Le rapport des experts de l’ONU expose le rôle de l’Ouganda auprès du M23

L’armée du président ougandais, Yoweri Museveni, est soupçonnée par le groupe des experts des Nations unies et les services de renseignement congolais d’avoir « facilité » les mouvements du M23 sur son sol selon  le panel onusien.

Des troupes du M23 sont passées « sans entraves » par l’Ouganda lors de leur conquête de la ville frontalière de Bunagana, prise en juin dernier. C’est ce que relève le  rapport du groupe des experts des Nations unies pour la République démocratique du Congo (RDC) qui sera présenté au Conseil de sécurité le 20 décembre. Les Uganda People’s Defence Forces (UPDF) sont pointées du doigt pour avoir volontairement laissé cheminer les éléments du mouvement rebelle qui a, depuis, consolidé ses positions sur cette portion de territoire du Nord-Kivu. Le stratégique poste-frontière avec l’Ouganda qui, auparavant, enregistrait des flux commerciaux formels d’environ 5 millions de dollars par mois reste jusqu’à ce jour, côté congolais, sous le contrôle du M23. Sans que les UPDF n’interviennent.

Maintien d’une certaine ambiguïté côté ougandais

Au début de ce mois, au Safari Park Hotel de Nairobi, le rôle de l’Ouganda auprès du M23 a été abordé lors d’une réunion confidentielle en marge des pourparlers avec des groupes armés de l’est de la RDC. La délégation congolaise, menée par Serge Tshibangu, mandataire spécial du président Félix Tshisekedi, s’en est ouverte à l’envoyé spécial de l’ONU pour les Grands Lacs, Huang Xia, et a demandé des clarifications à la partie ougandaise. L’un des représentants du président Yoweri Museveni sur ce dossier est l’ancien directeur général de l’External Security Organisation (ESO, agence de renseignement extérieur), Robert Masolo, qui opère depuis 2015 au sein du ministère des affaires étrangères.

S’il dément toute implication des UPDF aux côtés du M23, Masolo admet une certaine passivité et entretient l’ambiguïté sur la crise en cours. Le narratif ougandais consiste à expliquer la crise actuelle par l’irritation du Rwanda et son influence sécuritaire et économique croissante . A l’opération conjointe des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC) et des UPDF lancée en novembre 2021 dans le septentrion du Nord-Kivu contre le groupe armé islamiste Allied Democratic Forces (ADF) s’est ajouté l’asphaltage de routes commerciales stratégiques reliant les deux pays. Ce qui a effectivement suscité l’ire du président rwandais, Paul Kagame, qui n’avait pas été préalablement tenu informé de ces manœuvres dans une zone considérée comme stratégique pour ses intérêts sécuritaires et économiques.

Soutien logistique discret

Jusque-là, l’attention s’est largement portée sur le soutien militaire de troupes d’élite de la Rwanda Defense Force (RDF) au M23, documenté par les services de renseignement congolais et occidentaux, mais aussi par le groupe des experts de l’ONU. Kinshasa, qui a rompu en juin sa relation bilatérale avec Kigali, n’a pour l’instant pas voulu ouvrir un autre front diplomatique avec Kampala. L’élite politique et militaire congolaise prétend aujourd’hui disposer de renseignements faisant état de va-et-vient d’éléments des forces spéciales des UPDF à Bunagana.

Elle a très tôt suspecté l’Ouganda de privilégier un soutien logistique discret au M23, au détriment des FARDC. Dès la fin du mois de juin, le vice-gouverneur militaire du Nord-Kivu, Romy Ekuka Lipopo, l’a dénoncé lors d’une réunion confidentielle à Goma en présence du général malien, Mody Béréthé, de la Monusco (Mission de l’ONU en RDC). Le président de l’Assemblée nationale, Christophe Mboso, avait publiquement plaidé la suspension de la coopération militaire avec l’Ouganda suite à une série de tweets provocateurs – et surinterprétés – du général des UPDF, Muhoozi Kainerugaba .

Tensions entre franges du M23

Ce dernier, fils aîné du président ougandais dont il est aujourd’hui conseiller en charge des opérations spéciales, a cette année mis en scène son rapprochement avec son « oncle » Paul Kagame. Une initiative largement commentée sur les réseaux sociaux qui irrite au sein du clan Museveni. A commencer par l’influent frère cadet, également conseiller du chef de l’Etat ougandais, le général Salim Saleh, resté hostile au voisin rwandais tout comme une majorité de hauts gradés des UPDF. Le général Kainerugaba est suspecté par le renseignement militaire congolais de maintenir la liaison avec Sultani Makenga, le chef militaire du M23.

Celui-ci, un temps réfugié en Ouganda avec ses hommes, dont le chef politique et actuel chairman du mouvement, Bertrand Bisimwa, ne cache pas le respect qu’il voue à Kainerugaba. Sur place à Bunagana, Makenga cornaque la branche politico-militaire jugée plutôt favorable à Kampala. Il doit composer avec l’influence de la frange pro-Kigali. Elle est menée politiquement par le « bishop » Jean-Marie Runiga opérant, avec d’autres cadres du M23, depuis le Rwanda, dont le chef du renseignement militaire, le général de brigade Vincent Nyakarundi, est soupçonné de les « traiter ».

Des tensions se sont récemment accentuées entre ces deux franges du M23. Le mouvement entretient les relations avec ses deux parrains historiques, tout en cherchant à préserver une certaine autonomie. L’illusion du rapprochement entre Kampala et Kigali, qui s’est traduit par un semblant d’entente autour d’un soutien au M23, laisse craindre de nouvelles rivalités par procuration.

Africa Intelligence

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