Le rabbin Moyal, intermédiaire de la dernière chance entre Dan Gertler et Félix Tshisekedi

Le religieux et homme d’affaires américain Avraham Moyal est devenu l’émissaire de Dan Gertler au cœur du pouvoir congolais, au moment où le magnat des mines, tout-puissant sous Kabila, est sous sanctions des Etats-Unis. Sur le point d’être réhabilité consul honoraire de RDC en Israël, Gertler s’est entouré de personnalités ultraorthodoxes pour cet ultime rabibochage avec l’entourage de Tshisekedi.

S’il est habituellement discret, il arrive toutefois à Dan Gertler de s’afficher, le plus souvent pour défier ses adversaires et rappeler que malgré les sanctions américaines le ciblant, il n’a pas disparu de RDC. C’est ce qui s’est produit le jeudi 28 juillet dans le centre d’événements Kemesha, où le chef de l’Etat Félix Tshisekedi a lancé la cérémonie des appels d’offres pour 27 blocs pétroliers. Le milliardaire israélien est directement concerné : deux des permis mis en vente sont ceux du lac Albert qu’il a ostensiblement rendus au gouvernement congolais à l’issue d’un accord conclu en février.

Dan Gertler était ce jour-là bien en vue, accompagné d’un discret quadragénaire échevelé à la barbe oblongue, kippa vissée sur la tête et costume noir Hermes. Ce rabbin et financier-investisseur new-yorkais s’appelle Brams Jacob Moyal, plus connu comme Rav Avraham Moyal. Parfaitement francophone, cet Américain est parvenu à nouer une relation de confiance avec le président Tshisekedi. Cette proximité n’a pas échappé au magnat israélien, en butte à l’hostilité de l’administration de Joe Biden. Gertler s’est ainsi attaché ses services ces douze derniers mois.

Diplomatie privée

Lorsqu’il revient secrètement à Kinshasa, ce lundi 8 août, pour s’entretenir avec Tshisekedi, comme l’a révélé Africa Intelligence , Gertler est une fois encore accompagné du rabbin Moyal. Dans la capitale congolaise, deux jours plus tôt, l’intermédiaire s’est invité dans le bureau de Christophe Lutundula Apala, vice-premier ministre et ministre des affaires étrangères. Ce dernier reçoit Moyal, qu’il découvre pour la première fois et, sur consigne de la présidence, signe la lettre officielle de nomination de Dan Gertler en tant que consul honoraire de la RDC en Israël. Une fonction déjà occupée dans le passé, lorsque son ami Joseph Kabila dirigeait le pays. Sous réserve de validation par le chef de l’Etat qui détient le document, le magnat israélien pourrait bien disposer à nouveau d’un passeport diplomatique congolais – le dernier en sa possession a expiré le 27 mai 2020 – et donc d’une certaine immunité.

Une sorte de réhabilitation, en somme, dont Moyal s’enorgueillit. Avant de quitter Lutundula, l’émissaire de Gertler aborde un autre dossier, pour son propre compte cette fois : l’appel d’offres du ministère des affaires étrangères pour le contrat de production des passeports biométriques. Le rabbin tente d’intercéder en faveur d’une société israélienne, Pangea, qui a candidaté pour l’obtention du marché. Il transmet ses coordonnées personnelles au chef de la diplomatie congolaise et se retire avec le sentiment de la mission bien accomplie.

Quelques semaines plus tôt, il était à Doha, où le ministre qatari chargé des affaires étrangères, Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim al-Thani, le connaît et le reçoit. L’intermédiaire au service de Gertler lui demande alors de l’introduire auprès de conseillers du président rwandais Paul Kagame, dans l’espoir de s’immiscer dans le dossier du M23 pour le compte du chef d’Etat congolais. En vain, Kigali n’ayant pas donné suite. Sur ce coup-là, le rabbin Moyal n’a pas pu « vendre » à Tshisekedi ses services de facilitateur.

Entre spiritualité, business et diplomatie privée, le « religieux d’affaires » amateur de cigares, de cognac et de yachts cultive son entregent. Comme aux Etats-Unis dans l’entourage de l’ancien président Donald Trump et dans les milieux bancaires, aux Emirats arabes unis avec Ahmed bin Sulayem, le PDG de Dubai Multi Commodities Centre (DMCC), en Israël au sein de la galaxie de Benjamin Netanyahu, un proche de Dan Gertler, et plus particulièrement dans les cercles ultraorthodoxes. Comme tout intermédiaire, il prend plaisir à amplifier ses relations.

Genèse entre mystique et capital-risque

Né en France en 1979 et établi à New York, Moyal y a fondé sa communauté religieuse, Aish Hachaim, et sa société de private equity, The Cingulate Group, qui dispose également d’une branche conseil et philanthropie. Parallèlement à ce véhicule d’investissement, il prend à titre personnel des participations dans des sociétés technologiques israéliennes. Il apparaît ainsi dans l’actionnariat de Mantu, spécialisé dans la messagerie sécurisée, ou encore de Beezz, entreprise de cybersécurité qui se vante de collaborer avec l’armée israélienne.

Cette activité de capital-risqueur a emmené le rabbin Moyal jusqu’en Afrique, qu’il sillonne en jet privé en compagnie d’hommes d’affaires israéliens. Durant ses voyages, l’Américain à l’affût d’opportunités a créé fin 2020 à Kinshasa la société Digor Capital Africa. Il a surtout joué sur un autre de ses nombreux registres : le conseil spirituel et religieux, très goûté par certains hommes forts du continent. Il avait déjà, dans le passé, campé ce rôle auprès du trader pétrolier nigérian Kola Aluko .

Parmi les chefs d’Etat auxquels il a proposé son offre de direction de conscience ces dernières années figurent Denis Sassou Nguesso, du Congo-Brazzaville, ou encore les musulmans proches d’Israël Umaru Sissoco Embaló, de Guinée-Bissau, et feu Idriss Déby, du Tchad. A chaque fois, Moyal exécute son numéro, les prend dans ses bras et leur murmure à l’oreille ses oracles. Le plus sensible à ses prestations n’est autre que Félix Tshisekedi, fidèle de l’église évangélique du Centre missionnaire Philadelphie et friand des conseils de pasteurs dont il s’est entouré à la présidence.

Première mission congolaise

En RDC, c’est d’ailleurs l’un de ces évangéliques qui a introduit Moyal à la présidence : le pasteur Paul David Olangi. Né en 1971 en Belgique – où il se targue d’être passé par la prison durant sa jeunesse, tout comme en France et en Suisse -, celui-ci est le second fils des défuntes stars congolaises de la prédication Joseph Ezéchiel Olangi et Elisabeth Wosho, cofondateurs de l’influente église du Ministère chrétien du combat spirituel (MCCS).

Fervent défenseur du rapprochement entre la RDC et Israël – à qui il voue un culte mystique, politique et économique -, Olangi est proche de la communauté ultraorthodoxe de Kinshasa, dont fait partie le rabbin Shlomo Bentolila, qui la représente en Afrique centrale. Le pasteur dispose aussi d’accès au chef de l’Etat et détient un passeport de service en tant que « conseiller ».

Au début de l’année 2021, le rabbin Moyal le sollicite pour intervenir en faveur de la libération d’Alexander Zingman. Cet homme d’affaires américano-biélorusse, très introduit dans les milieux sécuritaires israéliens, a été arrêté en mars par l’Agence nationale de renseignement (ANR) à son arrivée à Lubumbashi en provenance d’Harare, en raison de ses liens avec l’ancien président Kabila. Il a aussi été interrogé sur Yossi Cohen, chef du Mossad et proche de la galaxie Gertler, qui a effectué trois voyages confidentiels en RDC pour s’entretenir avec Kabila.

Avec le pasteur Olangi – qui avait négocié le droit de visiter Zingman en cellule -, Moyal est reçu par le président Tshisekedi. Outre le dossier du détenu, le rabbin propose ses services spirituels et de courtier en diplomatie. Leur activisme n’a pas eu grand effet sur la libération de Zingman, qui doit davantage aux services de renseignement congolais et à François Beya Kasonga, conseiller sécurité d’alors du chef de l’Etat.

Par le biais de son avocat, Daniel Delnero (Squire Patton Boggs), Zingman dément toute implication dans cette opération avec le pasteur Olangi qui l’a sollicité, en juillet 2021, en tant que vice-président de la Fondation Olangi-Wosho. A défaut d’un don important pour un projet humanitaire à 2,5 millions de dollars, le pasteur s’est vu remettre un tracteur acheminé par conteneur. Contactés, le pasteur Olangi et le rabbin Moyal n’ont pas donné suite aux sollicitations d’Africa Intelligence. Ce dernier s’est contenté de préciser par message que, depuis le début de l’année 2022, il est employé comme « chef de la cour rabbinique » en Afrique centrale pour le compte de la Fédération des communautés juives.

Infiltrer le pouvoir et sortir des millions

Depuis, Moyal a maintenu le lien avec le président Tshisekedi. De son côté, Gertler, de plus en plus sous pression des autorités américaines, s’est désespérément tourné vers d’anciennes figures du régime Kabila et des conseillers de son successeur. Parmi ces derniers, certains sont aujourd’hui soupçonnés d’avoir tenté d’œuvrer en sa faveur. Ils se retrouvent sur la liste des proches conseillers de Tshisekedi menacés d’éventuelles nouvelles sanctions américaines, comme l’a révélé Africa Intelligence .

Désormais, pour ses virées officielles ou confidentielles à Kinshasa, Dan Gertler se fait accompagner par un cortège d’ultraorthodoxes versés dans les affaires. L’un d’entre eux s’appelle Yossi Elituv. Artisan de la jonction entre Gertler et Moyal, ce journaliste israélien né en Argentine est aussi un promoteur immobilier à Ashdod et consultant en communication pour quelques milliardaires de sa communauté. Egalement rédacteur en chef du magazine Mishpacha, auquel Yossi Cohen avait accordé un entretien en 2019, Elituv a acquis des parts dans des médias en ligne avec des fonds octroyés en 2017 par Dan Gertler, comme l’a révélé le quotidien économique israélien The Marker.

Cette même année 2017, Dan Gertler s’est retrouvé ciblé par des sanctions américaines et, à Kinshasa, la société Viva Congo a été constituée par Elituv, associé à un autre Israélien. Sans activité réelle, ce véhicule financier est domicilié à la même adresse qu’Iron Mountain Enterprises, sanctionnée, avec treize autres entités, par l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du Trésor américain pour avoir « permis à Dan Gertler d’accéder au système financier international et de profiter de la corruption ».

Tout comme des membres de la famille Gertler, des associés et des employés, Elituv est un client de la filiale congolaise de la banque camerounaise Afriland First Bank. Début 2018, à Kinshasa, il dépose sur son compte, puis retire et met à disposition d’associés de Gertler près de 220 000 € en espèces, selon des données internes de banquiers devenus des lanceurs d’alerte. Au même moment, un million de dollars est remis en espèces par un proche de Gertler sur un compte utilisé par cette nébuleuse financière. A la fin de l’année suivante, Elituv – qui n’a pas souhaité commenter ces faits – injecte à nouveau des fonds et les déplace, toujours en cash. Des ONG puis les autorités américaines les soupçonnent de provenir de Dan Gertler, qui pourrait avoir tenté d’ainsi contourner les sanctions, ce dont il se défend. L’homme d’affaires, sollicité à travers ses avocats du cabinet britannique Carter Ruck, n’a pas souhaité répondre aux questions portant sur sa relation avec Yossi Elituv, de même qu’avec le rabbin Moyal.

Jusqu’à aujourd’hui, Gertler et ses émissaires poursuivent leur lobbying en Europe, aux Etats-Unis et en Israël, où l’administration du premier ministre Yaïr Lapid s’inscrit en rupture avec les pratiques de Yossi Cohen, mais aussi du milliardaire qui a perdu ses soutiens au sein du pouvoir. Reste la RDC où le président Tshisekedi prend le risque de discuter et négocier en secret directement avec lui ou par l’intermédiaire du rabbin Moyal. A l’issue du sommet ordinaire de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), dont il prend la présidence, Tshisekedi se penchera sur les ordonnances et lettres de nominations de diplomates. L’une d’entre elles concerne Dan Gertler.

Africa Intelligence

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