«L’Ouganda a élargi sa zone d’influence aux dépens du Rwanda, qui n’avait pas été consulté et en a pris ombrage… et a réveillé les rebelles du M23. Et la guerre a repris de plus belle dans l’est du Congo…», explique un diplomate occidental en poste à Kampala.
Pour les Congolais fuyant les groupes armés, l’Ouganda est un refuge précieux. C’est d’ailleurs un des rares pays au monde à mener une politique de frontières ouvertes pour les réfugiés des pays voisins. « C’est le pays d’Afrique qui accueille le plus de réfugiés (1,5 million), et ils y ont une entière liberté de mouvements, le droit de travailler, l’accès à la santé et à l’éducation. Tout sauf le droit de vote », explique Philippe Kuessan, du bureau du UNHCR en Ouganda.
«Le président Museveni, au pouvoir depuis 1986, aime montrer au monde que son pays est une oasis de stabilité», décode un diplomate occidental en poste à Kampala.
Mais pourquoi mener une telle politique ?
« Le président Museveni, au pouvoir depuis 1986, aime montrer au monde que son pays est une oasis de stabilité », décode un diplomate occidental en poste à Kampala. « C’est vrai, sauf qu’il est aussi partie prenante aux problèmes qui ravagent les pays voisins, à la fois au Soudan du Sud et en RD Congo, où il profite de l’instabilité pour mener de lucratifs trafics. Après une attaque suicide du groupe terroriste islamiste ADF dans sa capitale en octobre dernier, le gouvernement ougandais a demandé à Kinshasa de pouvoir envoyer des troupes au Congo pour en traquer ses combattants. Cela a permis à l’Ouganda d’élargir sa zone d’influence aux dépens du Rwanda, qui n’avait pas été consulté et en a pris ombrage… et a réveillé les rebelles du M23. Et la guerre a repris de plus belle dans l’est du Congo… »
De plus, les troupes ougandaises, qui ont déjà combattu en RDC au début des années 2000, se comportent au Congo comme en terrain conquis : exploitation illégale des ressources, (bois, or, coltan…), violations massives des droits humains dénoncées notamment par Amnesty International. Qui contribuent à faire fuir les civils congolais vers l’Ouganda… Une solution durable à de tels drames humanitaires devrait donc d’abord passer par un vrai dialogue politique pour la paix.
« Où vont aller tous ces jeunes réfugiés ? »
Par ailleurs, si l’Ouganda ouvre généreusement ses frontières aux réfugiés, c’est surtout les bailleurs humanitaires internationaux qui paient l’addition. « Le gouvernement ougandais favorise l’installation des réfugiés dans des zones déshéritées du pays où il a peu investi », précise un acteur humanitaire. « Car il sait que les partenaires étrangers vont y développer des infrastructures qui bénéficieront largement aux populations locales : écoles, centres de santé, adduction d’eau. »
Par ailleurs, comme l’explique Human Rights Watch, « les élections de 2021 en Ouganda, remportées à nouveau par le président Yoweri Museveni, ont été entachées de violence et de tactiques répressives. Les forces de sécurité ont arbitrairement arrêté et battu des partisans de l’opposition et des journalistes, tué des manifestants et perturbé des rassemblements de l’opposition. »
« Museveni peut brandir le million et demi de réfugiés que son pays abrite pour éviter de devoir rendre trop de comptes à la communauté internationale en matière de droits humains et politiques », détaille le journaliste ougandais Ignatius Mujisha Bahizi. « Et c’est bien d’accueillir des réfugiés, mais il faut pouvoir s’en occuper. Il n’y a déjà pas assez d’écoles secondaires pour les citoyens ougandais : où vont aller tous ces jeunes réfugiés ? La situation est vraiment tendue… »
Journaliste au service Monde
Par Véronique Kiesel/Le Soir