Plus de 5 000 délégués se réunissent du 20 au 25 juin à Kigali, capitale soucieuse de tenir sa réputation de ville propre et sûre, quitte à rendre les pauvres invisibles.
Des drapeaux aux couleurs de l’Australie, de l’Inde ou encore de l’Afrique du Sud ornent les grandes artères de Kigali. Treize ans après avoir intégré le Commonwealth, le Rwanda accueille, du lundi 20 au samedi 25 juin, la réunion des chefs de gouvernement de l’organisation, qui se tient tous les deux ans dans l’un des 54 pays membres. Avec plus de 5 000 participants et une trentaine de chefs d’Etat ou de gouvernement attendus, dont le premier ministre britannique, Boris Johnson, le prince Charles ou encore le premier ministre canadien, Justin Trudeau, c’est le plus grand événement jamais organisé dans la capitale rwandaise.
Il intervient cependant à un moment délicat pour le gouvernement de Paul Kagame sur le plan diplomatique. Kigali est en effet accusé de soutenir la rébellion du Mouvement du 23-Mars (M23), qui a récemment repris les armes dans l’est de la République démocratique du Congo (RDC), réveillant de vives tensions entre les deux pays voisins. En amont du sommet, Kinshasa a appelé le premier ministre britannique à faire pression sur Paul Kagame pour le convaincre de cesser son « agression ». Le Rwanda, qui nie toute responsabilité, a accusé de son côté la RDC d’avoir tiré des roquettes sur son sol à plusieurs reprises ces dernières semaines. « Les Rwandais comme les visiteurs peuvent être assurés de leur sécurité. Il n’y a aucun problème de ce côté-là », a tenu à assurer Yolande Makolo, la porte-parole du gouvernement, lors d’une conférence de presse le 17 juin.
Le Rwanda est également sous le feu des critiques après la signature, en avril, d’un partenariat très controversé avec le Royaume-Uni, prévoyant la déportation vers Kigali de milliers de migrants ayant traversé illégalement la Manche.
Murs noircis et toits de tôle
Qu’à cela ne tienne. Depuis des semaines, Kigali fait tout pour tenir sa réputation de « ville la plus sûre et la plus propre d’Afrique ». La capitale, qui ambitionne de devenir un centre de conférences internationales et se rêve en « Singapour africain », veut se montrer sous son meilleur jour, quitte à cacher tout signe visible de pauvreté.
Les petits commerces et les habitations situées sur les rues principales ont été rénovées et repeintes. « Mes ventes de peinture et de matériel de construction ont explosé », assure Jean-Nepo Nizeyimana, propriétaire d’une petite quincaillerie. « Les autorités nous ont incités à rendre nos maisons plus belles. Ceux qui n’ont pas les moyens ont contracté des prêts », explique-t-il, fier d’avoir participé à cette opération. Il a lui-même entrepris des travaux dans sa maison qui lui ont coûté environ 1 000 euros, c’est-à-dire plus d’un mois de revenus. La mairie a quant à elle supervisé le réaménagement, la construction ou la rénovation de plus de cinquante kilomètres de routes afin de fluidifier la circulation en amont du sommet.
A proximité d’une nouvelle zone piétonne qui accueillera des événements culturels cette semaine, des panneaux faisant la promotion des activités touristiques au Rwanda ont été érigés le long des trottoirs. Derrière, on aperçoit à peine les murs noircis et les toits de tôle d’un quartier pauvre à flanc de colline. « Ici, seules les maisons situées le long de la route principale ont été rénovées. Ces panneaux ont vocation à rendre la ville plus belle. Mais je pense aussi qu’ils servent à cacher les maisons qui ne sont pas en bon état », souffle une habitante. Comme ses voisins, elle assure avoir reçu des instructions des autorités locales en vue du sommet : « On nous a demandé d’être polis, disciplinés, de ne pas faire de désordre. »
« Le plus important est que les Rwandais fassent de leur mieux afin d’être élégants en portant des habits convenables et en mettant des chaussures », a en effet déclaré John Bosco Kabera, le porte-parole de la police, sur une radio locale. Il répondait à un journaliste qui lui demandait si, pendant le sommet, les Rwandais trouvés sans leur carte d’identité ou portant des chaussures ou des habits sales seraient arrêtés.
Retombées économiques
Human Rights Watch accuse régulièrement les autorités rwandaises d’interpeller et de détenir illégalement des personnes considérées comme « indésirables » dans la capitale : les vendeurs ambulants, les enfants des rues, les sans-abri ou les travailleuses du sexe. Selon l’ONG, ces pratiques augmentent à l’approche de grandes conférences internationales à Kigali.
« Les délégués du sommet du Commonwealth ne vont pas voir la vraie vie de la population. Le Rwanda fait toujours partie des 25 pays les plus pauvres du monde », rappelle Victoire Ingabire, présidente du parti d’opposition Dalfa-Umurinzi, non reconnu par le gouvernement. Comme de nombreuses organisations de défense des droits humains, elle considère que son pays ne respecte pas les valeurs du Commonwealth. « La Constitution rwandaise prévoit en théorie la séparation des pouvoirs, mais en pratique c’est l’exécutif qui décide de tout. La justice au Rwanda est par exemple utilisée pour freiner la démocratie », assure-t-elle, précisant que neuf membres de son parti sont actuellement en prison. En 2021, au moins quatre youtubeurs ont également été arrêtés après avoir critiqué le gouvernement ou ses politiques sur les réseaux sociaux.
De leur côté, les autorités mettent en avant les importantes retombées économiques qu’elles espèrent tirer de l’événement : « Outre les milliers d’invités qui vont engendrer des revenus dans l’industrie touristique, il y aura un forum autour du business, nous allons recevoir de nombreux chefs d’entreprise et annoncer des projets qui auront un réel impact sur notre économie », a déclaré Zephanie Niyonkuru, le directeur adjoint du Bureau du développement rwandais.
Laure Broulard pour Le Monde