Les pays riches n’ont pas tenu l’engagement de verser annuellement 100 milliards de dollars à partir de 2020 aux pays victimes du réchauffement. Ces derniers réclament désormais un « pacte climatique d’urgence ».
Dans un climat de défiance grandissant, les Etats les plus vulnérables au changement climatique ont relevé leur niveau d’exigence, mercredi 3 novembre, lors de la 26e conférence sur le climat à Glasgow (COP26). Les représentants du Climate Vulnerable Forum (CVF), le club qui rassemble ces pays, ont réclamé, dans le cadre d’une « déclaration de Dacca », du nom de la capitale du Bangladesh, qui préside le groupe cette année, l’adoption d’un « pacte climatique d’urgence ». Les pays riches, responsables historiques du changement climatique, n’ont toujours pas tenu leur engagement datant de 2009 de leur verser annuellement 100 milliards de dollars (86 milliards d’euros) à partir de 2020 pour les aider à s’adapter au réchauffement et à réduire leurs émissions.
« Nous voulons un plan annualisé pour la délivrance des 100 milliards de dollars promis, que la moitié de ces sommes aillent à l’adaptation de nos pays au changement climatique, et que les pays les plus émetteurs améliorent tous les ans leurs contributions nationales à la réduction des émissions, et non tous les cinq ans. Enfin, nous voudrions que ce soit le Fonds monétaire international [et non l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), jugée moins neutre] qui se charge de la surveillance de ces engagements », détaille Abdul Momen, ministre bangladais des affaires étrangères.
Formé en 2009 sous l’impulsion des Maldives, constitué d’une cinquantaine de pays représentant 2 milliards de personnes, le CVF « n’est responsable que de 5 % des émissions totales, mais ses membres sont les premières victimes du réchauffement », souligne le ministre, qui réclame aussi « des restructurations de la dette des pays pauvres ». Certes, le Japon vient d’annoncer 10 milliards de dollars supplémentaires pour aider à la transition dans les pays en développement. Mais pour l’heure, à Glasgow, les autres gros pollueurs de la planète n’ont pas relevé significativement leurs efforts financiers à court terme. « Les enjeux, tout le monde les connaît maintenant. Ce qu’il faut, c’est davantage d’attention politique à nos réalités, nos terres qui se salinisent, nos populations qui perdent leur toit ou leur mode de vie », déplore Abdul Momen.
« Pertes irréversibles »
Le CVF compte aussi pousser au maximum la notion de « pertes et dommages » liés au réchauffement climatique, inscrite à l’agenda de la COP de Glasgow. Il réclame depuis des années la création d’un fonds pour compenser les dégâts engendrés par le réchauffement. « Rien que pour les îles Marshall, nous avons besoin de plusieurs milliards de dollars, et c’est sans inclure les pertes irréversibles de nos identités culturelles et de nos modes de vie », explique Kathy Jetnil-Kijiner, l’envoyée climat de la République des îles Marshall, un archipel du Pacifique menacé de submersion.
« Les 100 milliards de dollars du fonds climat ne sont pas suffisants, le premier ministre [indien] Narendra Modi a dit que son pays aurait besoin de milliers de milliards pour sa transition », confie Mohamed Nasheed, ancien président des Maldives, un des principaux porte-parole du CVF. Quant au sujet des dommages, « les pays développés trouvent très difficile d’en parler en raison de leur responsabilité historique », regrette M. Nasheed.
Kausea Natano, premier ministre de Tuvalu (archipel du Pacifique), et Gaston Browne, premier ministre d’Antigua-et-Barbuda (Caraïbes) et par ailleurs président de l’Alliance des petits Etats insulaires, ont lancé à Glasgow une initiative encore plus audacieuse : la « commission des petites îles sur le changement climatique et le droit international ».
« Après tant d’années, nous constatons que les engagements volontaires des Etats pollueurs ne suffiront pas à limiter les dégâts du réchauffement pour des pays comme les nôtres. C’est pour cela que nous voulons explorer la voie légale, détaille Gaston Browne. Nous souffrons déjà énormément de la destruction de nos plages, qui impacte directement nos ressources touristiques, des vagues de chaleur et du manque de précipitations, qui nous contraignent à investir des dizaines de millions de dollars dans le filtrage de l’eau pour fournir de l’eau potable à nos habitants. Pour réparer les dégâts causés par les ouragans, nous empruntons, et les dettes des pays caribéens s’aggravent. »
« La confiance n’est plus là »
« Notre démarche n’est pas hostile, mais la confiance dans les engagements volontaires des pays pollueurs n’est plus là et la discussion sur les dommages et pertes, à cette COP, reste dans les marges, assure le dirigeant. Or, nous ne pouvons pas juste rester assis en espérant la charité ou en mendiant de l’aide. C’est pour cela que trouver un mécanisme légal pour contraindre les pays pollueurs est si important. »
Conseiller des gouvernements de Tuvalu et d’Antigua-et-Barbuda, l’avocat Payam Akhavan, membre de la Cour permanente d’arbitrage de La Haye, explique vouloir explorer la demande d’un avis consultatif auprès de la Cour internationale de justice ou du Tribunal international du droit de la mer. « Cette démarche légale est très ambitieuse, et remarquable venant de si petits Etats qui sont les premières victimes du réchauffement, alors que beaucoup prônent un mode de vie bien plus respectueux de la nature que les pays occidentaux. Mais ils nous montrent la voie. Ils sont au bord de l’effondrement, ils n’ont rien à perdre », souligne l’avocat.
Seule dirigeante du Nord à avoir osé aborder de front ce sujet des dommages ces derniers jours, la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, a proposé un fonds de 1 million de livres sterling (1,18 million d’euros) sur le budget écossais pour aider les pays du Sud à surmonter les frais liés aux inondations ou aux incendies. Si les Etats-Unis et les autres Etats occidentaux refusent absolument de reconnaître les implications juridiques de leur responsabilité historique dans les dommages climatiques, « c’est un sujet sur lequel les pays en développement insistent beaucoup et qui va être très sensible dans la suite [des] discussions à Glasgow. Il va falloir trouver une manière de leur répondre », confie une source occidentale.
Cécile Ducourtieux(Glasgow, envoyée)