RDC-Tribune: Le verrouillage de l’accès à la Présidence à l’épreuve de la Constitution congolaise (Par Karl Kalela)

Palais du peuple RDC

L’onde de choc provoquée par Dr. Noel TshianiMuadiamvita ne cesse de faire couler beaucoup d’encre et de salive. En termes simples,il propose entre autresde verrouiller l’accès à la magistrature suprême en limitant les candidatures aux seuls Congolais d’origine nés d’un père et d’une mère congolais. Il justifie que, pour des raisons de souveraineté nationale, le Président de la République doit avoir une loyauté et une connexion fortes, inconditionnelles et indiscutables envers l’État congolais. Pour prendre effet, cette proposition doit être coulée en moule juridique. Dr. Tshiani s’active pour qu’ellefasse l’objet d’une loi le plus vite possible.  Il allègue avec raison que la grande majorité de Congolais soutiendrait cette initiative et que, dans une démocratie, c’est la majorité qui gouverne. Toutefois, la majorité devrait gouverner dans le respect de la Constitution et des droits de la minorité. Il nous invite à un débat civilisé et patriotique.

Né moi-même des parents congolais, je suis intéressé et fasciné par cette proposition.J’aimerais pour ma part participer au débat sous l’angle constitutionnel. En fait,dans l’hypothèse où cette proposition deviendrait une loi, celle-ci serait-elle constitutionnelle? Quel est le meilleur outil juridiqueà être utilisé pour faire entrer cette proposition dans l’ordonnance juridique congolaise? Est-ce par une loi, une révision constitutionnelle ou une nouvelle constitutionnelle? Est-ce que le verrouillage est le seul ou le meilleur moyen pour s’assurer de la loyauté et de la connexion d’un Président envers l’État et la Nation? Voilà quelques questions auxquelles je m’efforceraiàrépondre dans les lignes qui suivent.

  1. Conditions posées par la Constitution actuelle

L’article 72 de la Constitution pose les conditions pour être candidat à l’élection présidentielle : a) posséder la nationalité congolaise d’origine, b) avoir 30 ans ou plus, c) jouir de tous ses droits civils et politiques et enfin d) ne pas se trouver dans un des cas d’exclusion prévus par la loi électorale.

L’article 10 de la Constitution définit le Congolais d’origine comme «toute personne appartenant aux groupes ethniques dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo (présentement la République Démocratique du Congo) à l’indépendance».

La loi sur la nationalité de 2004, aux articles 6,7,8 et 9, explicite la notion de la nationalité congolaise d’origine qui s’acquiert a) par l’appartenance (aux groupes ethniques et nationalités dont les personnes et le territoire constituaient ce qui est devenu le Congo à l’indépendance), b) par la filiation (de ses parents)  et c) par la présomption de la loi (enfant nouveau-né trouvé sans parents sur le territoire ou cas des enfants apatrides, etc).

Par ailleurs, la loi électorale de 2006, telle que modifié et compétée à ce jour (article 103) donne les mêmes conditions d’éligibilité présidentielle comme dans la constitution tout en ajoutant deux autres, relatives a) au diplôme et à l’expérience professionnelle et b) à la qualité d’électeur ou à l’identification et à l’enrôlement. Son article 10 énumère, sans préjudice des textes particuliers, les personnes qui sont inéligibles.

En somme, les Congolais d’origine (par appartenance, par filiation ou par présomption de la loi) ont le droit d’être candidat à la présidence de la République, même dans les cas où les deux parents ou l’un d’eux ne sont pas congolais.

  • La conformité de la proposition à la Constitution

La proposition viole-t-elle la Constitution? Est-elle conforme à la constitution? Autrement dit, restreindre l’accès à la présidence aux seuls Congolais de père et de mère est-il conforme à la Constitution? La réponse est clairement NON, car la Constitution actuelle en son article 72 reconnait aux Congolais d’origine dont les deux parents ou l’un des parents ne sont pas congolais le droit d’être éligible à la Magistrature suprême. Toute loi qui nierait ou supprimerait ce droit ne pourrait être que contraire à la Constitution. Toute loi doit respecter la Constitution

Par ailleurs, le verrouillage et sa loi éventuelle violeraient les articles 5 alinéa 5, 11, 12 et 13 de la Constitution.

En effet, la Constitution, dans son article 5 alinéa 5,  reconnait à tous les Congolais, sans préjudice des dispositions des articles 72, 102 et 106, le droit d’être électeurs et éligibles, dans les conditions déterminées par la loi.

L’article 11 de la Constitution garantit la jouissance des droits politiques aux Congolais alors que l’article 12 établit que tous les Congolais sont égauxdevant la loi et ont droit à une égale protection des lois.

Conformément à l’article 13 de la Constitution, aucune loine peut discriminer un Congolais en matière d’accès aux fonctions publiques en raison de son origine familiale. Autrement dit, aucun Congolais, même celui dont l’un ou les deux parents sont étrangers, ne peut faire l’objet d’une quelconque discrimination en raison de son origine familiale pour l’accès aux fonctions publiques, dont la présidence de la république.

L’égalité des Congolais devant la loi et la non-discrimination ne peuvent connaitre des exceptions et des limitations que quand elles sont prévues par la Constitution. Comme c’est le cas de l’accès à la Magistrature suprême réservée uniquement aux Congolais d’origine. Il n’y a donc que la Constitution, et non une loi, qui puisse restreindre ou supprimer ce droit ou faire une discrimination pour des raisons qu’elle juge raisonnable. Autrement dit, cette discrimination ou cette négation ne peut être permise que par la Constitution et non pas par une loi. Comme la Constitution n’a pas prévue cette possibilité de discriminer les Congolais nés d’un parent étranger, une loi ne peut s’y substituerpour ce cas précis. Il faudrait alors examiner l’hypothèse d’une révision constitutionnelle. Est-elle possible dans le cas sous examen?

  • La révision constitutionnelle verrouillée

Il serait tentant de penser à une révision de la Constitution actuelle pour verrouiller la présidence afin de la réserver aux seuls Congolais d’origine de père et de mère congolais. Cerêve est brutalement brisé par l’article 220 alinéa 2 de la Constitution qui interdit formellement «toute révision constitutionnelle ayant pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne».

Les droits et libertés de la personne sont prévus au Titre II de la Constitution; ils comprennent entre autres le droit d’être éligible (articles 5 et 11), le droit à l’égalité (article 12) et le droit à l’égalité sans discrimination (article 13).

Est-ce que la proposition de verrouiller la présidence aurait pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés de la personne? La réponse me semble affirmative. Cette proposition de verrouillage va effectivement réduire et pire nier ou ôter les droits des Congolais d’origine nés d’une mère ou d’un père étranger, particulièrement le droit d’être éligible à la magistrature suprême, le droit à l’égalité et le droit à l’égalité sans discrimination basée sur l’origine familiale. Il est donc clairement démontré que la Constitution a verrouillé la révision de la constitution concernant ce verrouillage de la présidence.

Il est aussi tentant de se demander s’il est possible de déverrouiller l’article 220 alinéa 2, c’est-à-dire de le réviser ou de le supprimer de la Constitution. Techniquement, c’est possible, mais c’est très discutable et cela dépend de l’interprétation de chacun. Si tant est que cet article ne soit pas verrouillé, qui est ce politicien qui prendra le risque politique de s’attaquer à un article constitutionnel qui parait démocratique ou qui parait protéger les droits et libertés des personnes?

Comme la loi pour introduire ce verrouillage dans l’ordonnance juridique congolaise serait inconstitutionnelle et comme la Constitution ne peut être révisée sur ce point, la seule issue possible serait de l’enchâsser dans une nouvelle Constitution. Est-ce que les Congolais et les institutions sont prêts pour la Quatrième République? Quel est le parti ou le groupe d’individus qui en prendrait l’initiative? Chacun trouverades réponses à ces questions.

  • La question de loyauté

La question de fond du verrouillage de la présidence est une question de loyauté ou mieux de double loyauté ou de loyauté partagée de la part du Magistrat suprême envers l’État et la Nation. Pour des raisons de souveraineté nationale, il est entendu du chef de l’État une loyauté sans faille. Le verrouillage est-elle le seul ou le meilleur moyen pour s’assurer de la loyauté du Chef de l’État?Autrement dit, la négation de droit de vote aux Congolais d’origine de père ou de mère étranger est-elle l’unique et la meilleure solution? Qui dit qu’un Congolais de parents, de grands-parents congolais serait plus loyal qu’un Congolais de père ou de mère étranger? Qu’est-ce qui est plus dangereux, un président qui a une femme étrangère ou un président qui a un père ou une mère étranger? Si l’on veut pousser la logique jusqu’au bout, on devrait aussi proposer le verrouillage du conjoint étranger. Comme on peut le constater, ça ne finirait plus, on irait de verrouillage en verrouillage.

De même que la démocratie n’est pas encore bien consolidée en RDC, de même que l’État est encore anémique. On peut même se demander si les élections servent vraiment à élire un Président de la République, tant il est vrai que les résultats électoraux sont toujours contestés et que le perdant concède très rarement, sinon jamais, la victoire à l’autre. Étant donné les enjeux divers et divergents que représente la RDC, il y a toujours des ingérences extérieures, particulièrement des Occidentaux, qui sont en fait de vrais «Grands Électeurs». Samir Amin disait que ces Occidentaux ne sont ni pour ni contre la démocratie en Afrique, mais ils agissent dans le sens de leurs intérêts. Si un Président de la République, peu importe l’origine de ses parents,  va dans les sens de leurs intérêts, ils le soutiendront, même au prix d’un coup d’État ou des moyens frauduleux. Inversement, un Président de père, mère et grands-parents congolais qui est contre leurs intérêts, ils le combattront jusqu’à son élimination politique voire physique. Interrogeons l’histoire, elle nous répondra.

Le débat actuel du verrouillage de la présidence est certes intéressant voire passionné. Cependant, nous devrions placer ou élargircette question du verrouillage dans une perspective beaucoup plus grande voire globale de la loyauté envers la Nation et l’État.

Comment s’assurer de la loyauté des animateurs étatiques et plus particulièrement du candidat à la présidence de la République?

La loyauté des animateurs publics est un élément essentiel pour l’État et la Nation. Elle doit être vérifiée depuis le recrutement ou le dépôt des candidatures. Dans les pays où l’État a les moyens de ses politiques, les «verrouillages» divers existent et utilisent des sources et moyens ouverts ainsi que des sources et moyens non ouverts. L’exemple du Canada est intéressant et probant. En fait, même pour être un commisdans la Fonction publique de ce pays, par exemple, on doit, dans le processus du recrutement, s’assurer de la loyauté du candidatau moyen d’un filtrage de sécurité (dont le degré et le niveau dépend du poste à occuper) assuré par son Service du renseignement.

C’est ce qui devrait être fait en RDC surtout pour les postes de hautes responsabilités et pour les candidats à la présidence de la République. Ce filtrage de loyauté et de sécurité consisterait en une enquête approfondieet rigoureuse non seulement sur le candidat Président, mais aussi sur sa femme, ses enfants, ses parents et sa belle-famille, portant sur plusieurs éléments à vérifier comme leurs nationalités, leurs liens, leurs activités, etc.

Ces enquêtes parleront mieux sur la loyauté et le risque de sécurité par rapport aux candidats et sont un outil intéressant, fructueux et global par rapport au seul verrouillage à l’accès à la présidence lié aux parents non congolais. Avec ce filtrage de loyauté et de sécurité, on verrouillera les «bonnes» – pour ne pas dire les mauvaises- personnes qui peuvent constituer des soucis quant à la sécurité et à la loyauté. Ça pourrait bien être des Congolais de parents et de grands-parents congolais ou bien des Congolais nés d’un parent étranger. D’un côté, on peut bien être de père et de mère congolais depuis quatre générations et n’avoir aucune loyauté envers le pays; de l’autre côté, il est possible que des Congolais avec un parent étranger passe avec succès le test de loyauté et de sécurité. Le manque de loyauté ne devrait pas se présumer, il devrait être prouvé par de motifs raisonnables. Ondevrait prouver, par exemple, qu’il y a des motifs raisonnables de croire que la personne née d’un parent étranger n’est pas loyale, digne de confiance ou à des liens de nature suspecte avec le pays de l’un de ses parents ou autres.

Concrètement, ce serait la CENI, bien que conseillée et assistée par l’ANR et d’autres services de renseignement, qui prendra la décision finale d’écarter un candidat à la présidence pour raison de loyauté et de sécurité. La loi électorale devrait être modifiée.

Conclusion

Selon la législation actuelle, les Congolais d’origine, que ce soit par appartenance, filiation ou présomption légale et sans égard à la nationalité de leurs parents, ont le droit constitutionnel de se porter candidat à l’élection présidentielle. La proposition de verrouiller l’accès à la présidence n’est pas conforme à la Constitution. Cette proposition et son éventuelle loi violeraient les 5 alinéa 5, 11, 12, 13 et 72 de la Constitution. Aucune loi ne doit jamais violer la Constitution. La révision constitutionnelle non plus n’est pas possible,car elle aurait pour objet ou pour effet de réduire les droits et libertés des Congolais d’origine nés d’un ou de deux parents non Congolais : ce qui est formellement interdit par la Constitution (article 220, alinéa 2). Cela étant dit, le verrouillage à l’accès présidentiel n’est pas le seul ni le meilleur moyen pour s’assurer de la loyauté d’un futur Président de la République. Le filtrage de sécurité et de loyauté nous parait un outil plus acceptable, plus fructueux, plus intéressant et plus effectif. Quel que soit le moyen retenu par les Congolais, le plus grand défi à relever est la faiblesse de l’État et de la démocratie.

Tribune Karl Kalela/ kkalela@yahoo.ca

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One Thought to “RDC-Tribune: Le verrouillage de l’accès à la Présidence à l’épreuve de la Constitution congolaise (Par Karl Kalela)”

  1. François Kwete

    j’ai aimé trop l’article et c’est intéressant 👍👍👍

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