RDC : Bifort, l’homme qui connaît tous les secrets de la République

Goma, rive nord du lac Kivu. Nous sommes en 2001 et la vie de Fortunat Biselele, 30 ans, est sur le point de changer pour toujours. Il dirige les services de renseignement du Rassemblement congolais pour la démocratie-Goma, la faction du Nord-Kivu d’un groupe armé soutenu par le Rwanda et actif dans l’est de la République démocratique du Congo. Il y rencontre Étienne Tshisekedi, le père de l’actuel président, et tout change pour lui : dans les 20 années suivantes, il servira fidèlement la cause de son clan. Ambitieux tous les deux camps qui sont faits pour se comprendre : nés dans la province du Kasaï, ils font équipe pour s’opposer à Joseph Kabila, qui vient de succéder à son père à Kinshasa. Deux ans plus tard, en 2003, l’accord de Sun City en Afrique du Sud a permis aux parties belligérantes de partager les emplois et les ministères et de terminer la guerre.

A partir de là, « Bifort » – comme il est connu de tous – commence à tisser un large réseau de relations, même avec Théophas Mahuku, un ami de la famille Kabila, avec qui il parrainait la société minière congolaise Sud Sud. Cependant, ses liens vont jusqu’aux services secrets de l’Agence nationale de renseignements (ANR) et de la puissante Direction générale de la migration (DGM). Jusqu’à ce que, dix ans plus tard, il organise avec Pacifique Kahasha et Vital Kamerhe le succès électoral qui portera en 2019 le rejeton du clan Tshisekedi, Félix-Antoine, au pouvoir, battant l’autre chef de l’opposition, Martin Fayulu, et l’homme de main de Kabila, Emmanuel. Ramazani Shadary.

Depuis, Bifort est toujours resté dans l’ombre. C’est l’homme qui connaît tous les secrets de la République, qui a été impliqué dans tous les voyages à l’étranger du président Félix Tshisekedi et qui lui a prodigué des conseils sur tous les dossiers les plus chauds. Il était, en fait, le deuxième homme le plus puissant du pays et c’est lui qui avait tenté de rapprocher Kinshasa et Kigali, sans succès, alors que la tension dans l’est du Congo ne cesse de monter, à tel point que selon le Kivu Security Tracker, au cours des quatre années de gouvernement Tshisekedi, il y a eu plus de 18 000 victimes de violence armée dans la région.

Lac Kivu, un Lac « Sans paix »

Mais à deux semaines du quatrième anniversaire de l’arrivée au pouvoir de Tshisekedi, le 8 janvier Biselele fait un geste inattendu, compte tenu du profil bas pratiqué jusque-là : il accorde une interview télévisée au journaliste franco-camerounais Alain Foka dans laquelle il dit s’être rendu « plusieurs fois » à Kigali pour discuter avec le président rwandais Paul Kagame et révèle les bases d’un accord entre les deux pays, révélant implicitement la nature du problème entre les capitales respectives.

« Le président (…) a proposé une chose simple à son homologue rwandais : ‘Nous sommes un pays riche, vous êtes nos voisins. Aucune guerre ne déplacera les frontières, nous resterons proches pour la vie. Je vous suggère de créer des projets qui nous conviennent à tous les deux. Chez nous, nous avons des minerais qui vous intéressent. Avec vos contacts, vous avez la possibilité de vous adresser à des investisseurs du monde entier ». Nous travaillerons en synergie pour essayer de développer ensemble la région (des Grands Lacs, ndlr). Bref, tout est question de partage des ressources de la région et les déclarations sont si claires qu’elles déchaînent une vague de mécontentement contre Tshisekedi, accusé par ses opposants – l’année des élections – de vouloir « brader « Le pays précisément quand, dans les semaines qui ont suivi, était attendu à Doha, au Qatar, pour rencontrer Kagame et tenter de parvenir à la paix.

Moins d’une semaine après l’entretien, le 14 janvier, le président Félix-Antoine Tshisekedi l’a limogé comme son conseiller spécial et les services secrets de l’ANR l’ont arrêté et l’ont enfermé pendant six jours dans un lieu tenu secret. La nouvelle circule mais personne ne comprend ce qui s’était passé. Et puis, le 21 janvier, Bifort réapparaît à huis clos devant le tribunal de La Gombe, à Kinshasa, où il sera interrogé pendant six heures avant d’être transféré à la prison de Makala. Il est accusé « d’espionnage et d’espionnage avec l’ennemi » le Rwanda, avec lequel Kinshasa est engagé depuis des décennies dans une lutte plus ou moins ouverte pour la domination sur la région des Grands Lacs, dont le Kivu, théâtre de ce conflit armé., objet du récent appel à la paix du pape François.

Ainsi le sommet de Doha ne se tiendra pas le 26 janvier

Ainsi le sommet de Doha ne se tiendra pas le 26 janvier, Kinshasa accusera Kigali d’avoir ruiné les négociations et la propagande congolaise poussera de plus en plus sur l’accusation portée contre le Rwanda (confirmée par l’UE, les USA et l’ONU) de soutenir le groupe rebelle Le M23, qui prétend défendre les intérêts des Tutsis dans l’est du pays et qui a repris la lutte armée depuis novembre 2021, occupant diverses zones du territoire national.

Coco Kabwika

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