RDC : JACQUES TSHIMBOMBO, LE DERNIER CHEF DES SERVICES SECRETS DE MOBUTU, A TIRÉ SA RÉVÉRENCE (Tribune)

Tshimbombo_Mukuna

Son destin commence en 1974, lorsqu’un certain Alphonse Nsuka gifle l’avocat belge Jules Chomé, coupable d’avoir publié un livre – « l’ascension de Mobutu » – jugé offensant pour l’homme du 24 novembre 1965. Il est alors étudiant en première candidature en médecine et dirigeant de la JMPR/ Belgique. Lorsque la police belge se présente sur les lieux du drame, il revendique être l’auteur de la gifle et justifie le tohu bohu créé par les congolais comme une réponse légitime des zaïrois à l’impertinence de l’avocat belge. Il est aussitôt arrêté mais sera vite relâché après une réaction musclée du pouvoir de Kinshasa. Son cas fera même l’objet des délibérations du bureau politique du MPR qui salua et sa bravoure, et son patriotisme.

Aussitôt relâché, il sera appelé à Kinshasa pour travailler à la présidence de la république où il sera initié au métier d’agent de renseignements. Il évoluera plus tard dans le sillage de Seti dont il deviendra la voix et l’assistant principal, transmettant messages, menaces et promesses. Il s’y prit tellement bien que 23 années durant, il ne connut jamais de traversée du désert.

Mobutu lui sut gré de tant de loyauté et le récompensa généreusement. Deux fois gouverneurs (Bas-Congo et Kinshasa), chargé de la jeunesse et de la MOPAP et ministre des sports. Il fut aussi le grand patron d’une compagnie aérienne florissante, mais qui sombra au bout de quelques années, parce que, selon des confidences qu’il avait faites à ses proches, il avait reçu l’ordre de ne pas contrer les ambitions de SCIBE Zaïre qui était en pleine expansion.

Au lendemain du discours du 24 avril 1990, le président Mobutu le nomma conseiller politique, fonction qu’il partageait avec Ngalula Mpandanjila, un transfuge de l’UDPS. Il était un fidèle parmi les fidèles, et Mobutu comptait sur lui pour la survie de son régime. Rôle qu’il accomplit avec bonheur, et qui lui valut divers surnoms (aumônier, monsieur tirroir-caisse, etc). C’est qu’il passait pour le véritable patron de l’opposition dite alimentaire, celui qui, à défaut de compromis, avait le débauchage facile. Il nous confia lui-même qu’il avait débauché Birindwa, un des fondateurs de l’UDPS qui était aussi en charge du programme économique de l’UDPS et de l’union sacrée de l’opposition.

Il confia également sa déception. Celle en rapport avec l’attitude de l’opposition – l’UDPS principalement qui fut héroïque dans sa critique de la deuxième république et ne fit aucune concession au président Mobutu, au lendemain du discours du 24 avril. « Etienne Tshisekedi aurait dû dire: ce 24 avril 1990 est le plus beau jour de ma vie, celui qui marque l’aboutissement de la longue lutte que l’UDPS a menée pour l’instauration d’un état de droit, me confiait-il, en 1992, devant plusieurs témoins. Au lieu de cela, il a radicalisé son discours et a accueilli des anciens collaborateurs qui ont mangé avec le président Mobutu jusqu’à la veille de son discours historique. Ils ne sont pas allés vers lui pour l’aider, mais plutôt pour l’embrouiller ».

Il prit sa juste part à cet embrouillement en positionnant les siens dans le camp adverse, avec l’intention d’en plomber le fonctionnement et la prétention d’en contrôler des pans entiers.

Lorsque miné par la maladie et acculé par l’AFDL, Mobutu échoua dans sa tentative de renverser la tendance avec Etienne Tshisekedi comme premier ministre, il lui confia une dernière mission, celle de chef de la sûreté nationale, bouclant ainsi la boucle qui avait commencé en 1960, avec Nendaka aux commandes. Vieux Jacques avait, enfin, atteint le sommet des services secrets, mais ne s’installa point sur l’avenue de la justice. Il choisit plutôt l’ex quartier général de Manda Mobutu, celui où ce dernier lança et développa la société holding groupe MADOVA qu’il finit par ruiner lui-même. C’était en face de l’ex alimentation Libre Service, non loin du rond point Kin Mazières et de la résidence de feu Massamba Newman, alias Thompson.

Pour la petite histoire, il était tellement loyal, qu’il avait parfois la chicotte facile, même envers ses proches. C’est ainsi que vers la fin de la décennie 1980, mon ami Alphonse m’interpela un jour sur le ton de la galéjade: « est-ce que tu sais que Jacques Tshimbombo est un bandit? Il a fait arrêter le beau-père de son grand frère, le père de Kadima ».  Kadima et Alphonse étaient comme les Dupont de la bande de Tintin. Ils avaient fait l’IBTP ensemble puis s’étaient rendus en Belgique pour suivre des études d’architecture à la faculté de polytechnique de l’université de Mons. Le père de Kadima était propriétaire d’une imprimerie à Limete, non loin de la place commerciale; et cette imprimerie venait d’imprimer des tracts de l’UDPS appelant au renversement du régime que servait le vieux Jacques.

Une fois informé, le vieux Jacques interpela l’impertihent beau-père et le fit arrêter, avant de l’envoyer en exil dans son Mbuji-Mayi natal. Qu’aurait dit le maréchal si vieux Jacques avait procédé différemment?

Loyauté d’abord. Loyauté toujours…efficacité des services avant tout.

Le malheureux beau-père perdit son imprimerie et son beau-fils quitta les devants de la scène. La famille du beau-père déménagea de limete pour son chantier de Mont Ngafula. Un jour de 1992, alors que nous entreposions dans cette demeure plusieurs sacs de ciments que Célestin Tshimbombo (le jeune frère de vieux Jacques) venait d’acheter pour les travaux de sa résidence de Limete, je lisais à la fois la tristesse et la crainte sur le visage des parents de Kadima. Alors que nous prenions place à bord de sa Pajero pimpant neuve et quittions la demeure des Kadima, je me risquais à lui poser enfin la question sur l’arrestation du papa de Kadima. Pourquoi lui? Pourquoi le vieux Jacques?

« C’était pour le protéger, répondit avec gravité Célestin. Imagine que c’était une équipe concurrente (des services des renseignements) qui avait découvert le pot aux roses. Il aurait vécu pire, et Jacques aurait été mis en difficulté ».

Loyauté. Loyauté, et encore loyauté. Le vieux Jacques en fit preuve, jusqu’au 17 mai 1997.  Lorsque le vent tourna, il choisit l’exil, comme tous les serviteurs les plus en vu du maréchal.  Lorsque le moment vint de battre le rappel des troupes, il ne fut pas oublié. Même le tout-puissant Kengo fit le voyage vers l’Afrique du sud, pour les derniers réglages avec le dernier chef des services secrets qui avait été nommé par le maréchal Mobutu.

Il fit partie de la première équipe de sénateurs élus sous la troisième république. En 2016, il avait répondu à l’appel d’Etienne Tshisekedi et intégra le rassemblement avec ses proches.  Il faisait partie de la plateforme UDPS et alliés lorsque la mort l’a surpris au matin du 24 juin 2021. Il venait d’avoir 75 ans. 

Dieu aie pitié de son âme.

Dr Hubert Kabasele Muboyayi KALONJI

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