Les ambitions politiques à coups de compas de grands maîtres des loges africaines
Bien qu’elles proscrivent à la fois l’athéisme et le débat politique, les loges africaines dites « régulières », dont la figure tutélaire est le président congolais Denis Sassou Nguesso, sont actuellement déchirées par les ambitions politiques de leurs grands maîtres.
Accusé en décembre par les autorités de Bangui d’avoir fomenté une « tentative de coup d’Etat », l’ancien président centrafricain François Bozizé vient d’être radié de la Grande Loge du Congo, l’obédience maçonnique présidée par le chef d’Etat congolais Denis Sassou Nguesso. Son homologue centrafricain Faustin-Archange Touadéra ainsi que plusieurs hommes politiques de ce pays en font également partie. Assistant grand maître provincial de Centrafrique, qui dans la géographie maçonnique est une dépendance de la Grande Loge du Congo, François Bozizé avait été initié en 2003 par le président congolais.
Interférences politiques
Affilées à la Grande Loge unie d’Angleterre, la majorité des loges africaines sont dites « régulières » et n’admettent en principe aucun débat politique en leur sein. Cette règle souffre cependant d’exceptions de plus en plus nombreuses, comme en témoigne l’exclusion de Bozizé, motivée par la politique, à telle enseigne que certaines loges nationales voient leur activité confisquée par les ambitions politiques de leurs grands maîtres.
C’est le cas au sein de la Grande Loge de Côte d’Ivoire (GLCI), dont le grand maître Hamed Bakayoko décédé, se place dans l’orbe du régime d’Alassane Ouattara, pourtant non affilié à la GLCI. L’avocat Sylvère Koyo, nommé député grand maître en décembre 2020, assure maintenant l’intérim de Bakayoko , tout en cherchant à marginaliser les frères jugés trop proches de l’opposition ivoirienne tels qu’Albert Pitté, longtemps assistant grand maître, ou David Mignonsin.
A Conakry, c’est également la politique qui sème la zizanie au sein de la Grande Loge de Guinée, dont le grand maître Abdoul Kabélé Camara n’a obtenu que 0,7 % des suffrages à l’élection présidentielle d’octobre 2020, où il se présentait contre Alpha Condé. Camara comptait sur le soutien de son homologue grand maître Denis Sassou Nguesso, mais ce dernier a plutôt pris fait et cause pour son ami Alpha Condé, lui-même membre de Grande Loge de France, entraînant avec lui de nombreux francs-maçons guinéens.
La politique déchire également la Grande Loge nationale du Mali (GLNM). Proche de Karim Keïta, fils du président déchu Ibrahim Boubacar Keïta, le grand maître Boubacar Keïta est actuellement contesté par un autre ancien grand maître, Sadio Lamine Sow, longtemps conseiller de l’ex-président burkinabè Blaise Compaoré. En l’absence de Keïta, Sow a réussi à imposer à la tête de la GLNM le grand maître Famakan Sissoko, un ingénieur de 57 ans, bien vu par la junte militaire au pouvoir à Bamako.
Influences externes
Au Togo, ce sont des influences politiques extérieures qui ont divisé la Grande Loge nationale togolaise (GLNT), l’une des plus anciennes obédiences en Afrique noire francophone. Désigné en septembre 2019 grand maître de la GLNT, Ignace Clomegah, conseiller du président togolais Faure Gnassingbé, est contesté par son « frère » Sébastien Issaka Pessinaba, un ancien inspecteur des douanes, désigné grand maître par le souverain grand comité. Proche de la Grande Loge du Congo, Ignace Clomegah est activement soutenu par le chef de l’Etat congolais qui tisse ses réseaux maçonniques en Afrique. Issaka Pessinaba, lui, est l’homme d’Ali Bongo, patron de la Grande Loge du Gabon (GLG), et qui a toujours veillé à limiter l’influence de son homologue congolais au sein des loges africaines.
Enfin, dans les prochains mois, ce sont les frères de la Grande Loge du Bénin (GLB) qui céderont définitivement aux sirènes de la politique. A la suite du décès de leur grand maître Benoît Kouassi, passé en mars « à l’Orient Eternel », selon la terminologie maçonnique, ils doivent élire un nouveau grand maître, vraisemblablement Eustache Kotingan, un expert-comptable qui est actuellement assistant grand maître. Or ce dernier est très proche du chef de l’Etat Patrice Talon et dirige, en l’absence de son président Sébastien Ajavon, exilé en France, le Conseil national du patronat du Bénin (CNP-Bénin).
Africa Intelligence