Le Falcon 7X de la flotte d’Etat a été immobilisé à la demande d’un homme d’affaires qui réclame le réglement d’une créance de plus d’un milliard d’euros, provoquant l’ire de la présidence congolaise.
C’est peut-être un aller simple. Vendredi 5 juin peu après 16 heures, un jet estampillé « République du Congo » s’est posé sur le tarmac de l’aéroport de Bordeaux-Mérignac. Ce Falcon 7X de la flotte d’Etat, qui a parfois transporté le président Denis Sassou-Nguesso, avant que le chef d’Etat ne privilégie des avions plus grands et plus luxueux, a été immobilisé le lendemain matin puis saisi lundi 8 juin. Ce qui a provoqué l’ire de la présidence congolaise.
A l’issue d’une âpre et longue bataille devant les tribunaux, Commisimpex, la société de Mohsen Hojeij, a fini par avoir gain de cause. La Cour de cassation de France a rendu des « décisions définitives » etune sentence arbitrale prononcée par la Chambre de commerce internationale, à Paris lui donne raison. La justice française autorise donc à saisir tout actif de l’Etat congolais, à l’exception de ceux à usage diplomatique.
Traque minutieuse d’actifs du Congo
Lors de ses derniers déplacements, l’avion prenait soin de ne pas laisser de traces sur les sites de suivi de vols. Puis, il a réapparu dans les radars ce vendredi 5 juin, parti du nord-ouest du Congo avant de se poser à Bordeaux où il devait entrer en révision. L’appareil pourrait être prochainement vendu aux enchères entre 20 et 25 millions d’euros, ou plus selon le faste de l’aménagement intérieur. « On est à l’affût et on poursuit la recherche des actifs. Dès qu’on peut saisir, on saisit », précise Me Jacques-Alexandre Genet, avocat de la société Commisimpex.
Pour l’instant, cette traque minutieuse d’actifs de l’Etat congolais a permis à la société de M. Hojeij de saisir des créances bancaires, quelques financements pétroliers ou encore des règlements fiscaux dus par des entreprises françaises. Près de 50 millions d’euros ont ainsi été récupérés, auxquels s’ajoute ce jet. Mais on est encore bien loin du 1,2 milliard d’euros.
« Commisimpex sait très bien qu’elle n’a pas le droit de saisir des biens à usage diplomatique. Or, ils ne font que ça pour nuire au fonctionnement de l’Etat qui ne se laissera pas faire, observe Me Kevin Grossman, qui défend la république du Congo. Cette saisie est nulle et on va récupérer l’aéronef », insiste-t-il même.Reste à démontrer le caractère diplomatique de l’avion civil.
Détournements de fonds publics présumés
Pour l’heure, la bataille judiciaire entre l’Etat congolais et Commisimpex se poursuit. « Cette société de droit congolais est en liquidation et a une créance fiscale à l’égard du Congo de 1,3 milliard d’euros, ajoute Me Simone Bernard-Dupré, avocat de l’Etat congolais et conseillère du président Sassou-Nguesso. Tout ce que Commisimpex saisit doit normalement revenir à Brazzaville. Mais M. Hojeij n’a pas rapatrié les fonds et se permet de saisir un jet présidentiel. C’est odieux. »
Au pouvoir depuis plus de trente ans, le président autocrate congolais et les membres de son clan sont régulièrement visés par des enquêtes judiciaires en Europe pour des détournements de fonds publics présumés et d’autres crimes économiques. Ce pays pétrolier d’Afrique centrale reste miné par la mauvaise gouvernance et l’accaparement des richesses – entre autres pétrolières – par la famille présidentielle.
Près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté et le pays cumule les dettes que le régime a tenté, en vain, de cacher au Fonds monétaire international (FMI) et aux agences de notation. Il y a celle de Commisimpex qui estime n’avoir d’autres choix que de multiplier les saisies, dans l’espoir de se rembourser. Une manière de poser le rapport de force, dans l’attente d’une négociation ? « Pour négocier, il faut être deux. Et, pour l’instant, le Congo a eu une attitude consistant à dissimuler sa dette, ce qui n’est pas tolérable », dit Me Genet.
En cette période de pandémie mondiale conjuguée à une chute du cours des matières premières, le Congo-Brazzaville s’est une fois encore tourné vers le FMI pour obtenir une aide d’urgence de plusieurs centaines de millions d’euros. La société de M. Hojeij continue de réclamer plus d’un milliard d’euros.
Joan Tilouine/Lemonde