Après 22 ans de règne sur le Congo, la famille Kabila s’est inventé leur petite république. Ayant abandonné le trône présidentiel à Félix Tshisekedi depuis presque une année, le clan s’est replié sur sa province d’origine, le Tanganyika, dans l’est du Congo, et plus précisément sur la ville de Manono devenue, ces dernières années, l’épicentre africain de l’exploration du lithium. Zoé Kabila, frère de l’ancien président Joseph Kabila, s’est fait élire gouverneur de Manono.
La lutte pour le gouvernorat du Tanganyika: une guerre proxy entre les Kabila et les Katumbi
La lutte pour le gouvernorat du Tanganyika a agité le pouvoir central de Félix Tshisekedi. Les deux candidats en lice étaient les représentants des frères ennemis de la politique congolaise : Zoé Kabila Mwanza Mbala, frère de l’ex-président Joseph Kabila et député de Manono depuis 2012, a affronté l’opposant Christian Mwando Nsimba, bras droit de Moïse Katumbi. Cette élection a été aussi suivie de près par la communauté minière mondiale. Car, dopé par la demande de batteries, Manono est désormais l’une des capitales du lithium, où s’affrontent groupes chinois et occidentaux d’une part et d’autre part la Tanzanie et la Zambie.
Le principal opposant de Zoé Kabila était Christian Mwando, un protégé de celui qui fut l’adversaire numéro 1 de Joseph Kabila, l’ex-gouverneur du Katanga Moïse Katumbi. Ancien ministre des finances du grand Katanga et cadre d’Ensemble pour le changement, le parti de Katumbi, Christian Mwando a été aisément réélu député de Lubumbashi.
Bienvenue à Kabila county
Député de Manono depuis 2012 et gouverneur élu, Zoé Kabila dispose d’un solide ancrage local ainsi que du réseau national de son frère, Joseph Kabila. Les Kabila sont bien implantés dans leur région d’origine. Le patriarche, Laurent-Désiré Kabila, tombeur de Mobutu Sese Seko en 1997, est né à Likasi, dans le Haut-Katanga. Son père opérait une petite affaire de pêche à Ankoro, au Tanganyika, sur les bords de la rivière Lualaba. Les enfants Kabila ont été largement élevés en brousse, puis à Kinshasa, mais ont toujours gardé un lien avec le Tanganyika.
Pour financer sa campagne pour le gouvernorat, Zoé Kabila a mobilisé des ressources considérables. Via le fonds d’investissement Cosha Investment, dont il détient près de 90%, il opère une dizaine de concessions minières (or, diamants, calcaire) dans tout l’est du Congo, des périmètres obtenus, pour l’essentiel, durant la présidence de son frère. En plus des mines, Zoé Kabila a su diversifier ses investissements en prenant des parts aussi bien dans la compagnie aérienne congolaise Okapi Airlines que dans la chaîne de fast-food Nando’s.
En 2007, il a même emporté, par le biais de la société Isis Congo, un marché public à 15 millions $ avec le gouvernement congolais pour la fabrication de permis de conduire.
Le titre de gouverneur de Zoé Kabila assure à la famille Kabila une hégémonie politico-économique sur la province de Tanganyika. Mais l’influence du clan Kabila va au-delà de Manono et s’étend à l’ensemble de la région.
Far-West chinois dans la capitale du lithium
Si tout le monde se bats pour le Tanganyika et plus encore pour Manono, c’est que le sous-sol de la ville renferme un trésor : le lithium. Ce métal est la pierre angulaire du développement économique chinois, depuis que le président Xi Jinping a basé le modèle industriel du pays sur les batteries et ambitionne d’être le leader mondial de la production de voitures électriques dès 2025. Pour satisfaire la demande, exponentielle compte tenu des 1,3 milliards de Chinois, tous les industriels du secteur se battent pour prendre pied à Manono. La ville congolaise est en effet le dernier eldorado du lithium puisque les autres gisements mondiaux, et notamment les Salar du Chili, de Bolivie et d’Argentine, sont largement trustés par les géants sud-américains et occidentaux.
Face à cette vague chinoise, les Kabila se sont positionnés pour devenir des interlocuteurs incontournables des mastodontes miniers chinois, tant pour négocier avec les propriétaires de permis que pour appuyer les dossiers auprès du ministère des mines ou garantir aux opérateurs la sécurité sur leurs périmètres.
Le permis géant d’AVZ courtisé
Le périmètre le plus vaste et le plus riche, celui de la compagnie australienne AVZ Minerals, attise tout particulièrement les convoitises. Depuis un an, tous les grands noms du lithium chinois font la danse du ventre pour entrer sur le projet. Beijing National Battery Technology Co, Shanghai Greatpower Industry Co et Guangzhou Tinci Materials Technology Co ont tenté de s’imposer auprès d’AVZ en signant des accords d’enlèvement du minerai produit par le groupe australien à Manono.
Ces sociétés ont été rapidement doublées par deux autres géants, Huayou Cobalt et Contemporary Amperex Technology Co (CATL), qui ont multiplié les manœuvres pour entrer au capital d’AVZ et donc disposer de droits sur ce projet appelé Manono. Huayou a investi 10 millions $ pour acquérir des actions d’AVZ en 2017 et a encore accru sa participation mi-mars, l’élevant à 9,49%. La rumeur à longtemps couru que CATL allait faire de même. Au final, c’est Lithium Plus, une discrète société australienne qui, en février 2019, a investi 3 millions $ dans AVZ. Opérateur peu connu, Lithium Plus évolue néanmoins dans l’orbe de CATL puisque l’un de ses dirigeants, l’homme d’affaires chinois Bin Guo, siège au conseil d’administration de la compagnie canadienne North American Lithium (NAL), une filiale du groupe chinois.
Ceux qui n’ont pas réussi à s’implanter sur le permis géant d’AVZ visent toutes les concessions disponibles à Manono. Ainsi le fonds hongkongais Ruiha Investment investit depuis 2017 dans la société canadienne Tantalex Resources Corp, qui détient le projet de Buckell . Lvchi Automotive Technology (Shanghai) Co, société d’ingénierie développant des technologies pour les véhicules électriques, a quant à elle formé un partenariat stratégique avec l’australien Hipo Resources, positionné sur le site de Kamola.
A ce jour, un seul opérateur chinois a réussi à disposer de droits directs sur des permis de lithium : il s’agit du « parrain » de la communauté minière chinoise au Congo, Cong Mao Huai, souvent surnommé Simon Cong. Parfaitement francophone, Simon Cong est installé au Congo depuis plus de 20 ans et est particulièrement proche de Zoé Kabila. Une de ses sociétés, MCC Resources, possède plusieurs périmètres de lithium à Manono, et une autre de ses entreprises, Dathomir Mining Resources, a acquis 10% du permis Manono opéré par AVZ.
Face à l’assaut concerté des groupes chinois, les miniers occidentaux peinent à rester dans la course. L’australien Force Commodities et l’indien Mining Mineral Resources (MMR) ont créé une joint-venture sur le projet de Kanuka. Mais la plus déterminée est une mystérieuse société enregistrée à l’île Maurice, MMCS Strategic 1, qui se démène pour ravir à l’australien AVZ son périmètre-phare de Manono. MMCS, qui serait en partie contrôlé par Victor Hanna, ancien DG Afrique du groupe kazakh Eurasian Resources Group, revendique la propriété de la concession d’AVZ. Le groupe a d’abord intenté un procès en Australie à la junior minière, avant de lancer un arbitrage contre le propriétaire originel du site, la compagnie nationale congolaise Cominière, affirmant avoir signé un accord avec elle pour des droits. Le conflit, qui se tient devant la Chambre de commerce internationale (ICC) de Paris, a débuté en février.
La route de l’est : la transtanganyika
Le principal frein au développement de la province de Tanganyika est le réseau routier qui, seul, peut permettre d’évacuer le lithium. Malgré la présence d’une petite piste d’aéroport à Manono, le lithium n’est pas transportable par avion, le volume à évacuer pour être rentable étant trop important. L’exportation doit donc se faire par camion. Or, les routes depuis et vers Manono sont en très mauvais état. La ville de Manono représente un enjeu stratégique pour l’exploration du lithium.

Le réseau routier depuis le Tanganyika
Jusqu’à présent, les marchandises depuis et vers Manono empruntent en majorité la voie sud, vers Likasi puis Lubumbashi, à environ 650 km. A l’heure actuelle, il est possible de relier Manono aux deux autres villes par camions et barges via le port de Bukama, dans le Haut-Lomami, mais le trajet est extrêmement lent. Un rail existe aussi entre Lubumbashi et Kamina, mais il est en très mauvais état, engendrant déraillements, pannes et retards. Le transport des bières produites à Lubumbashi dans la brasserie Brasimba, filiale du groupe Castel, jusqu’à Manono, ne peut être effectué que durant la saison sèche, sinon la route est impraticable.
Avec le boom du lithium, des projets de routes ont été lancés. Signe de l’enjeu essentiel que représentent les infrastructures d’accès, Zoé Kabila a inauguré en fanfare en juin 2019 la construction d’une route vers Lubumbashi, invitant de nombreux médias pour l’occasion. Mais les travaux ne sont pas allés très loin alors que le gouvernement a pourtant promis les 285 millions de dollars nécessaires.
Il faut dire que le terrain entre Manono et Lubumbashi est par endroits impropre à la construction de routes. Si, en surface, les pistes sont très sèches, le sous-sol est gorgé d’eau. De ce fait, il est peu probable que les latérites prévues résistent à la saison des pluies, mais des routes en asphalte sont trop coûteuses. Selon nos informations, début 2019, la société NDB import-export, qui avait été mandatée pour évaluer la faisabilité de l’approvisionnement en carburant, intrants et équipements de projets miniers à Manono depuis Lubumbashi, et avait débuté une analyse du tracé à partir de la capitale du Haut-Katanga, a rebroussé chemin à mi-parcours tant cette logistique lui semblait impossible.
Développer le réseau routier de la province permettrait de positionner Manono comme le portail d’une future « route de l’est » vers Tanzanie et le port de Dar es-Salaam, par opposition à la « route du sud » vers Lubumbashi, la Zambie et les ports sud-africains et mozambicains qu’empruntent à ce jour régulièrement les miniers opérant au Congo. La « route de l’est », qui a les faveurs du principal promoteur de lithium à Manono, l’australien AVZ, supposerait l’ouverture d’une voie de 360 km vers Moba, du côté congolais du lac Tanganyika, puis un bac sur le lac jusqu’à Sumbwa, en Tanzanie, pour ensuite rejoindre des routes existantes vers Dar es-Salaam. D’autres encore évoquent le transport sur 300 km depuis Manono vers Pweto, à la frontière zambienne.
Titrage, Rédaction Congovirtuel
Enquête d’Africa Intelligence menée par Paul Deutschmann||Louise Margolin