Report du voyage de Lahbib en RDC: une question d’agenda… et de déception
Bruxelles a invoqué une question d’agenda côté congolais pour justifier le report de la venue de la ministre des Affaires étrangères en RDC le mois prochain.
S’agit-il uniquement d’une simple question d’agenda côté congolais ? C’est la raison invoquée par Bruxelles pour expliquer le report du voyage en République démocratique du Congo de la ministre des Affaires étrangères Hadja Lahbib prévu en novembre – mais jamais annoncée officiellement. Les députés membres de la Commission des affaires extérieures, qui suivirent cette semaine la communication de l’ambassadeur de la RDC Emmanuel Dongala, avanceront peut-être une autre hypothèse.
En effet, le diplomate relaya explicitement une déception perceptible à Kinshasa depuis plusieurs semaines : il rappela que la RDC « demande à la Belgique d’exiger un retrait immédiat et sans conditions des troupes du M23 de la cité frontalière de Bunagana et de condamner de manière claire et ferme l’agression criminelle du M23 contre la RDC et tous ses appuis ». M. Dongala, qui avait été invité par Mme Els Van Hoof, présidente de la Commission, a expliqué également que « la RDC souhaitait que la Belgique appuie le processus de Nairobi et exige de tous les groupes armés qu’ils déposent les armes pour rejoindre le programme de désarmement et démobilisation ».
Le pouvoir congolais hausse le ton
Faisant peut-être allusion à certains « points de chute » offerts aux exportations illégales de minerais, le diplomate souhaita que la Belgique « œuvre pour le renforcement des sanctions contre des réseaux mafieux internes et externes qui exploitent illégalement les ressources naturelles de la RDC ».
De cette interpellation, on ne peut que conclure que le pouvoir congolais hausse le ton : à la tribune de l’Assemblée générale de l’ONU, le président Tshisekedi a clairement dénoncé l’agression rwandaise via les rebelles du M23 et, avec l’ancienne puissance coloniale, le climat ne serait plus au beau fixe. A Kinshasa, la déception est d’autant plus vive qu’en juin dernier, le roi Philippe avait clairement défendu le respect de l’intégrité territoriale du pays. Les Congolais considèrent que la diplomatie n’a pas suffisamment relayé cette impulsion royale et, lorsque l’on parle d’agression, le thème « deux poids deux mesures » est régulièrement répété. En outre, selon d’autres sources, Kinshasa serait courroucé par l’accueil chaleureux réservé au docteur Mukwege à chacun de ses séjours en Belgique, et commencerait à s’agacer de la multiplication, au sein de la diaspora congolaise, des groupes de soutien au prix Nobel de la paix…
Du côté belge, on s’inquiète aussi de la trop lente mise en œuvre du calendrier électoral alors que les prochains scrutins, y compris l’élection présidentielle, doivent avoir lieu avant la fin de l’année 2024.
Le ministre congolais Lutundula estime que son pays se trouve « en état de légitime défense » et que l’armée congolaise se trouve en droit « de défendre l’intégrité du territoire, la sécurité de la population et des institutions du pays. »
Il rappelle aussi que « depuis son arrivée au pouvoir, le président Tshisekedi a tout essayé pour nouer de bonnes relations avec le Rwanda, mais en vain, le président Kagame se croit réellement tout permis. »
Le rapport de Human Rights Watch balayé
Alors qu’un récent rapport de Human Rights Watch accuse l’armée congolaise de collaborer avec les FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda, composées de miliciens hutus rwandais) dans la guerre qui la met aux prises avec le M23 (mouvement composé de rebelles tutsis soutenus par Kigali), le ministre réagit avec énergie : « C’est n’importe quoi… Où se déroule cette collaboration ? Avec quels officiers ? Quelles armes, quel matériel ? Citez-moi le nom d’un seul leader ? Tous ont été tués au combat… »
Et le diplomate expérimenté, vétéran de la politique dans les Grands Lacs, conclut : « Si le Rwanda soutient de telles accusations, c’est parce que ses troupes sont déjà déployées sur notre territoire ! Tous les Rwandais qui osent critiquer le régime, entre autres depuis l’Europe, sont désormais qualifiés de FDLR. Mais avez-vous jamais entendu un opposant rwandais prendre la parole depuis la RDC ? C’est depuis l’Europe que ces derniers se manifestent, pas dans notre pays… »
Le Soir /Colette Braeckman