L’Union européenne a pris ce lundi des sanctions contre le « Groupe Wagner ».
Elle annonce un gel des avoirs pour huit responsables de ce « groupe », ainsi qu’une interdiction de pénétrer sur le territoire européen, et des sanctions également pour « trois entités qui lui sont liées ».
Dans son communiqué, l’Europe lâche les mots « torture », « exécutions sommaires », « pillages de ressources », déstabilisation »…
Qui compose ce « Groupe Wagner »? Comment agit-il et pour qui ?
Eclairage avec Emmanuel Dupuy, le président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).
- Des mercenaires pour le compte de la Russie ?
Le « Groupe Wagner » est un groupe privé de paramilitaires. Ce sont des mercenaires majoritairement russes. Ils sont présents dans des zones instables : en Libye, en Syrie, dans le Donbass en Ukraine ou encore en République Centrafricaine.
Autant de régions où ces mercenaires côtoient les militaires, mènent des opérations armées, peuvent peser sur l’issue de combats et sur les équilibres politiques, sans engager formellement la responsabilité d’un Etat. Pour le compte des Russes ?
Officiellement non : le droit russe interdit le mercenariat. Et Vladimir Poutine, le Président russe, répète à l’envi qu’il n’a rien à voir avec le « Groupe Wagner », que c’est une société privée qui ne représente pas la Russie et n’est pas financée par l’Etat russe. Mais on observe une proximité claire entre cette société de mercenaires et le Kremlin.
Proximité d’intérêts d’abord : ces mercenaires sont déployés partout où la Russie défend des intérêts.
» Il suffit d’avoir sous les yeux la carte de l’implication de Wagner sur le continent africain » analyse Emmanuel Dupuy, le président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE).« On voit que cette présence de Wagner suit les orientations stratégiques du gouvernement russe. Avec notamment les 2000 supplétifs présents depuis 2017 en Libye, avec près de 700 ou 800 en République Centrafricaine depuis 2018. Je peux rajouter le Soudan, la République démocratique du Congo, le Rwanda, l’Angola, le Botswana. » La liste des Etats est encore longue. En Amérique latine, on retrouve aussi par exemple le Venezuela.
Ce groupe est par ailleurs financé par un oligarque russe, Evgueni Prigojine, proche du président russe Vladimir Poutine.
Ce lien financier entre Wagner et le Kremlin était souligné par le Parlement européen fin novembre, dans une résolution qui dénonçait les exactions de ces mercenaires russes :
« La résolution souligne les indices laissant fortement penser que l’État russe est responsable du financement, de la formation, de la gestion et du commandement opérationnel de ces groupes paramilitaires. Les activités du groupe Wagner correspondent à l’extension de l’influence de la Russie dans les zones de conflit et les députés sont convaincus que le groupe Wagner devrait être considéré comme agissant pour le compte de l’État russe », écrit le Parlement européen.
- Qu’est-ce que les Européens reprochent à Wagner ?
Le communiqué de l’Union européenne explique ainsi sa prise de sanction : « le Groupe Wagner’ a recruté, formé et envoyé des agents militaires privés dans des zones de conflit dans le monde entier afin d’alimenter les violences, de piller les ressources naturelles et d’intimider les civils, en violation du droit international, notamment du droit international relatif aux droits de l’homme ».
L’Europe accuse sans détour les huit personnes qu’elle sanctionne d’être impliquées dans des actes de torture, des « exécutions et assassinats extrajudiciaires », des activités de déstabilisation notamment en Syrie, dans l’est de l’Ukraine ou encore en République centrafricaine. La République Centrafricaine où le groupe Wagner a pris le contrôle d’au moins un bataillon de soldats qui, ironie, venaient d’être formés… par l’Union européenne ! En témoigne ce rapport du service européen des affaires étrangères (EEAS), déniché par les journalistes de l’EUobserver en novembre.
- D’où viennent ces accusations ?
Toutes ces accusations ont été documentées par les Nations Unies en République Centrafricaine.
Les rapporteurs du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’Homme étaient explicites, en octobre dernier : »[…] de nombreuses forces, y compris le Groupe Wagner, commettent des violations systématiques et graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire, notamment des détentions arbitraires, des actes de torture, des disparitions forcées et des exécutions sommaires, un phénomène qui se poursuit sans relâche et en toute impunité.
Les experts ont également reçu des informations selon lesquelles des membres du Groupe Wagner auraient commis des viols et des violences sexuelles à l’encontre de femmes, d’hommes et de jeunes filles dans de nombreuses régions du pays » lit-on encore dans cette communication de l’ONU.
Outre les populations, le déploiement de ce groupe de mercenaires russes affecte également les ressources locales, explique Emmanuel Dupuy :
« Comment la République Centrafricaine peut-elle se permettre de payer ce groupe ? Des mines de diamant sont utilisées comme compensation financière. Et c’est l’objet de litiges, d’expropriations de terres. C’est ce que l’on pressent aussi avec le contrat malien. Les autorités maliennes ont dit que si elles ne pouvaient pas payer les 9 à 10 millions de dollars par mois du Groupe Wagner, il pourrait prendre possession de deux mines d’or en compensation » commente l’analyste Emmanuel Dupuy.
- Pourquoi ces sanctions de l’UE tombent-elles maintenant ?
« Wagner » n’est pas un groupe neuf, il opère dans sa forme actuelle depuis plus de 5 ans. Et ce n’est évidemment pas non plus le premier groupe de mercenaires à intervenir. Des sociétés comme Wagner agissent depuis très longtemps aux côtés d’armées, et il en existe actuellement en Turquie, au Royaume-Uni ou évidemment aux Etats-Unis avec le groupe Academi, (ex-BlackWater) présent dans plusieurs dizaines de pays.
Alors pourquoi l’Union européenne réagit-elle aujourd’hui ? Cette réaction peut être liée au fait que ce groupe russe menace de plus en plus les intérêts européens, en particulier dans la région du Sahel. Ainsi, au Mali, le gouvernement intérimaire envisage de faire appel à un millier de mercenaires russes au moment même où la France va réduire son contingent présent dans la région pour combattre des mouvements djihadistes.
« Ça donne l’impression que la France ne pouvant plus assumer ou estimant qu’elle n’a plus à assumer sa responsabilité de sécuriser le nord malien est en train d’être remplacée par ce groupe Wagner, au moment où la Russie vient juste de livrer quatre hélicoptères pour les forces armées maliennes. Le groupe Wagner viendra en complément sans doute aussi pour sécuriser cet investissement », analyse Emmanuel Dupuy.
RTBF