RDC: Et si l’état de siège était « victime » d’un procès d’intention?

Cinq mois après la proclamation de l’état de siège dans les provinces de l’Ituri et du Nord-Kivu, on assiste à une levée de boucliers contre cette mesure exceptionnelle décrétée par le président Felix Tshisekedi en vue d’éradiquer le « péril imminent » – permanent? – dans ces deux régions du pays. Un péril représenté par les groupes armés qui y fleurissent. Les premières tueries remontent au mois d’octobre 2014 à l’époque du « kabilisme triomphant« . A l’époque, le successeur de Mzee n’avait qu’un souci: pérenniser son pouvoir. Il laissa pourrir la situation. Investi à la tête de l’Etat le 24 janvier 2019, le nouveau chef de l’Etat a osé recourir à ce que son prédécesseur n’avait pas fait: proclamer l’état de siège. La mesure est qualifiée « d’inefficace » par les uns et « d’échec » par d’autres. Que propose-t-on à la place? Rien! Rien que des mots. Et si les détracteurs de cette opération de pacification, au demeurant perfectible, étaient, en réalité, des « lobbyistes » au service des « tireurs de ficelles » tant internes qu’externes?

Dans le cadre de son émission « Appels sur l’actualité » de mardi 12 octobre, la Radio France internationale a organisé un débat sur l’efficacité de l’état de siège. Celui-ci a été proclamé, le 6 mai dernier, par le chef de l’Etat congolais, dans les provinces de l’Ituri et du Nord Kivu. Selon le député national Jean-Baptiste Kasekwa – cité par Juan Gomez, l’animateur de ladite émission -, le bilan se présenterait comme suit: 917 civils tués, 463 disparus et 143 villages désertés par les habitants.

Réputés outranciers au plan verbal, plusieurs intervenants congolais ont débité ces mots: « c’est un échec lamentable« ; « la situation s’est empirée sur tous les plans »; « il n’y a pas de résultats concrets« ; « l’état de siège est devenu l’état de piège« , « la population est prise en otage« . Quelques auditeurs se sont montré un brin constructifs: « Le chef de l’Etat aurait dû commencer par réformer l’armée en identifiant les ‘infiltrés’ avant de lancer l’état de siège« ; « l’ennemi n’est pas naïf« .

Palais du peuple, siège du Parlement congolais

A Kinshasa, les députés nationaux ont voté, jeudi 14 octobre, un nouveau projet de loi portant prorogation de l’état de siège dans ces deux régions. Le dixième du genre. Sur 284 députés présents, il y a eu 275 « pour« , 8 « contre » et 1 « abstention« . D’aucuns se disent surpris par cette prorogation. Et ce dans la mesure où la représentation nationale avait posé un préalable: la présentation par le gouvernement d’un « plan de sortie de l’état de siège« . Ledit plan aurait été transmis à l’exécutif national sans copie réservée aux « pensionnaires » du palais du peuple.

Il importe d’ouvrir une parenthèse à ce stade. Dans son allocution prononcée le 23 septembre dernier à la 76ème Assemblée générale des Nations unies, le président Tshsekedi Tshilombo s’était montré ferme et résolu. Il avait déclaré que l’état de siège ne sera levée que lorsque la cause de sa proclamation aura disparue. Le gouvernement du Premier ministre Jean-Michel Sama Lukonde Kyenge ne dit pas autre chose: l’état de siège doit être maintenu compte tenu de la multiplication des attaques contre la population. Fermons la parenthèse.

Selon une dépêche de l’agence APA (Agence presse associée) datée du jeudi 14 octobre, la « Dynamique des femmes pour la bonne gouvernance »  (Dyfegou) a organisé samedi 9 octobre, à Bunia, chef-lieu de l’Ituri, une « rencontre d’échanges d’idées et d’expériences » entre des déléguées de l’Ituri et celles venues du Nord Kivu. Les participantes ont suivi un exposé sur l’état des lieux de la situation sécuritaire. On retiendra que les « mamans » ont pris l’engagement d’identifier – sans omettre de dénoncer – « tous les tireurs de ficèles » dans les deux provinces. L’opinion congolaise a encore frais en mémoire les propos tenus, fin mai dernier, par le président de l’Assemblée nationale. Christophe Mboso avait invité ses « collègues de l’Est » à quitter les groupes armés.

Le président Mboso et les « mamans » de l’Ituri et du Nord Kivu ont mis le doigt là où ça fait mal. Il est illusoire d’analyser l’insécurité récurrente dans ces deux régions sans se poser une question fondamentale: comment en est-on arrivé là?  

Au commencement était la prétendue « guerre des Banyamulenge » qui a engendré l’AFDL (Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo), une trouvaille du président ougandais Yoweri Museveni et de son « filleul » Paul Kagame, alors vice-président et ministre de la Défense du Rwanda. Objectif: renverser le régime d’un Mobutu Sese Seko ronger par la maladie.

Le 17 mai 1997, l’AFDL porte Laurent-Désiré Kabila au pouvoir à Kinshasa. Les « libérateurs » autoproclamés envoient les 40.000 hommes des Forces armées zaïroises dans une sorte de camp de concentration à la Base de Kitona dans l’actuelle province du Kongo Central. Plusieurs centaines seront décimés par la malnutrition et le manque d’hygiène. Le socle de l’armée nationale est ainsi pulvérisé. Que vaut une nation sans forces de défense?

En juillet 1998, c’est la rupture entre LD Kabila et ses ex-parrains ougando-rwandais. C’est ici que commence l’occupation des provinces du Kivu et de l’Ituri par les armées régulières de ces deux pays voisins. La mise en place du gouvernement de Transition « 1+4 » en juin 2003 n’a apporté de changement qu’en apparence. L’Ouganda et le Rwanda n’ont jamais quitté cette partie de notre pays. Pire, ils ont laissé des homme-liges qui agissent par « procuration« . A titre d’exemple, on trouve dans l’actuel gouvernement du Sud Kivu un ministre répondant au nom de Muller Ruhimbika. Un mois avant la naissance de l’AFDL, fin octobre 1996, cet individu lançait des communiqués depuis Kigali. Des communiqués repris complaisamment par le bureau de l’AFP au Rwanda.

UNE ZONE TAMPON A L’EST DE LA RDC POUR L’OUGANDA ET LE RWANDA

 Jean-Marc Rochereau de la Sablière, ancien ambassadeur de France aux Nations Unies à New York

Dans son ouvrage « Dans les coulisses du Monde – Du Rwanda à la guerre d’Irak… », publié en 2013, aux éditions Robert Laffont, l’ancien ambassadeur de France à l’Onu, Jean-Marc Rochereau de la Sablière, parle du président Paul Kagame. A la page 110, on peut lire: « Les membres du Conseil de sécurité n’étaient pas dupes des pillages rwandais et de ses manœuvres dans l’Est de la RDC pour contrôler une partie du Kivu par supplétifs interposés« . Il poursuit: « Il accepte mal également qu’on lui dise que les Forces démocratiques de libération du Rwanda, les FDLR, héritières des génocidaires, étaient devenus davantage un problème pour les populations congolaises que pour le Rwanda qui n’avait militairement rien à en redouter. C’est toute la justification de son action directe et indirecte au Kivu que les membres du Conseil mettaient en cause« .  

Pour maintenir leurs tentacules sur l’Est du Congo-Kinshasa, le nouveau maître du Rwanda et son ex-parrain ougandais vont monter de toutes pièces deux « rébellions congolaises« . Il y a d’abord le CNDP (Congrès  national pour la défense du peuple) qui voit le jour après l’élection présidentielle de 2006. Après l’éviction de Laurent Nkunda, le « leader » de ce mouvement, la « mutinerie » du M23 voit le jour en juillet 2012.

Un « accord de paix » est signé entre le gouvernement congolais et le CNDP. Des anciens combattants de ce mouvement sont intégrés dans ce qui reste de l’armée congolaise. Une loi d’amnistie est promulguée et le CNDP obtient son agrément en tant que parti politique et rejoint le « clan kabiliste » dit « majorité présidentielle« . Un autre « accord paix » sera signé avec le M23. A la clé, l’intégration des anciens combattants dans l’armée congolaise. Des anciens combattants qui ne peuvent être affectés nullement part ailleurs sauf dans ces trois provinces.

Il apparait clair qu’après la fameuse « guerre des Banyamulenge » et les prétendues rébellions du CNDP et du M23, les dirigeants rwandais et ougandais ont insidieusement mis sur pied une « zone tampon » qui va de l’Ituri au Sud Kivu en passant par le Nord Kivu.    

Deux années après la défaite des combattants du M23, les fameux rebelles ougandais dits « ADF » font leur apparition. Les premières tueries ont commencé le 14 octobre 2014 à Beni. A l’époque, « Kabila« , alors chef de l’Etat, est resté impassible. L’homme multipliait des manœuvres (concertations politiques, dialogue politique) dans le but d’assurer la pérennité de pouvoir.

L’Ougandais Jamil Mukulu, le leader présumé des ADF

En mars 2015, l’Ougandais Jamil Mukulu est arrêté dans un village tanzanien. L’homme est présenté comme étant le chef présumé des « ADF« . Ceux-ci sont basés aux monts Ruwenzori. Au moment de son arrestation, « Jamil » détenait six passeports dont celui du Congo-Kinshasa. Aucune démarche diplomatique n’est entreprise, à ce jour, auprès des autorités ougandaises. Plus surprenant, l’Etat congolais s’est gardé de se constituer partie civile dans le procès ouvert à Kampala contre Mukulu.

Coup de théâtre. Le 13 février 2018, l’auditeur militaire de la garnison du Nord Kivu lance plusieurs « mandats d’arrêt » contre vingt-six responsables des « ADF » dont Jamil Mukulu. Deux chefs d’accusation sont retenus: « crime de guerre » et « crime contre l’humanité » dans le Territoire de Beni. En réalité, « Joseph Kabila » réagissait aux pressions exercées sur lui par l’Etat tanzanien. Le 7 décembre 2017, un attentat coûta la vie à quinze casques bleus de nationalité tanzanienne.

Les Congolais ont dû se rendre à l’évidence que ces mandats d’arrêt n’étaient qu’un écran de fumée. « Joseph Kabila » et Jamil Mukulu sont de vieilles connaissances. D’après l’ancien ministre Antipas Mbusa Nyamuisi, les deux compères ont logé sous le même toit au n°55 de l’avenue Bocage, au Quartier kinois de Ma Campagne.

Deux mois après son accession investiture, « Kabila » accorde une interview au quotidien bruxellois « Le Soir » daté du 7 mars 2001. Parlant de son parcours, il avoue son passé dans le maquis de monts Ruwenzori où sont basés les ADF: « J’ai aussi vécu dans le maquis qui existait depuis 1990 en Ouganda dans les monts Ruwenzori ». « Joseph Kabila » serait-il un ancien « ADF« ?

Que faire? L’état de siège est une décision judicieuse. Salutaire. Cette mesure ne peut déranger que ceux qui tirent profit de l’existence d’une zone tampon à la frontière entre le Congo-Kinshasa et le Rwanda d’une part et le Congo-Kinshasa-Ouganda de l’autre. Le gouvernement congolais doit mettre fin à cette espèce de sujétion. Il s’agit de doter le pays d’une armée forte, bien entraînée et bien équipée. Il s’agit également d’expurger, de nos forces de défense, tous les éléments perfides qui ne peuvent servir, selon eux, qu’à l’Est. La perspective de doter le Congo-Kinshasa d’une armée républicaine fait peur non seulement à « Joseph Kabila » mais aussi aux potentats au pouvoir à Kampala et Kigali. Le président Felix Tshisekedi devrait relever le défi. On le voit, l’état de siège est « victime » d’un procès d’intention de la part des tireurs de ficelles internes et externes… 

Baudouin Amba Wetshi /Congoindependant 

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