « menaces communes pour la sécurité de l’Afrique », comme le souligne la Politique africaine commune de Défense et de Sécurité de l’Union africaine (UA) de 2004.

Les pays africains ont joué un rôle de premier plan dans la négociation et dans l’adoption du TIAN, le premier instrument mondial juridiquement contraignant à interdire les armes nucléaires. L’appui de principe des États d’Afrique en faveur du traité et leur engagement ferme et constant en faveur de la réalisation d’un monde sans armes nucléaires s’est reflété dans l’adoption, la signature et la ratification du TIAN. Sur 193 États membres de l’ONU, 54 sont d’Afrique (28 %) ; parmi ceux-ci, 40 ont voté en faveur du TIAN (21 %) ; sur les 86 signataires, 29 sont africains (un tiers), mais sur les 52 États qui ont ratifié le traité, seulement 7 sont africains (13 %).

Les États africains avaient déjà déployé des efforts substantiels à l’échelle mondiale en faveur de la non-prolifération et du désarmement nucléaires. A l’exception du Soudan du Sud, nouvellement indépendant, tous les États africains sont parties au Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), qui vise à empêcher la dissémination des armes nucléaires, à progresser vers le désarmement nucléaire et à faciliter les utilisations pacifiques de l’énergie nucléaire. C’est un engagement louable qui renforce l’engagement du continent consistant à faire de l’Afrique une zone exempte d’armes nucléaires, la plus vaste, par le Traité de Pélindaba de 1996. Le seul pays africain à avoir mis au point des armes nucléaires, l’Afrique du Sud, a montré l’exemple en les éliminant.

Toutefois, en dépit de ces efforts considérables, il est essentiel que les États africains élargissent leurs actions et continuent à travailler de façon collective en faveur du désarmement multilatéral car l’emploi d’armes nucléaires ou la réalisation d’essais nucléaires où que ce soit dans le monde aurait des répercussions importantes et immédiates sur l’Afrique. La plupart des États africains ont signé et ratifié le Traité d’interdiction totale des essais nucléaires, mais trois d’entre eux doivent encore le signer et huit le ratifier.

A ce jour, environs 13 410 armes nucléaires sont détenues par neuf États et 2 000 sont maintenues en état d’alerte, prêtes à être utilisées en quelques minutes. Il y a quelque temps à peine, deux États possédant des armes nucléaires – l’Inde et le Pakistan – se sont livrés à un bref conflit armé qui aurait pu les amener à utiliser, l’un contre l’autre, des armes nucléaires. S’ils l’avaient fait, les conséquences dévastatrices n’auraient pas été limitées à l’Asie. Une guerre nucléaire même limitée provoquerait une perturbation climatique mondiale et un déclin catastrophique de la production alimentaire sur la planète, pouvant mettre jusqu’à deux milliards de personnes en danger de famine. L’Afrique serait particulièrement vulnérable aux effets d’une baisse mondiale de la production alimentaire.

Le 4 avril 2019, le Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine a adopté un communiqué « [r]éaffirmant l’adoption du TIAN, rappelant le ferme soutien des États membres au processus menant à son élaboration, et rappelant que la 4ème Conférence des États parties au Traité de Pélindaba, tenue les 14 et 15 mars 2018 à Addis-Abeba a appelé les États membres de l’UA à signer et à ratifier rapidement le TIAN, soulignant qu’ il fait progresser le droit international sur le désarmement nucléaire et qu’il est conforme aux objectifs du Traité de Pélindaba […]. »

Comme souligné dans la Feuille de route de l’Architecture de paix et de sécurité pour 2016-2020 de l’UA, l’Afrique doit emprunter une voie commune vers le désarmement nucléaire, et les responsables de cet effort doivent pousser d’autres États à ratifier ou adhérer au TIAN afin de renforcer la mise en œuvre et atteindre l’universalisation du traité.

La gestion de crise d’une catastrophe nucléaire n’est pas une option réaliste et la reconstruction après un conflit serait quasiment impossible. Seule la prévention sera efficace, ce qui exige que ce sujet soit défini comme une priorité stratégique. En garantissant une mise en œuvre intégrale du TIAN, nous serons tous plus en sécurité. Cela exercera une pression sur les États dotés d’armes nucléaires et sur leurs alliés pour qu’ils prennent plus au sérieux leurs obligations en vertu du droit international en vue de mettre fin à la course aux armements et de procéder au désarmement nucléaire.

Le TIAN vient renforcer tout d’abord la lutte contre la prolifération nucléaire, mais il engage aussi le monde vers une plus grande sécurité en soumettant l’arme de destruction massive la plus dangereuse à une norme globale d’interdiction. L’Afrique peut et doit jouer un rôle central à cet égard pour sauver l’humanité et les générations futures d’une catastrophe nucléaire. Les conséquences humanitaires catastrophiques qu’aurait toute utilisation d’armes nucléaires constituent une menace pour les objectifs du développement durable (ODD) que le continent s’efforce de réaliser avec le reste du monde.

Sims Nono Simabatu Mayele[1]
mayelesimabatu@gmail.com


[1][1] diplomate de la République Démocratique du Congo, Directeur exécutif du Centre de Recherche et d’Information pour le Désarmement et la Sécurité (CRIDS), ancien élève du GCSP.

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