Pourquoi le Rwanda se propose d’accueillir des réfugiés non acceptés au Royaume-Uni? L’accord de partenariat passé entre Londres et Kigali enflamme les esprits. Critiques et soupçons ont accueilli l’initiative du gouvernement de Boris Johnson.Le partenariat signé par la secrétaire britannique à l’Intérieur, Priti Patel, et le ministre rwandais des Affaires étrangères, Vincent Biruta, le 14 avril à Kigali, fait couler beaucoup d’encre.
Est du Congo :De la théorie du » Grand remplacement » à la théorie du « Grand Glissement »?
Si les autorités de Kinshasa sont muettes – politique de bon voisinage oblige –, l’opinion congolaise, toutes tendances confondues, rappelle que le Rwanda fut lui-même un grand pays « exportateur de réfugiés » dont des dizaines de milliers de ressortissants se trouvent toujours en RDC, soit au sein de groupes armés hostiles à Kigali soit au sein de mouvements rebelles tels que le M23 qui vient de reprendre les armes dans le Nord-Kivu, soit encore dans des populations paysannes qui cultivent aux abords du parc des Virunga et se livrent au commerce du charbon de bois, contribuant ainsi à la déforestation.
Dans l’Est du Congo, les craintes d’un « grand remplacement » c’est-à-dire, à terme, d’une prééminence des populations d’origine rwandaise sur les populations locales, entre autres dans le Masisi et dans l’Ituri sont loin d’être apaisées. Les arrivées éventuelles de réfugiés venus d’ailleurs aiguisent les théories d’un « glissement », d’autant plus que la superficie totale du Rwanda (26.328 km2) ne dépasse pas la moitié de celle de la province du Nord-Kivu et que la densité de la population est déjà de 400 habitants au km2…
Les critiques
Avec l’aide de la ministre britannique de l’Intérieur Priti Patel, le Premier ministre Boris Johnson a-t-il voulu faire diversion face à la montée des critiques ou a-t-il réellement souhaité contrôler l’immigration, l’un des grands thèmes de la campagne qu’il avait menée en faveur du Brexit ? Ce qui est certain, c’est que son projet d’envoyer au Rwanda des demandeurs d’asile arrivés clandestinement sur le territoire du Royaume-Uni a suscité une levée de boucliers sans précédent. Dans son sermon de Pâques, l’archevêque de Canterbury Justin Welby a exprimé son inquiétude en soulignant que cette décision soulevait « de graves questions éthiques » Il a précisé que « sous-traiter nos responsabilités, même à un pays qui cherche à bien faire, comme le Rwanda, était à l’opposé de la nature de Dieu ».
Avant lui, plus de 160 organisations caritatives, dont le « Runnymede Trust » et « Hope not Hate » avaient signé une lettre ouverte au Premier ministre et à sa ministre de l’Intérieur dénonçant « une politique honteusement cruelle » et s’interrogeant sur le bilan du Rwanda en matière de droits civils et politiques et de liberté de la presse.
« Comportement cruel »
Le Haut-Commissariat de l’ONU aux Réfugiés a également accusé le gouvernement britannique de vouloir « transférer ses responsabilités en matière d’asile » et de se soustraire aux obligations internationales en la matière. Le HCR considère que « de tels arrangements sont contraires à la lettre et à l’esprit de la Convention internationale sur les réfugiés et que ces derniers ne doivent pas être traités comme des marchandises et transférés à l’étranger pour voir leurs dossiers être traités ». Si Amnesty International a dénoncé « un plan scandaleusement mal conçu », Human Rights Watch, qui a publié de nombreux rapports critiquant le Rwanda, a rappelé le bilan du pays en matière de droits de l’homme : exécutions extrajudiciaires, décès suspects en prison (dont l’exemple le plus connu est celui du chanteur Kizito Mihigo), détentions arbitraires, cas de torture, répression des critiques et des dissidents… HRW dénonce aussi un « comportement cruel » et « le refus d’assumer ses obligations internationales à l’heure même où la population du Royaume-Uni ouvre son cœur et ses foyers aux Ukrainiens », ce qui renforce évidemment l’accusation de « double standard ».
La décision de Boris Johnson, conforme à son programme électoral, est justifiée par le fait que le nombre de traversées illégales de la Manche a triplé en 2021, 28.500 personnes ayant tenté de déjouer la surveillance de la Royal Navy. Lors d’un discours dans un aéroport du Kent, le Premier ministre a fait l’éloge du Rwanda, assurant que le pays de Paul Kagame « pourra accueillir des dizaines de milliers de personnes dans les années à venir » et qu’il est « l’un des pays les plus sûrs au monde, mondialement reconnu pour son bilan d’accueil et d’intégration des migrants ».
D’autres tentatives similaires
Se présentant devant la presse aux côtés de Priti Patel, le ministre rwandais des Affaires étrangères, Vincent Biruta, a tenté de déjouer les critiques, assurant que les migrants seraient bien traités, logés correctement et que le Rwanda leur offrirait même des possibilités de formation et de réinsertion. Le projet britannique pourrait s’appliquer à des clandestins venus de pays en guerre ou en difficultés (Iran, Syrie, Erythrée). Il rappelle d’autres tentatives du même genre, l’Australie, le Danemark et Israël ayant déjà renvoyé des candidats à l’asile vers des pays tiers, dont la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Par Colette Braeckman/Titrage Coco Kabwika