Le méga-projet pétrolier du Français Total en Ouganda, symbole de ce qu’il ne faut plus faire. Le gouvernement d’Ouganda a validé le projet pétrolier de Total en Afrique de l’Est. S’il voit le jour, l’oléoduc EACOP traversera seize aires naturelles protégées et contribuera à émettre 33 millions de tonnes de CO2. Onze banques internationales se sont déjà désengagées de son financement.
Des pêcheurs du village de Ntoroko, sur les rives du lac Albert en Ouganda, dont l’activité vivrière peut être menacée par l’exploitation du champ de pétrole, découvert près de là. Un énorme gisement de pétrole – 6,5 milliards de barils, dont 2,2 récupérables – a été découvert, en 2006, sous le lac Albert, en Ouganda. Son exploitation a pris un coup d’accélérateur, début septembre, lorsque le Conseil des ministres du pays africain a adopté le projet de l’Oléoduc de pétrole brut d’Afrique de l’Est (EACOP), censé le transporter.
L’EACOP sera chauffé pour faire pulser 216 000 barils par jour, des champs de Kingfisher et de Tilenga jusqu’au port de Tanga, sur la côte est de la Tanzanie : un trajet de 1 443 km. L’oléoduc est l’aboutissement d’une vaste opération pétrolière dans laquelle le Français TotalEnergies et la China national offshore oil corporation (Cnooc) se partagent l’essentiel des deux sites d’exploitation, depuis le retrait du Britannique Tullow Oil, en 2020.
Onze banques se sont désengagées
Une holding spéciale a été montée pour l’EACOP. Total possède 62 % des parts, la chinoise Cnooc 8 % et les compagnies pétrolières nationales d’Ouganda et de Tanzanie 15 % chacune. Son financement n’est pas encore totalement assuré, malgré les efforts de la Standard Bank, grand groupe sud-africain, qui joue les facilitatrices, avec la Sumitomo Mitsui du Japon et la Banque industrielle et commerciale de Chine.
L’EACOP traversera l’Ouganda et la Tanzanie sur 1443km.
Sous la pression d’une coalition d’ONG, six banques se sont retirées en avril, dont trois françaises : BNP Paribas, Société Générale et Crédit agricole. Actuellement ce sont onze grandes banques qui se sont désengagées, dont les dernières HSBC, Mizuho et United Overseas Banke en août, liste Ryan Brightwell, de l’organisation internationale BankTrack, qui piste les investissements bancaires nuisant aux droits de l’homme ou à la santé de la planète.
La mauvaise presse a fait grimper les prix : le projet d’oléoduc est passé de 3,5 à 5 milliards de dollars. Les marges de manœuvre se réduisent pour les pétroliers. 123 institutions financières ont signé les Principes de l’Équateur, le cadre de gestion des risques environnementaux et sociaux du secteur bancaire pour le financement de grands projets d’infrastructure, auquel le projet EACOP devra adhérer s’il veut attirer des financements, assure BankTrack.
« 33 millions de tonnes de CO2 par an »
Du côté des organisations environnementales qui militent contre, il y a la puissante Union internationale pour la conservation de la nature. L’UICN reproche aux partenaires du projet de contrevenir à au moins deux grands engagements internationaux, la Convention sur la biodiversité et la Convention de Ramsar sur les zones humides.
L’oléoduc traverse seize aires protégées sur les deux pays, dont le parc national des chutes de Murchinson, la réserve des chimpanzés de Budongo et la steppe de Wembere, une zone clé de biodiversité qui abrite des lions, des antilopes rouannes, des singes colobes rouges… » Lundi, à Paris, lors d’un canular pour dénoncer l’EACOP, des activistes américains se sont fait passer pour Total et on proposé de déménager les éléphants d’Afrique en Savoie, pour les sauvegarder.
Le projet pétrolier contrevient aussi à l’Accord de Paris pour le climat, selon l’Institut suédois de l’environnement : Il pourrait émettre au moins 33 millions de tonnes de CO2 par an, soit plus de trente fois les émissions annuelles de l’Ouganda et de la Tanzanie réunis » . Une quantité supplémentaire que la planète ne peut pas supporter.
Un procès sur le devoir de vigilance
Total connaît les risques pour la biodiversité et le climat, et s’engage à les limiter. Son étude d’impact note d’ailleurs la présence d’espèces protégées. Le double projet Tilenga et EACOP est en ligne avec nos engagements environnementaux, indique l’industriel sur son site. Tant pis s’ils sont contraire aux recommandations des scientifiques, qui réclament de toute urgence de laisser les combustibles fossiles dans le sous-sol, pour limiter le réchauffement climatique. Un traité de non-prolifération des combustibles fossiles sera aussi étudié à la prochaine Cop26, en Écosse.
MUSEVENI fait pression sur les ONG
Malgré l’opprobre international, on note une accélération du projet ces derniers mois et une pression accrue sur les militants ougandais, regrette Juliette Renaud, qui suit le dossier pour les Amis de la Terre. Le 25 mai, l’activiste Maxwell Atuhura a été arrêté alors qu’il accompagnait une journaliste italienne dans l’un des 172 villages ougandais (plus de 4 000 personnes) concernés par les expropriations et les compensations financières.En août, le gouvernement de Yoweri Museveni a fait museler cinquante ONG un peu critiques depuis le début de son sixième mandat, en janvier.
Des pays africains désireux de se développer
En France, depuis 2019, six ONG accusent Total de ne pas respecter son devoir de vigilance en Ouganda. La multinationale rejette les accusations d’atteintes aux droits humains et réaffirme qu’elle ne contribue à aucune agression, menace physique ou juridique, contre ceux qui exercent leur droit à la liberté d’expression… L’affaire est en cassation. Quatre rapporteurs spéciaux des Nations unies ont écrit à Total, sur ce dossier ainsi que les autorités françaises et ougandaises.
L’Afrique regorge d’hydrocarbures (ici dans le basin du Lokichar, dans le rift africain, au Kenya), mais il est largement inexploité. Et il vaudrait mieux qu’il le reste, réclament plus de 2 000 scientifiques dans une lettre ouverte adressée aux Nations unies, lundi 13 septembre.
À sa décharge, l’Ouganda – dont 41 % des 40 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté – cherche des solutions pour une transition énergétique. La ministre de l’Énergie, Ruth Nankabirwa, rappelle que son pays a besoin d’emplois, notamment en zone rurale et qu’il doit aussi sortir de la cuisson au charbon de bois, cause d’une partie de la déforestation de sa forêt tropicale.
Le pétrole de Total et le gaz de Shell
Comme la plupart des pays du continent africain, l’Ouganda est démuni face aux énormes dépenses à faire pour s’adapter au changement climatique, alors qu’il cherche aussi à fournir de l’électricité dans ses campagnes. 600 millions d’Africains vivent toujours sans courant. L’Afrique doit-elle rester pauvre pour que la planète respire ? s’interroge François Soudan, directeur de la rédaction Jeune Afrique.
L’étude d’ODI sur le manque de générosité des pays riches pour aider les moins développés dans leur transition énergétique. Très mal classé en rouge : les États-Unis. | ODI
La réponse est évidemment non. Mais qui vient au secours de l’Afrique verte ? Pas les pays les plus riches qui n’ont toujours pas honoré le fonds de 100 milliards de dollars par an pour aider les moins développés, promis dès… 2009. À commencer par les États-Unis, selon le groupe de réflexion britannique Overseas Development Institute, qui fournissent moins de financement que la France, l’Allemagne, le Japon ou le Royaume-Uni, bien que leur économie soit plus importante que celles de tous réunis.
Aussi l’Afrique regorgeant d’hydrocarbures – le Gabon a signé douze contrats pétroliers en juin ! – ce sont les grands groupes qui proposent développement contre pétrole . La ministre ougandaise Ruth Nankabirwa, en guerre contre le charbon de bois, s’exprimait ce week-end depuis Kampala, la capitale, au lancement d’une campagne du Néerlandais Shell pour le gaz…
Christelle GUIBERT/Ouest-France