« Ce n’est pas un Gertler qu’on veut, mais 10. » a déclaré lui même Kikaya Bin Karubi sur Bloomberg news. En plus de dossiers de cartes bancaires de Kikaya, les communautés locales et chefs coutumiers de Yaoselo et Yakote situées à l’intérieur des concessions de Lokutu continuent de lui réclamer « leurs terres spoliées et indemnisation » pour ses parts dans les activités de Feronia «
Invité à se présenter au cabinet de travail de l’avocat général du parquet général près la Cour d’appel de Kinshasa/Gombe le 25 juin, l’ancien conseiller de Joseph Kabila a quitté Kinshasa dans la nuit du 23 au 24 juin. Selon les informations de Jeune Afrique , il a d’abord fui vers Muanda, dans la province du Kongo-Central, avant de se diriger, en bateau, vers un village de pêcheurs angolais nommé Nganda Kosa, entre la RDC, l’Angola et l’enclave de Cabinda.
C’est depuis cet endroit qu’il a gagné Luanda avant de décoller en direction de l’Éthiopie puis de rejoindre son lieu actuel de résidence, dans un pays d’Afrique australe.
Sur le million de dollars que Feronia JCA Ltd (Kinshasa) a emprunté en 2013 auprès d’autres entreprises Feronia, plus de la moitié a été utilisée pour des paiements à Kikaya Bin Karubi, son avocat et d’autres propriétaires et :
- un loyer de 140 000 USD pour un appartement dans l’Immeuble Royal, dans le quartier de Gombé à Kinshasa, appartenant à Kikaya Bin Karubi ;
- un paiement de 330 000 USD à des propriétaires et associés de la société qui ne sont pas nommés ;
- des honoraires de 32 000 USD au bureau de Gustave Booloko, l’ancien avocat de Kikaya Bin Karubi, qui est maintenant le ministre des Terres au sein du cabinet de Kabila.
Quarante autres pour cent sont allés à un consultant de RDC et aux salaires et avantages de 15 administrateurs et directeurs de l’entreprise dont les noms ne sont pas indiqués.46 Feronia maintient que l’argent alloué à Feronai JCA Ltd (Kinshasa) visait à couvrir les coûts des opérations des autres compagnies du groupe en RDC. Le rapport financier de la succursale de 2013 n’apparait néanmoins pas dans cette affirmation.
Des transactions similaires, mais pour des sommes bien supérieures, semblent avoir été réalisées par l’intermédiaire d’une autre filiale en RDC en 2014. Feronia JCA Limited SARL a été créée en RDC en février 2014. Selon les statuts de l’entreprise, elle était détenue à 20 % par Kikaya Bin Karubi. Cette société n’est mentionnée dans aucun des rapports financiers de Feronia Inc et ne semble pas avoir eu de responsabilité dans des activités importantes dans l’entreprise, mais le CEO de Feronia maintient que la société est le résultat de la conversion de la succursale de Kinshasa en une entité juridique légale.
Feronia et Barnabé Kikaya Bin Karubi
Barnabé Kikaya Bin Karubi était le conseiller diplomatique en chef du Président de RDC, Joseph Kabila, et un membre clé de son cabinet. Il a également été l’un des cofondateurs du PPRD, le parti de Kabila. Kikaya Bin Karubi a auparavant été l’ambassadeur de la RDC au Royaume-Uni de mai 2009 jusqu’à la fin 2014 au moins et, avant son affectation à l’étranger, il a été secrétaire privé de Kabila et ministre de l’Information. Il a aussi été l’un des administrateurs fondateurs de Feronia et il est resté au conseil d’administration de l’entreprise jusqu’en juin 2014.
Dans un câble diplomatique de 2009 publié par Wikileaks, l’ambassadeur américain au Royaume-Uni, William J. Garvelink, rend compte de sa rencontre avec Kikaya Bin Karubi, alors que ce dernier était l’ambassadeur de RDC au Royaume-Uni. Garvelink écrit : « Ses remarques sur l’inefficacité de la non-violence […] et son rejet tranquille de la transparence vis-à-vis du Parlement, fournit un regard éclairant, quoique déconcertant, sur la façon dont la nature de la politique est probablement fréquemment vue par l’élite politique à Kinshasa, bien que la plupart n’oseraient jamais nous parler aussi crûment de ces questions. »
Pour des raisons que Feronia n’a jamais expliquées, Kikaya Bin Karubi détenait une participation de 20 % dans Feronia JCA, la filiale aux îles Caïmans que Feronia a utilisée pour acheter les plantations PHC de Unilever en 2009. Une fois l’accord avec Unilever conclu, Feronia Inc a acquis les actions de Kikaya Bin Karubi dans Feronia JCA en échange de l’émission de 8 894 344 actions de Feronia Inc, évaluées par la société à plus de 2,2 millions USD. Il a également reçu des honoraires annuels d’administrateur et le paiement d’un loyer pour l’utilisation de son domicile à Kinshasa, pour un montant de 120 000 à 150 000 USD par an.[55]
Dans un communiqué de septembre 2015, la CDC et Feronia ont déclaré qu’elles « réfutent sans réserve toute suggestion d’irrégularité ou de corruption en ce qui concerne la relation ou les relations [de Feronia] avec Kikaya Bin Karubi » et que « toutes les transactions liées à M. Karroubi ont été publiées par [Feronia] conformément à ses obligations déclaratives. »
Cependant, les informations fournies à partir de documents de l’entreprise auxquels les auteurs ont pu accéder révèlent d’importantes transactions financières entre Feronia et Kikaya Bin Karubi qui n’ont pas été révélées par Feronia Inc et qui ont eu lieu après 2012, quand plus de 50 % de Feronia appartenait à la CDC et à l’AAF.
Ce qui est le plus troublant, c’est le dispositif de prêt de 28 millions USD qui semble avoir été opéré à travers Feronia JCA Limited SARL, et l’absence de toute mention de cette entreprise ou des 20 % d’actions détenues par Kikaya Bin Karubi dans les rapports de Feronia Inc. Un autre exemple d’incohérence flagrante est donné par l’enregistrement dans le rapport financier 2013 de Feronia JCA Ltd (Kinshasa) du paiement d’un loyer de 140 000 USD pour un appartement délabré à Kinshasa, appartenant à Kikaya Bin Karubi . Ce paiement n’avait pas non plus été communiqué dans les rapports d’entreprise de Feronia.
Qu’est-ce que Feronia ?
Feronia Inc est une société enregistrée au Canada qui est cotée à la Bourse de Toronto. Toutes les activités de l’entreprise, cependant, sont gérées par des filiales en RDC et au Royaume-Uni qui étaient, jusqu’à récemment, la propriété de holdings de Feronia dans les îles Caïmans. En 2015, afin de satisfaire aux exigences de BIO, l’IFD belge, les holdings de Feronia aux îles Caïmans ont été transférées en Belgique au sein d’une nouvelle entreprise appelée Feronia Maia sprl.
Feronia a d’abord été créée sous la forme d’une société aux îles Caïmans en 2008 par un groupe d’hommes d’affaires canadiens et britanniques. Son objectif était de devenir l’une des plus grandes entreprises agricoles en Afrique. Jusqu’à présent, ses activités ont été limitées à la RDC, où elle a acquis des terres pour la production du riz et d’autres cultures, ainsi que trois plantations de palmiers à huile qu’elle a achetées de la multinationale alimentaire Unilever en 2009. Les plantations sont situées le long du fleuve Congo, à Lokutu, Yaligimba et Boteka.
L’occupation des terres par Feronia est-elle « illégale » ?
Feronia avait affirmé que toutes ses plantations de palmiers à huile sont situées sur des terres pour lesquelles l’entreprise dispose de baux renouvelables de 25 ans, juridiquement valables, qui couvrent un total de 101 455 ha de terres, qu’elle avait acquis avec son achat des Plantations et huileries du Congo (PHC) de Unilever.Feronia n’avait jamais rendu public ces baux, et la plupart des communautés locales affectées et des autorités locales concernées disent qu’elles n’ont jamais vu ces documents.
La plus grande zone revendiquée par Feronia couvre 63 000 ha autour de ses plantations de Lokutu, dans la province de la Tshopo. En 2012, les autorités provinciales sont intervenues dans un conflit foncier entre Feronia et les communautés de Yaoselo et Yakote situées à l’intérieur des concessions de Lokutu et ont demandé à Feronia de fournir les documents juridiques relatifs à ses revendications foncières. Au lieu d’un bail de 25 ans approuvé par Joseph Kabila qui était nécessaire dans le cadre de la loi,Feronia n’avait fourni qu’une copie d’un certificat foncier de 1955 délivré par un agent foncier provincial. Le Conservateur régional de la propriété foncière avait déjà signifié à Feronia, dans une lettre en mai 2012, que ce certificat n’était pas conforme à la législation foncière de la RDC.Ce certificat était le seul document que les communautés vivant dans la concession de Lokutu aient jamais vu qui fonde les revendications foncières de Feronia sur cette zone. De plus, selon l’ancien Conservateur de la propriété foncière pour la province de la Tshopo, aucun autre document concernant les concessions de Feronia de Lokutu n’avait été transmis à ses services, qui doivent enregistrer tous les documents fonciers officiels.
Un héritage colonial brutal à l’origine des plantations de Feronia
Lord Leverhulme a conclu un accord en 1911 avec l’administration coloniale belge lui accordant des droits de concession sur une immense zone de 750 000 ha qui englobait toutes les grandes palmeraies du Congo.
Bien avant l’arrivée d’Unilever et de son fondateur, le magnat britannique Lord Leverhulme, les populations vivant sur les terres aujourd’hui revendiquées par Feronia exploitaient de vastes zones de palmeraies. Les communautés utilisaient ces palmeraies pour produire différents aliments, des médicaments et des textiles. Elles produisaient aussi de grandes quantités d’huile de palme, qu’elles vendaient sur les marchés locaux et même à l’étranger. Lord Leverhulme, cependant, voulait cette huile de palme pour ses usines de savon au Royaume-Uni.
Au lieu de simplement acheter de l’huile de palme aux populations locales, Lord Leverhulme a conclu un accord en 1911 avec l’administration coloniale belge lui accordant des droits de concession sur une immense zone de 750 000 ha qui englobait toutes les grandes palmeraies du Congo. Peu de temps après, le gouvernement belge a accordé à la société de Lord Leverhulme, Huileries du Congo Belge, un monopole sur la production et le commerce de l’huile de palme dans ces zones. L’armée coloniale belge a fait appliquer le monopole et les conditions de travail effroyables de l’entreprise avec une violence brutale.[Les palmeraies ont finalement été transformées en plantations et la société a été rebaptisée Plantations et Huileries du Congo (PHC) lorsqu’elle est devenue la propriété d’Unilever. En 2009, PHC a été vendu à Feronia pour 4 millions USD.[17]
Tout au long de cette histoire, les communautés locales n’ont jamais consenti aux activités de l’entreprise sur leurs territoires, et elles n’ont pas approuvé non plus la destruction de leurs palmeraies pour l’établissement de plantations.
Le 8 mars 2015, plus de 60 chefs coutumiers et d’autres dirigeants communautaires de l’ensemble du district de Yahuma, où se trouvent 90 % des plantations de Feronia Lokutu, ont publié une déclaration signée affirmant que Feronia et ses prédécesseurs avaient occupé illégalement leurs terres au cours des 104 dernières années. Ils ont affirmé qu’ils n’avaient jamais été consultés et qu’ils n’avaient jamais signé aucun protocole d’entente.Ces affirmations ont été reprises dans une lettre du 15 septembre 2016 adressée au premier ministre de RDC et signée par plus de 500 dirigeants communautaires des districts de Yahuma, Basoko et Isangi, soit une zone couvrant la quasi-totalité de la concession de Lokutu. La lettre avait détaillée un certain nombre d’abus graves commis par Feronia et accusait l’entreprise d’exploiter illégalement et d’occuper leurs terres et leurs forêts. La lettre a affirmé également que l’entreprise a effectué des relevés topographiques des terres des communautés sans leur consentement ou leur coopération.
Les communautés ont contesté aussi les revendications foncières de Feronia sur ses plantations de Boteka, où Feronia prétendait avoir 31 concessions louées du gouvernement et couvrant 13 542 ha. Dans une lettre d’août 2013 adressée au Président de la République, Joseph Kabila, les chefs des communautés locales racontent comment l’entreprise a commencé ses activités dans la zone en 1912, sous l’occupation coloniale, et comment elle a obtenu son premier bail de 25 ans en 1947. Ils y affirment que l’entreprise n’a jamais obtenu le consentement des communautés locales ou de leurs chefs. Selon les chefs, l’entreprise prétend qu’elle a conclu un accord collectif avec quelques-uns des anciens du village en 2012, mais ils ne savent pas comment cela aurait pu se passer. Ils terminent leur lettre en disant : « Avec toute notre énergie, nous déplorons et dénonçons cette occupation illégale de nos territoires, une occupation qui se fait sans titres ou droits et qui nous a énormément appauvris, et qui se terminera par notre mort collective s’il n’est pas mis un terme à cette manière de procéder. »
Par RIAO-RDC, AEFJN, Entraide et Fraternité, GRAIN, SOS Faim, UMOYA, urgewald, War on Want et WRM
Une contribution de Ishiaba Kasonga
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