Essai rédigé par l’auteur congolais Valentin-Yves Mudimbé en 1988. Un classique de la littérature des idées, sans doute un des livres les plus lus dans les études africaines des universités américaines. Il est publié pour la première fois en langue française chez Présence africaine.
Histoire d’un livre. En 1988 était publié aux Etats-Unis l’important ouvrage du philosophe congolais. Alors un essai précurseur, c’est en classique qu’il paraît aujourd’hui en France.
Trente-trois ans. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour traduire l’essai incontournable des études africaines, The Invention of Africa, de Valentin-Yves Mudimbe ? Voilà une énigme qui n’a cessé de hanter Mamadou Diouf. Enseignant à l’université Columbia, à New York, il dirige la collection dans laquelle paraît L’Invention de l’Afrique. « C’est probablement l’un des livres des études africaines les plus utilisés dans le système universitaire. Il n’y a pas un étudiant en ce domaine qui ne l’ait lu », avance-t-il.
Et pour cause, L’Invention de l’Afrique est devenu un classique dès sa parution en 1988 et a opéré une rupture comparable à celle provoquée par Edward Said (1935-2003) avec L’Orientalisme (1978 ; Seuil, 1980) – les deux auteurs se lisant d’ailleurs et s’appréciant mutuellement. L’essai de Mudimbe paraissait en un moment où le débat sur la philosophie africaine, qui battait son plein depuis les années 1960-1970, soulevait la question de ce que pourrait être un savoir à proprement parler africain, en montrant les limites du regard occidental dans l’appréhension des réalités africaines.
Comment les discours d’explorateurs, d’agents coloniaux, d’anthropologues et de missionnaires ont-ils façonné un savoir sur l’Afrique ? Réunir cette « bibliothèque coloniale », qui a « inventé » une Afrique perçue comme le pendant négatif de l’Occident, était un des objets du livre. Raison pour laquelle, selon la philosophe Nadia Yala Kisukidi, maîtresse de conférences à Paris-VIII, « il est central qu’il paraisse en France dans une période où fleurissent des discours sur l’Afrique qui la présentent encore comme radicalement différente de l’Europe. Cela devrait pouvoir aider à voir en quoi ils restent emprisonnés dans de vieilles lignes ethnologiques ».
Son auteur Valentin Y. Mudimbe devenu Vumbi-Yoka Mudimbe après la Zaïrianisation, est né le 8 décembre 1941 à Likasi, actuelle province du Katanga, est reconnu comme l’un des plus fins analystes des sciences sociales, des humanités classiques et modernes et de la philologie ; Mudimbe est aussi un romancier hors pair. Il a pourtant fallu une génération pour traduire son livre dans la langue et les traditions intellectuelles francophones qui l’ont nourri. Mudimbe explore ici, trois territoires épistémologiques, la philologie grecque et latine, les bibliothèques religieuses et l’ethnographie coloniale, pour s’en prendre avec une certaine allégresse aux littératures en quête d’une Afrique « vernaculaire », d’une modernité néo-pharaonique inaugurée par une Égypte ancienne triomphante, remise sur ses pieds africains, qui fit la leçon aux Grecs, pour établir une production intellectuelle décrochée du monde occidental. Le livre continue de faire l’objet de commentaires et de critiques. Il est probablement l’un des ouvrages les plus cités de la littérature africaniste. Sa lecture est obligatoire dans plusieurs disciplines enseignées dans les universités américaines.
Déjà petit, il sait qu’il a une vocation religieuse. Son école, gérée par des frères bénédictins, lui permet une ouverture à la culture occidentale par la philosophie, la littérature française, le grec et le latin. En 1960, il devient moine bénédictin et sera appelé « Frère Mathieu ».
Deux ans plus tard, il entame des études à l’université et sort, en 1966, avec un diplôme en philologie romane. Il ira ensuite à l’université catholique de Louvain, en Belgique, pour y faire son doctorat en linguistique. Il sera proclamé docteur en 1970. Il rentre ensuite en RDC afin de travailler en tant que professeur tout d’abord dans l’université Lovanium de Kinshasa et ensuite dans l’université nationale du Zaïre.
Romans:
- 1973: Entre les eaux. Dieu, un prêtre, la révolution, Paris, Présence africaine
- 1976: Le Bel Immonde, Paris, Présence africaine
- 1979: L’écart, Paris, Présence africaine
- 1989: Shaba deux. Les carnets de mère Marie-Gertrude, Paris, Présence africaine
Mémoires, chroniques, autobiographies, biographies
1976 : Carnets d’Amérique, Paris, Saint Germain-des-Prés
1994 : Les corps glorieux des mots et des êtres : esquisse d’un jardin à la bénédictine, Paris – Montréal, Présence Africaine – Humanités
2006 : Cheminements. Carnets de Berlin (avril-juin 1999), Québec, Éditions Humanitas, 2006.
Essais
« Humanisme et négritude », Présence universitaire, 14 (1964), p. 5-13.
« La littérature noire et le problème du sacré », Présence universitaire, 23 (1966), p. 20-30.
« Orphée-noir », Congo-Afrique, 3 (1966), p. 149-153.
« Physiologie de la négritude », Études Congolaises, 10 (1967) n. 5, 1-18.
« Héritage occidental et conscience nègre. Introduction à l’étude des sources de l’idéologie africaine », Congo-Afrique, 26 (1968), p. 283-294.
« Structuralisme, événement, notion, variations et les sciences humaines en Afrique », Cahiers économiques et sociaux, 6 (1968), p. 3-7.
« Matérialisme historique et histoire immédiate», Cahiers économiques et sociaux, 8, 1970, n.3.
« Négritude et politique », dans Hommages d’hommes de culture », Paris, Présence africaine, 1970, p. 276-283
« Réflexions sur la vie quotidienne », Kinshasa, Mont noir, 1972 (coll. « Objectif 80 »).
« Autour de la Nation. Leçon de civisme. Introduction », Kinshasa – Lubumbashi, Mont noir, 1972 (coll. « Objectif 80 »).
« L’autre face du royaume, une introduction à la critique des langages en folie », Lausanne, L’âge d’homme, 1973.
« Héritage occidental et critique des évidences », Zaïre-Afrique, 72 (1973), p. 89-99.
« Des philosophes africains en mal de développement », Zaïre-Afrique, 108 (1976), p. 453-458.
« Philosophie, idéologie, linguistique », dans La place de la philosophie…, Lubumbashi, 1976, p. 148-153.
« Le christianisme vu par un Africain », dans Religions africaines et christianisme, Colloque intern. de Kinshasa, 1978 I, Cahiers des religions africaines, 11 (1977) n.21-22, p. 165-176.
« Entretien avec Monseigneur Tshibangu Tshishiku », Recherches, Pédagogie et culture, 6 (1977) n.32, p. 16-19.
« Problèmes théoriques des sciences sociales en Afrique », dans Cultures africaines, Problèmes et perspectives, (Textes et documents), Lubumbashi, Centre de ling. théor. et appliquée, 1977, p. 33-417.
« La libération d’une parole africaine, Notes sur quelques limites du discours scientifique », dans Philosophie et libération, 2e Semaine philos. de Kinshasa, Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1978, p. 55-59.
« Air, étude sémantique », Vienne – Fôhrenau, E. Stiglmayr, 1979.
« Civilisation et Église Catholique. Vers une “décolonisation” du catholicisme africain ? », Cahiers de religions africaines, 13 (1979) n. 25, p. 145-151.
« Le chant d’un Africain sous les Antonins. Lecture du Privilegium Veneris », dans Africa et Roma. Acta omnium gentium ac nationum vanventus latinis litteris linguaque fovendi, Roma, « L’Erma » di Bretschneider, 1979.
« La dépendance de l’Afrique et les moyens d’y remédier », Paris, Berger-Levrault, 1980.
« Du Congo au Zaïre : essai d’un bilan (sous la dir. de J. VANDERLINDEN) », Bruxelles, Centre de recherche et d’information sociopolitique [env. 1980].
« Visage de la philosophie et de la théologie contemporaine au Zaïre », Bruxelles, CEDAF, 1981.
« Panorama de la pensée africaine contemporaine de langue française », dans La philosophie en Afrique, Recherche, Pédagogie, Culture, 9 (1982) n.56, p. 15-29.
« La pensée africaine contemporaine 1954-1980. Répertoire chronologique des ouvrages de langue française », dans La philosophie en Afrique, Recherche, Pédagogie, Culture, 9 (1982) n.56, p. 68-73.
« In memoriam : Alexis Kagame (1912-1981) », dans La philosophie en Afrique, Recherche, Pédagogie et Culture, 9 (1982) n.56, p. 74-78.
« L’odeur du père : essai sur des limites de la science et de la vie en Afrique Noire », Paris, Présence africaine, 1982.
L’Invention de l’Afrique : Gnose, philosophie et ordre de la connaissance (trad. Laurent Vannini), Présence africaine, 2021, 516 p. (ISBN 270870950X).
Poèmes
«Déchirures», Kinshasa, Mont Noir, 1971 (coll. « Jeune littérature »,3).
«Entretailles précédé de Fulgurances d’une lézarde», Paris, Saint-Germain-des-Prés, 1973.
«Les fuseaux parfois…», Paris, Saint-Germain-des-Prés, 1974.
«Les fragments d’un espoir», dans Marc ROMBAUT, Nouvelle poésie négroafricaine, La parole noire. Poésie I, 43-44-45, janvier-juin 1976, p. 183-186.
Études
1970 : La littérature de la République Démocratique du Congo, L’Afrique littéraire et artistique.
Publications en anglais
Diaspora and immigration, N°Spécial de The South Atlantic Quarterly, (Durham, Duke University Press), vol. 98, 1-2, Winter-Spring 1999.
Tales of Faith: Religion as Political Performance in Central Africa, Londres–Atlantic Highlands, Athlone Press, 1997.
The Idea of Africa, African Systems of Thought, Bloomington – Indianapolis, Indiana University Press – James Currey, 19948.
History Making in Africa, Middletown (Conn.), Wesleyan University, 1993.
The Surreptitious Speech : Présence Africaine and the Politics of Otherness 1947-1987, Chicago – Londres, University of Chicago Press, 1992.
Parables and Fables : Exegesis Textuality and Politics in Central Africa, Madison, The University of Wisconsin Press, 1991.
The Invention of Africa : Gnosis, Philosophy and the Order of Knowledge, Bloomington (USA) – Londres, Indiana University Press – James Currey, 19889, traduit en français par Laurent Vannini, L’Invention de l’Afrique : gnose, philosophie et ordre de la connaissance, Présence africaine, 2021 Séverine Kodjo-Grandvaux, « L’Afrique par elle-même » [archive], 12 mai 2021 (consulté le 13 mai 2021)
African Gnosis : Philosophy and the Order of Knowledge, 27th annual Meeting of the African Studies Association, Los Angeles, 25-28 octobre 1984.
Edward W. Blyden and African Identity, a paper presented at the intern. Conference on African Philosophy : Philosophy by Africans and People of African Descent, Haverford (USA), Haverford College, juillet 1982.
Récompenses
1973: Grand prix catholique de littérature pour son œuvre Entre les eaux. Dieu, un prêtre, la révolution.
Il reçoit le Grand Prix catholique de littérature en 1973 pour son premier roman « Entre les eaux. Dieu, un prêtre, la révolution ». Pour des raisons politique, il décide de s’exiler aux Etats Unis en 1980. Il y enseigne dans des universités telles que le Haverford College, la Stanford University ainsi que la Duke University. Aujourd’hui à la retraite, il vit toujours aux Etats Unis.
Lemonde et TV5monde