RD Congo: comment les Tutsis sont devenus des cibles de la haine ethnique

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Une longue histoire de migration, de concurrence avec les tribus locales et aussi d’instrumentalisation par le voisin rwandais.

Ce lundi, des centaines de volontaires se tennaient à l’aéroport international de Goma après avoir répondu à l’appel du président Felix Tshisekedi à rejoindre l’armée pour combattre la rébellion du M23.

L’offensive des rebelles du M23, qui se trouvent aux portes de Goma, inquiète de plus en plus les Tutsis congolais, souvent appelés Banyarwanda au Nord-Kivu et Banyamulenge au sud de Bukavu. En effet, les esprits s’échauffent, la population est « vent debout » contre le groupe armé venu d’Ouganda mais que le Rwanda est accusé de soutenir.

Même si les autorités de Kinshasa seront sans doute poussées à la négociation par les médiateurs africains (le président angolais Joao Lourenco et l’ancien président du Kenya Uhuru Kenyatta), les discours hostiles aux Tutsis congolais se multiplient ainsi que les appels à la résistance populaire, ce qui a incité le président Tshisekedi à recevoir des représentants de la communauté rwandophone, dont l’ancien vice-président Azarias Ruberwa.

Transplantés par le pouvoir colonial

L’appellation « Banyarwanda », en référence à la langue et la culture du Rwanda, recouvre des groupes sociaux très divers. Les Congolais aiment rappeler que les « Banyarwandas » ne figurent pas parmi les groupes ethniques congolais dûment répertoriés avant 1960 par le colonisateur belge et qu’à la veille de l’indépendance, les autorités coloniales leur avaient rappelé que, en tant qu’étrangers, il leur était interdit de se mêler de la politique locale. C’est cependant le pouvoir colonial, via la Mission d’immigration des Banyarwandas (MIB) qui fut à l’origine de la transplantation de familles rwandaises dans les collines du Masisi afin d’y développer l’agriculture. A l’époque, d’autres Rwandais furent amenés au Katanga pour travailler dans les entreprises minières, en même temps que des Balubas du Kasaï.

Les chefs coutumiers autochtones (les Hundes), propriétaires des terres selon le droit coutumier, n’acceptèrent jamais cette migration d’origine rwandaise, évaluée à 200.000 personnes en 1960. Au fil des troubles politiques au Rwanda, la population rwandophone ne cessa de s’agrandir, les paysans hutus étant rejoints par des éleveurs tutsis chassés du Rwanda au moment de l’indépendance en 1962. Lorsque Bisengimana Rwema, ancien président des étudiants rwandais au Zaïre devint directeur du bureau du président de 1967 à 1977, les intellectuels tutsis s’insérèrent dans l’enseignement, l’administration, le commerce et en 1972, réfugiés et immigrés rwandais et burundais obtinrent, collectivement, la nationalité zaïroise, qui leur fut retirée par la suite.

En 1973, lors de la nationalisation (zaïrianisation) des biens des expatriés, les immigrés alliés du pouvoir deviendront propriétaires de 90 % des plantations coloniales dont 45 % des terres disponibles dans le Masisi. Avec de réels succès économiques mais en suscitant le ressentiment des populations paysannes autochtones qui avaient été chassées des meilleures terres agricoles, par les colons belges d’abord, par les éleveurs tutsis ensuite.

En 1994, à la veille du génocide au Rwanda, la population d’origine rwandaise dans le Nord-Kivu était estimée entre 700.000 et un million de personnes et la double question de la nationalité et de la propriété de la terre enflammait déjà les esprits des Hundes et des Nyangas, les principaux groupes ethniques de la province.

Au lendemain du génocide des Tutsis au Rwanda, un million et demi de réfugiés rwandais hutus traversèrent la frontière, parmi lesquels de nombreux hommes en armes qui rejoignirent les milices déjà présentes. Lors de la première guerre du Congo, en 1996, ces hommes furent poursuivis par les troupes de l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération), parties du Rwanda et de l’Ouganda et rejointes par des Tutsis du Nord-Kivu, qui prirent alors le nom générique de Banyamulenge.

Après la réunification du pays qui marqua la fin de la guerre en 2002, officiers et soldats tutsis du Nord-Kivu furent intégrés dans la nouvelle armée congolaise et les crimes commis durant la guerre ne furent jamais jugés. Les anciens de l’AFDL furent à l’origine de plusieurs rébellions (RCD Goma, CNDP, M23) dirigés par des chefs de guerre en lien avec Kigali et, dans une moindre mesure, Kampala : Laurent Nkunda, Bosco Ntaganda, Sultani Makenga. Tous tentèrent de monnayer des accords de paix en échange de l’amnistie et de la réintégration de leurs troupes dans les forces armées congolaises tandis que leurs officiers obtenaient de lucratives promotions, à l’instar de l’inspecteur général Gabriel Amisi, devenu le plus haut gradé de l’armée congolaise.

Les Banyamulenges des Haut-Plateaux

 Les Banyamulenges sont des populations d’origine rwandaise qui se sont installées dans les hauteurs surplombant Uvira, au bord du lac Tanganyika, vers la fin du 18e siècle, donc bien avant la colonisation. Ces pasteurs tutsis s’étaient réfugiés sur les Haut-Plateaux de l’Itombwe et ils entretenaient des relations très lâches avec leur pays d’origine, contestant la légitimité du roi Musinga et entretenant le souvenir du Roi Kigeli IV Rwabugiri, mort en 1895 à la suite d’une bataille contre les Bashis du Sud-Kivu.

Relativement méprisés à Kigali, ces éleveurs propriétaires de vastes troupeaux mais peu instruits envoyèrent cependant leurs fils au Rwanda après la victoire du Front patriotique en 1994, au lendemain du génocide, car le Sud-Kivu était envahi par les réfugiés hutus et contaminé par l’exclusion ethnique, le gouverneur Lwabanji ayant promis de chasser tous les Tutsis.Enrôlés dans les troupes rwando-ougandaises qui avaient entrepris de démanteler les camps de réfugiés hutus au Nord et au Sud-Kivu et de chasser Mobutu, les Banyamulenges apportaient la caution militaire congolaise à l’opération tandis que Laurent Désiré Kabila, nommé porte-parole du mouvement, représentait le volet politique. Si de nombreux officiers banyamulenges furent engagés dans la nouvelle armée congolaise et bénéficièrent de l’impunité prévue par les accords de paix, les civils, dans leurs villages des Haut-Plateaux, furent harcelés par de nombreux groupes désormais hostiles : des Mai Mai issus de tribus congolaises Babembe et Bafulero, des Hutus rwandais membres des FDLR (Forces démocratiques pour la libération du Rwanda), des miliciens du Burundi, mais aussi des unités rwandaises, qui entendaient assujettir leurs cousins éloignés à la politique de Kigali. La cooptation politique de certains leaders banyamulenges (dont l’ancien vice-président Azarias Ruberwa ou Bizima Karaha, qui fut ministre des Affaires étrangères de Laurent Désiré Kabila et relais du pouvoir rwandais à Kinshasa) ne représenta qu’une maigre consolation au regard du discrédit jeté sur la communauté et de la stigmatisation ethnique qui l’accompagna.

Villages détruits par les attaques de milices, bétail décimé, champs incendiés, les Banyamulenges, stigmatisés par l’opinion congolaise qui se souvient de leur collaboration avec l’armée de Kagame, comptent parmi les plus grandes victimes des luttes d’influence dans les Grands Lacs. Ils sont également victimes, eux aussi, de la richesse de leur sous-sol dans lequel des gisements de cassitérite, de coltan et d’or auraient été découverts.

Le Soir

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