Pour une seconde fois, la police nationale congolaise a assiégé la résidence du chef du mouvement politico-mystique Bundia Dia Kongo (BDK), Ne Mwanda Nsemi et procédé à son arrestation ainsi que une centaine de ses fidèles qui y résidaient, bravant bonnement toutes les mesures de distanciation sociale prises dans le cadre de l’Etat d’urgence sanitaire liée à la covid 19.
Et si pour d’aucuns l’arrestation de Ne Mwanda Nsemi met un terme à une saga de mauvais goût qui a commencé par ses déclarations intempestives sur les réseaux sociaux et l’activisme xénophobe de ses partisans à songololo ou ailleurs aux cataractes, « le phénomène Ne Mwanda Nsemi » est plus complexe qu’il n’y parait. Il est révélateur d’une crise sociétale plus profonde, une crise d’Etat, des convulsions congénitales d’une « Etatisation inaboutie et d’un dysfonctionnement de l’Etat moderne».
Sans vouloir prétendre à une quelconque exhaustivité, et sans par ailleurs revenir sur des questions longuement évoquées en République démocratique du Congo comme la crise de légitimité, on pourrait décrypter derrière cet épiphénomène de Ne Mwanda Nsemi les formes de crise, à savoir la crise d’identité, la crise de distribution, la crise de pénétration.
De la crise d’identité
Expression polysémique et faisant souvent recours « à une charge subjective » qui lui donne des contours flous qui dissuade plus d’un à élaborer « une conceptualisation scientifique », le concept d’identité traduit à la fois « un processus qui construit des similitudes ou de ressemblance entre les individus d’un groupe » et donc son homogénéité mais également la capacité de ce processus à perdurer sans se modifier. L’identité définit donc un processus intégratif et permanent qui construit des représentations globales susceptibles de permettre à l’individu-citoyen de prendre conscience d’appartenir à une communauté imaginaire[1].
Ce processus de communalisation politique s’effectue particulièrement au sein de l’enseignement public, c’est-à-dire l’école, moule et matrice de la socialisation citoyenne. La montée de la xénophobie, l’irruption des forces centrifuges (séparatisme et sécessionnisme) ne sont elles pas consécutives de l’échec de l’Etat à consolider le vouloir vivre collectif ? 60 ans après avoir hérité de l’Etat colonial, quelle mécanisme républicain avons-nous mis en place pour construire et consolider ce vouloir vivre ? Quel rôle avons-nous donné à l’école ? En quoi nos cours d’histoire et de géographie servent ils à conforter une identité nationale ?une mémoire collective qui taise les forces contraires ? Et plus spécifiquement, comment avions nous « théoriser la frontière », Lieu d’identités multiples ? Qu’il s’agisse du Manianga, de Rutshuru ou d’Aru, comment avons-nous pensé la frontière ? Espace clos ou espace d’ouverture ? Comment pouvons-nous conjuguer ouverture et permanence de la cohésion nationale ?
De la crise de distribution
L’identité, mieux la revendication identitaire se consolide également par la capacité de l’Etat à assurer une juste distribution de la richesse nationale aux différentes collectivités qui s’y identifie. L’incapacité d’un système politique à satisfaire aux exigences qui lui sont adressés, à réguler et à réduire les frustrations tant politique qu’économique, à garantir l’accès et la circulation de tous les élites à la gouvernance nationale participe à saper le tissu national, à distendre les solidarités soutenant ainsi les forces marginales centrifuges qui trouvent de ce fait un terreau propice à leur expansion.
De la crise de pénétration
La défaillance de notre administration publique, de la petite territoriale et des services de l’Etat à construire une « horizontalité du pouvoir », un pouvoir territorialisé favorise également l’irruption des forces contestataires. Rongé par la politisation, le clientélisme et le népotisme, l’Etat, en délitement, perd peu à peu son rôle régulateur de la violence légitime et du monopole de la coercition. Ayant perdu sa vocation première, l’Etat-marchand de qui prend pied reproduit mécaniquement la violence de L’Etat colonial et sa fonction prédatrice contre le peuple.
Quelle leçon retenir donc de ce feuilleton Ne Mwanda Nsemi ? Qu’il était indispensable de mettre un terme à cet aventurisme mais également de nous questionner en profondeur sur « L’état de lieu de l’Etat », d’oser les reformes qui s’imposent, notamment des contenus de notre enseignement, de la dépolitisation des services publics, de la méritocratie et de la justice répartition des richesses nationales. Il nous faut aujourd’hui penser l’Etat à défaut de le repenser sinon, demain, d’autres illuminés et gourous, parce que disposant de la magie des mots et la capacité à tirer gain des frustrations réelles, nous mènerons sur les voies séditieuses de la désintégration de l’Etat.
Christian NDOMBO MOLEKA
Politologue prospectiviste
Coordonnateur national de la Dynamique des politologues de la RD Congo
[1] Yves Deloye, la nation entre identité et altérité, PP.285.
great infos thanks