C’est une première dans l’histoire de la colonisation européenne en Afrique. Un Etat colonisateur, l’Allemagne, en l’occurrence, reconnaît avoir commis un génocide contre les populations des Hereros et Namas en Namibie pendant l’ère coloniale. Il va verser au pays plus d’1 milliard d’euros d’aide au développement.
Pour Valérie Rosoux, directrice de recherche FNRS en science politique à l’UCLouvain, cette déclaration de génocide pose un fameux précédent. Elle poursuit : « Il y aura, soit, un effet d’entraînement, ou un effet domino si vous préférez ou, au contraire, un effet de raidissement. D’autant plus que l’Allemagne assortit sa déclaration d’une importante somme d’argent. »
Les faits remontent entre 1884 et 1915, les Hereros et les Namas, privés de leurs terres et de leur bétail, s’étaient révoltés contre les colons allemands, faisant une centaine de morts parmi ces derniers. Envoyé pour mater la rébellion, le général allemand Lothar von Trotha avait ordonné leur extermination. Les Namas s’étaient soulevés un an plus tard et subirent le même sort. Au total, au moins 60.000 Hereros et environ 10.000 Namas perdirent la vie entre 1904 et 1908. Les forces coloniales allemandes avaient employé des techniques génocidaires : massacres de masse, exil dans le désert où des milliers d’hommes, femmes et enfants sont morts de soif, et camps de concentration comme celui tristement célèbre de Shark Island.
Si aujourd’hui, seuls ces faits sont qualifiés de ‘génocide’ dans l’histoire de la colonisation en Afrique, beaucoup d’autres actes d’une violence extrême ont été perpétrés pendant cette période mais ils ne sont pas pour autant qualifiés de génocides. Prenons l’exemple du massacre des Mau Mau au Kenya. En 1952, après une campagne de sabotages et d’assassinats imputée à des terroristes Mau Mau, le pouvoir colonial anglais organise des opérations militaires à l’encontre des rebelles. Plus de 100.000 rebelles et civils vont être tués au cours des combats ou dans les massacres qui caractérisent la répression et plus de 300.000 personnes seront détenues dans des camps. Aujourd’hui, si le gouvernement anglais reconnaît qu’il y a eu bel et bien un massacre, il n’évoque en aucun cas un génocide. La France, de son côté, a également reconnu son implication dans l’esclavage comme un crime contre l’humanité.
Où s’arrête le massacre et où commence un génocide ?
De 1885 à 1900, plusieurs Etats européens se jettent sur l’Afrique dans un but économique et de prestige. Les puissances qui y prennent part sont, principalement, la Grande-Bretagne, la France, l’Allemagne, l’Italie et… la Belgique. En 1880, un Etat qui se respecte est un Etat qui dispose de colonies. Il s’agit de pratiquer une exploitation commerciale violente et intensive des ressources naturelles de l’Afrique. A-t-on tué pour autant pour des raisons ethniques ?
Pour y voir plus clair, nous avons fait appel à plusieurs historiens. Pierre-Luc Plasman est l’auteur de ‘Leopold II, potentat congolais’. C’est un spécialiste de l’histoire des colonies. D’emblée, il nous explique que ce qu’on appelle les guerres coloniales pour prendre le contrôle d’un territoire ou mater des rébellions impliquaient d’autres logiques que celles de génocide. « La manière de les qualifier est de parler d’atrocités, nous explique-t-il, mais elles ne sont pas dictées par la volonté d’exterminer une population mais bien de rétablir le contrôle d’une situation en utilisant des pratiques démesurées de l’usage de la force que les consciences modernes vont tout à fait réprouver.
Un génocide a-t-il été pratiqué au Congo ?
L’histoire du Congo s’inscrit dans cette logique. Le Congo est propriété du Roi Léopold II jusqu’en 1908. Il cède ensuite l’Etat indépendant à la Belgique. Les revenus de la colonie sont alors cédés à l’Etat belge. Les exactions commises avant 1908 sont qualifiées par certains de ‘génocide’. Certains évoquent même dix millions de morts. Mais est-ce crédible ?
Selon les historiens que nous avons contactés, c’est un chiffre aberrant qui repose, en réalité, sur un recensement réalisé, à la grosse louche, par Henry Morton Stanley lorsqu’il a descendu le fleuve Congo. Il s’est basé sur le nombre d’habitants présents le long des rives pour extrapoler un chiffre de 20 millions d’habitants à l’ensemble du territoire. Par la suite, on s’est rendu compte que la densité de population, en forêt, ne dépasse pas trois à quatre habitants au kilomètre carré. Mais en 1903, dans le rapport appelé ‘Casement’, les Anglais avaient pointé du doigt les abus dans certaines régions du Congo et notamment l’affaire des mains coupées.
Des Etats accusateurs pas plus droits dans leurs bottes
Aux yeux de plusieurs historiens belges, c’est un peu l’hôpital qui se moque de la charité. A la même époque, en effet ; les Anglais mataient dans le sang en Sierra Leone une révolte contre la Hut Tax (une taxe foncière imposée à tous les Africains propriétaires d’une hutte et sous administration anglaise). Par ailleurs, l’homme d’affaires anglais Cecil Rhodes s’appropriait au nom de la reine Victoria, le Matabelaland, qui deviendra la Rhodésie en extorquant un accord léonin avec le Roi africain Matabélé. S’ensuivront plusieurs révoltes également matées dans le sang.
Pierre-Luc Plasman nous le rappelle : « Lorsque l’on pense à la colonisation, nous ne devons pas oublier qu’il y a beaucoup d’acteurs privés (entrepreneurs et financiers) qui y ont pris part et on se situe géographiquement et culturellement en dehors de l’Europe au moment où s’y institue justement un droit humanitaire. En Afrique, le droit ne s’applique qu’à certaines personnes. On est dans une zone où ne s’applique que le droit du plus fort. »
L’historien note également que le manque de contrôle des agents sur place, va entraîner des abus de pouvoir car ils ont un sentiment d’impunité. Mais il pondère : « Dans chacune de ces histoires coloniales on peut trouver des faits très graves, des massacres mais en même temps, ces faits seront dénoncés dans les métropoles de ces Etats coloniaux« .
Des faits d’une violence extrême ne se comptent pas en années mais en générations
Si l’ordre colonial résulte d’une conquête militaire puissante, il est en réalité très fragile. Les colonies ne vont pas perdurer très longtemps en Afrique car à l’inverse de la colonisation du continent américain, qui va de pair avec un large mouvement de peuplement, les Européens sont largement minorisés en Afrique. Les objectifs étaient de s’accaparer les ressources naturelles : or, diamant, caoutchouc.
Le politologue français Olivier Lecour Grandmaison déclarait, il y a 20 ans : « L’Europe s’est engagée massivement dans une entreprise d’extermination en Afrique ». Selon lui, aucune puissance européenne n’a les mains propres.
Pierre-Luc Plasman est plus prudent : « Le génocide reste très connoté, en Europe, par rapport à la Shoah. La reconnaissance du passé n’implique pas forcément l’application du nom génocide à tous les cas d’étude qui sont évoqués. »
Après le génocide juif, arménien, rwandais, le génocide des Hereros et des Namas est donc officiellement reconnu. Une chose est sûre selon Valérie Rosoux : Ce qui se passe aujourd’hui démontre que des faits d’une violence extrême ne se comptent pas en années mais en générations.
RTBF