« Partout, on ne me parle que de l’Ukraine… Félix Tshisekedi mettra tout en œuvre pour rester au pouvoir»

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Pour Martin Fayulu qui, d’après le décompte des voix établi par les observateurs, était arrivé en tête des dernières élections présidentielles

du 31 décembre 2018, « la méthode de débauchage persiste, Tshisekedi et les siens achètent tout le monde ».

Cette fois, le compte à rebours a commencé. Pour Martin Fayulu, qui, d’après le décompte des voix établi par les observateurs, était arrivé en tête des dernières élections présidentielles du 31 décembre 2018, Félix Tshisekedi ne jouira d’aucune prolongation lors du prochain scrutin : « Ayant prêté serment le 24 janvier 2019, le 23 janvier 2024 à minuit, il cessera d’être en fonction. »

Pour Fayulu qui, voici cinq ans, rassemblait les foules ovationnant le « soldat du peuple », il est évident que Félix Tshisekedi, président sortant, mettra tout en œuvre pour rester au pouvoir : « Il appliquera les méthodes qui lui avaient permis, dans les mois suivant son entrée en fonction, de faire basculer en sa faveur la majorité des parlementaires qui s’étaient fait élire sur la liste des FCC (Front commun pour le Congo, NDLR). Cette coalition avait été mise en place par un Joseph Kabila qui ne pouvait plus se représenter mais espérait encore exercer un contrôle à distance. »

Pour Fayulu, le débauchage des élus du FCC s’était fait avec l’assentiment de Joseph Kabila, qui avait gardé une minorité de blocage et ne fut jamais personnellement inquiété. « Jusqu’à aujourd’hui », assure-t-il, « la méthode de débauchage persiste, Tshisekedi et les siens achètent tout le monde : ils ont fixé à 21.000 dollars par mois le salaire de base d’un député. »

Il estime cependant exclu que Kabila, qui exerça le pouvoir durant 18 ans, puisse se représenter : « La Constitution est claire sur ce point : si un président sortant peut se représenter pour un deuxième mandat, ce sera non renouvelable. »

« Partout, on ne me parle que de l’Ukraine… »

C’est à Kisangani que l’ancien opposant malheureux a mis au point sa stratégie de reconquête. Pour lui, « Félix Tshisekedi est beaucoup plus faible que ne l’était le rusé Kabila, et la population, conscientisée, est bien décidée à faire respecter la vérité des urnes. Au cours des mois à venir, les principaux partis, représentés par une vingtaine de négociateurs, devront se mettre d’accord sur les modalités d’organisation des élections, et même si la loi électorale devra être modifiée, le président actuel de la Commission électorale, Denis Kadima, un Kasaïen jugé proche de Tshisekedi, devra rester en place. »

Se considérant toujours comme le véritable vainqueur des dernières élections, Martin Fayulu ne cache pas sa déception face à la frilosité de la communauté internationale, y compris la Belgique, « elle qui fit au Congo le plus beau des cadeaux, y compris la visite de son Roi »… Durant sa « traversée du désert », le candidat malheureux s’abstint de voyager de par le monde et, resté au pays, il consolida sa base et noua des alliances (ses bonnes relations avec le Docteur Mukwege sont de notoriété publique). Depuis Kinshasa où il vit, il n’ignore rien des guerres et des tragédies qui se poursuivent. Relevant la multiplication des foyers de tension, y compris dans le centre du pays (Bandundu) ou dans le nord (Uele), il conclut : « Tout cela ressemble à une stratégie d’encerclement… »

Rappelant que l’immense Congo se trouve exactement au cœur de l’Afrique, Fayulu ne renie pas les alliances régionales déjà conclues, avec les pays d’Afrique australe (SADCC), parmi lesquels le Zimbabwe, la Namibie, l’Afrique du Sud, ou les pays des Grands Lacs (CIRGL), mais il s’inquiète du dernier « mariage » en date : « Fallait-il vraiment que la RDC adhère à l’EAC (Communauté des pays d’Afrique de l’Est, NDLR) et permette aux armées de ces pays d’intervenir sur notre sol ? L’armée du Burundi s’est installée au Sud-Kivu, les Ougandais ont pénétré au Nord-Kivu, on se demande ce que le Sud-Soudan fait dans l’Uele. Quant au Kenya, son offensive est économique : il a racheté à bas prix les plus grandes banques de notre pays, dont la TMB (Trust Merchant Bank, NDLR) et la BCDC (ancienne Belgolaise, NDLR), et il compte nous inonder de ses produits manufacturés. »

Martin Fayulu insiste donc sur le respect de la souveraineté du Congo et, songeant à la diaspora, de plus en plus importante et de plus en plus politisée, il estime qu’elle devrait bénéficier d’une modification de la Constitution : « Il faudrait autoriser la double nationalité, sauf pour les sept pays voisins directs » (allusion à peine voilée aux Rwandais, dont plus de 60.000 ressortissants traversent chaque jour la frontière au Nord ou au Sud-Kivu).

A l’issue de sa tournée en Europe, le « soldat du peuple » rappelle, comme bon nombre de ses compatriotes et dans les mêmes termes que le Docteur Mukwege, ce qu’il estime être un double standard : « Partout, on ne me parle que de l’Ukraine, et je le comprends… Mais moi, je rappelle que mon pays compte 6 millions de déplacés internes, un million de réfugiés, 5 millions d’enfants en état de malnutrition… Et, depuis 20 ans, les guerres à l’est du pays ont fait combien de millions de victimes, avec quelles réactions ? »

Le Soir

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