La République démocratique du Congo, vitrine fissurée de la Chinafrique

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Signé en 2008 sous Joseph Kabila, le mégacontrat « minerais contre infrastructures » demeure un mirage : aucun des 31 hôpitaux prévus par Pékin n’a été construit, pas plus que les deux universités annoncées.

Ce devait être le « contrat du siècle ». La démonstration parfaite de ce partenariat « gagnant-gagnant » que la Chine promet à l’Afrique. En 2008, Joseph Kabila avait validé avec Pékin une gigantesque opération de troc : du cobalt et du cuivre de son pays contre la construction d’infrastructures. Pour celui qui était alors président de la République démocratique du Congo (RDC), l’ambition affichée était d’exploiter ce qu’il est convenu d’appeler le « scandale géologique » congolais pour en finir avec un autre scandale, bien plus authentique, celui de la pénurie de routes, de voies ferrées, d’hôpitaux, d’écoles, d’universités…

Pour la Chine, la négociation d’un accès préférentiel à ces ressources minérales s’avérait stratégique pour la poursuite de son développement industriel. La RDC est le premier producteur africain de cuivre et – de loin – le premier mondial de cobalt, essentiel pour la fabrication des batteries des véhicules électriques et des smartphones. Montant de l’accord : 9 milliards de dollars (environ 6,4 milliards d’euros à l’époque), ramenés l’année suivante à 6,2 milliards de dollars sous la pression du Fonds monétaire international (FMI), inquiet du surendettement que pourrait faire peser cet accord sur l’économie congolaise.

La nature de la relation a évolué au cours de la décennie suivante, passant d’une logique de troc à celle, commerciale, des « routes de la soie » imaginées par Pékin. Pour maintenir ses importations de minerais congolais, la Chine a ainsi concentré l’essentiel de la réalisation de ses projets dans le domaine hydroélectrique, afin de produire l’énergie nécessaire à une extraction industrielle.

Soutien américain

Mais voilà qu’un vent nouveau a commencé à souffler sur les relations sino-congolaises depuis l’arrivée de Félix Tshisekedi à la présidence, en janvier 2019. Comme Joseph Kabila, qui avait tout d’abord bénéficié d’un important appui occidental avant de se rapprocher de Pékin, le nouveau chef de l’Etat, dont la légitimité électorale a été sérieusement mise en cause, a reçu dès ses premiers jours au pouvoir le soutien de la diplomatie américaine, dont son très visible et communicatif ambassadeur à Kinshasa, Mike « Nzita » Hammer.

Ce dernier l’a-t-il incité à remettre en cause la coopération nouée par son prédécesseur avec Pékin, dans un contexte international de rivalité exacerbée entre la Chine et les Etats-Unis ? « Je ne peux pas dire que les Etats-Unis l’ont poussé, mais ils n’ont sans doute rien fait pour l’empêcher. Sur le long terme, les réserves minières de la RDC sont stratégiques pour tout le monde », répond, avec une prudence de diplomate, un autre ambassadeur en poste à Kinshasa.

Quoi qu’il en soit, après avoir dénoncé en mai 2021, lors d’une visite au Katanga – le cœur minier de la RDC –, ceux « qui nous ont trop volés », « ces investisseurs qui viennent les poches vides et repartent milliardaires », et prévenu qu’« il n’est pas normal que ceux avec qui le pays a signé des contrats d’exploitation s’enrichissent pendant que nos populations demeurent pauvres », le président congolais a chargé ses ministres des mines et des infrastructures de faire l’état des lieux des réalisations produites par cette coopération sino-congolaise.

Même si Kinshasa s’en défend, c’est une pierre dans le jardin de la Chine, que Zhu Jing, son ambassadeur sur place, a aussitôt tenté de relancer sur le terrain géopolitique. Sur Twitter, celui-ci a souligné le 12 mai que « la RDC et l’Afrique ne doivent pas être le champ de bataille des puissances ».

« Une véritable imposture »

La remise des deux rapports à la présidence n’a certainement pas rassuré le diplomate chinois. Celui signé par la ministre des mines, Antoinette N’Samba Kalambayi, estime que depuis 2015 et l’entrée en production de la Sicomines, la joint-venture montée entre l’Etat congolais et un consortium d’entreprises publiques chinoises, les 882 millions de dollars de bénéfices tirés de l’extraction de 829 000 tonnes de cuivre et 3 873 tonnes de cobalt ont intégralement servi au remboursement des créanciers chinois.

Remis quelques semaines plus tard, en novembre, celui du ministère des infrastructures s’avère encore plus sévère. Car si 2,4 des 3,2 milliards de dollars promis pour le secteur minier ont été effectivement investis, seuls 969 millions de dollars, intérêts compris, sur les 3 milliards convenus pour la réalisation d’infrastructures ont été engagés. Pire encore pour la RDC, le montant de ces investissements a été ramené à 1,05 milliard de dollars par le conseil d’administration de la Sicomines, dont les parts sont détenues à 68 % par des intérêts chinois. Le ministre des infrastructures, Alexis Gisaro Muvunyi, a plaidé pour « contraindre la Sicomines à revoir son plafonnement ».

Une autre évaluation de la coopération sino-congolaise a fait grand bruit à Kinshasa en septembre. Selon le consultant Léonide Mupepele, qui a réalisé un rapport pour l’Initiative pour la transparence des industries extractives (ITIE), les conditions acceptées par l’administration Kabila constituent « un préjudice sans précédent dans l’histoire récente de la RDC ». D’après lui, l’étude chinoise qui aurait sous-évalué les réserves et ressources de la Sicomines est « une véritable imposture ». Le consultant dénonce également la structure du capital social de la joint-venture comme « relevant d’un partage léonin » et, à ce titre, appelle la RDC à « demander un rééquilibrage des parts sociales basées sur les apports réels des partenaires ».

Vers une renégociation ?

Pour les Congolais, treize ans après sa signature, le « contrat du siècle » demeure un mirage. Aucun des 31 hôpitaux de 150 lits n’a été construit, pas plus que les deux universités annoncées. Sur les 3 500 km de routes prévues, seules 356 km de voies bitumées et 854 km de pistes ont été terminées.

La réévaluation demandée par le président Tshisekedi serait le prélude à une renégociation. « Cela va dans le sens de l’accord signé début 2020 avec le FMI, alors que celui-ci avait rompu ses programmes en 2012 en raison du manque de transparence. Il ne faut pas cependant s’attendre à un réinvestissement massif du secteur au détriment des Chinois », prévient une source. A ce jour, la RDC exporte 90 % de sa production de cobalt et de cuivre et 80 % de sa production minière globale vers la Chine.

Cyril Bensimon

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