Profondément religieux, le président congolais a élevé aux postes de conseillers à la présidence une poignée de pasteurs pentecôtistes qui, tout en continuant à exercer leurs ministères, multiplient les interventions dans les domaines politique, diplomatique et économique.
Le 31 décembre 2020, tandis que tous les diplomates de Kinshasa célébraient le réveillon dans leurs ambassades, s’est tenu à la Cité de l’Union africaine (UA), siège de la présidence congolaise, une longue cérémonie d’action de grâce retransmise en direct à la télévision. Pendant trois heures, le président congolais Félix Tshisekedi, sa famille, son premier cercle et une partie de son gouvernement ont écouté une poignée de pasteurs pentecôtistes qui ont exhorté les participants à la prière et aux louanges pour l’année à venir, et demandé la protection de Dieu contre la pandémie de Covid-19, entre autres. Mais l’influence de ces leaders religieux, au premier rang desquels figure le conseiller spirituel du chef de l’Etat, Jacques Kangudia Mutambayi, déborde très largement les questions strictement religieuses.
Eminences grises
Le premier à prêcher sur la scène du temple improvisé à la Cité de l’UA fut Jacques Kangudia Mutambayi. Très proche du président congolais, dont il est depuis plusieurs années le conseiller spirituel personnel, Kandugia avait également officié, le 30 mai 2019, lors de la cérémonie d’obsèques faite à Etienne Tshisekedi, père du chef de l’Etat.
Trois mois plus tard, Félix Tshisekedi nommait Kandugia à la tête d’une nouvelle institution, la Coordination pour le changement des mentalités (CCM), dont le but est de former les fonctionnaires congolais à la « lutte anti-corruption », à « l’exactitude » et au « respect des usagers ». Associé à deux autres pasteurs, Justin Bedasana et Jacques Kambala, le coordinateur de la CCM est devenu l’émissaire de la présidence congolaise envers toute la nébuleuse des ONG anti-corruption congolaise, mais également occidentales, dont une large partie des militants sont, eux-mêmes, de confession pentecôtiste. Ayant fait campagne sur plusieurs dossiers de corruption, en particulier le contrat d’émission de passeports attribué à la société belge Semlex, l’administration de Félix Tshisekedi cultive ses liens avec cette communauté de militants anti-corruption, conscients que, sur certains dossiers, tels que les sanctions prises par l’administration américaine contre le diamantaire israélien Dan Gertler, leur influence a été capitale.
Formé à la Church of God Mission de Benin City, au Nigeria, Kandugia est parfaitement anglophone et connaît tous les réseaux pentecôtistes du continent – avant d’officier à Kinshasa, il a été pasteur au Bénin et au Burkina Faso. A ce titre, il joue également le rôle de discret émissaire de Félix Tshisekedi auprès de plusieurs présidents africains qui, comme lui, sont de fervents pentecôtistes. C’est notamment le cas du président éthiopien Abiy Ahmed Ali – dont le Prosperity Party (PP) tire son nom de l’un des piliers de la théologie pentecôtiste -, mais également de son homologue ougandais Yoweri Museveni. Bien qu’officiellement anglican et membre de la Church of Uganda, Museveni est très lié aux communautés pentecôtistes et évangéliques en Ouganda par le biais de sa femme, Janet Museveni, pratiquante fervente.
A l’intérieur de la RDC, Jacques Kangudia s’est graduellement imposé comme une sorte de coordinateur non officiel de la communauté des églises dites « du réveil », n’hésitant pas à intervenir dans des processus d’élection de pasteurs pour favoriser la désignation de personnalités plus favorable au pouvoir. Un interventionnisme parfois mal vécu par les communautés locales, farouchement attachées à leur indépendance (totalement décentralisé, le mouvement pentecôtiste accorde une place centrale aux pasteurs).
Ce rôle, qui s’apparente à celui d’un évêque non officiel, vise à canaliser le soutien de la communauté pentecôtiste au président congolais. A rebours des catholiques – la Conférence des évêques avait, dès les premiers comptages des bulletins, désigné Martin Fayulu vainqueur de l’élection présidentielle de 2018 -, les fidèles du réveil congolais ont en effet massivement soutenu Félix Tshisekedi lors de la campagne présidentielle, au point que ce dernier avait, dès juin 2019, organisé une première journée d’action de grâce pour « consacrer le Congo à Dieu » et, dans un rite typique des cérémonies pentecôtistes, publiquement demandé pardon pour les violences qui avaient émaillé le scrutin. Lors de cette première cérémonie officiait, déjà, Jacques Kangudia. Avec ses mega-church, ses innombrables associations et ses nombreux médias – les pentecôtistes n’opèrent pas moins de six télévisions en RDC, dont Puissance, Dieu Vivant, Message de vie et Armée de l’Eternel -, la communauté pentecôtiste est un formidable vecteur de mobilisation politique.
Grâces diplomatiques
Aux côtés de Jacques Kangudia, l’autre pasteur actif à la présidence congolaise est Olivier Tshilumba Chekinah. S’il ne prêchait pas lors de la journée d’action de grâce du 31 décembre, il était dans l’assistance, aux côtés du président congolais. Alternant les séjours entre le Canada, où se trouve sa paroisse, l’Eglise nouvelle vie et Kinshasa, où il dispose d’un titre de conseiller présidentiel, Chekinah a joué un rôle de premier plan dans la participation, le 25 février 2020 à Washington, de Félix Tshisekedi à la conférence annuelle de l’American Israel Public Affairs Committee (AIPAC). C’est en effet à l’initiative de ce pasteur que Tshisekedi a été invité à la réunion au cours de laquelle il a publiquement annoncé qu’il reconnaissait Israël et s’apprêtait à ouvrir une ambassade à Tel Aviv ainsi qu’un bureau économique à Jérusalem, considérée comme la capitale du pays par les militants de l’AIPAC. Grâce à ce discours, le président congolais a pu entrer dans les bonnes grâces de l’administration Trump, même s’il en a, finalement, retiré peu de bénéfices.
Si Chekinah, parfaitement anglophone, est parvenu à imposer Tshisekedi aux délégués du lobby pro-israélien de l’AIPAC, c’est que les pentecôtistes entretiennent depuis très longtemps une relation particulière à Israël. En se basant sur l’apocalypse et les livres de Daniel, entre autres, les pentecôtistes considèrent la création d’Israël comme un événement avant-coureur du retour de Dieu sur terre et sont donc alignés sur les positions sionistes les plus maximalistes. Pragmatiques, ces dernières entretiennent le lien avec ces « sionistes chrétiens » au zèle missionnaire.
Outre son rôle de diplomate de l’ombre, Olivier Tshilumba Chekinah est, enfin, le discret ambassadeur, via sa société OL Consult, de quelques groupes miniers et d’infrastructure basés au Canada. Comme l’a révélé Africa Intelligence , il a notamment défendu à la présidence congolaise la candidature de Fortescue Metals Group pour développer le projet de barrage dit Grand Inga. Le groupe australien, qui a approché Chekinah via sa branche canadienne, a finalement signé un accord en septembre 2020 avec la RDC.
Continuité historique
Le troisième membre du trio pentecôtiste influent à la présidence est Roland Dalo, pasteur du Centre missionnaire Philadelphie de La Gombe, l’église personnelle du chef de l’Etat congolais. Dès le 3 février 2019, premier dimanche après son investiture, Félix Tshisekedi était dans cette église pour participer à une tentative de réconciliation avec son adversaire malheureux à la présidentielle, Martin Fayulu, également fidèle de cette paroisse. S’il n’a pas de titre officiel, Roland Dalo est systématiquement associé à toutes les cérémonies religieuses officielles congolaises, qu’il s’agisse des journées d’actions de grâce, des cérémonies de prières ou autre. L’homme fut l’assistant du plus célèbre pasteur pentecôtiste de la région, le Suisse Jacques Vernaud, qui officia d’abord au Gabon avant de créer, dans les années 1960, l’Eglise évangélique pentecôtiste du Congo et d’ériger, dans les murs de l’hôtel La Borne en 1985, la première mega-church de Kinshasa, capable d’accueillir 15 000 personnes et encore active aujourd’hui.
Africa Intelligence