Alors qu’une partie des conseillers du président congolais Tshisekedi continue de plaider pour une contre-offensive judiciaire contre le pétrolier sud-africain Dig Oil, qui a fait condamner Kinshasa en arbitrage, d’autres tentent de faire appliquer un accord négocié en secret et assorti de compensations financières.
Nicolas Kazadi, ambassadeur itinérant de Félix Tshisekedi et négociateur d’une possible transaction avec Dig Oil.
La parution, le 15 mars, de notre enquête sur la gestion du litige entre la RDC et le pétrolier Dig Oil par les conseillers de Félix Tshisekedi a polarisé le premier cercle présidentiel, déjà très divisé sur cette question. Un camp continue de plaider pour poursuivre le bras de fer avec Dig Oil devant les tribunaux, et ce même si le pétrolier a gagné la première manche à Paris en obtenant en novembre 2018 une décision d’arbitrage qui oblige la RDC à lui verser 617 millions de dollars. De l’autre côté, plusieurs personnalités proches de la présidence comme Nicolas Kazadi, l’ambassadeur itinérant du chef de l’Etat en lice pour être le prochain ministre des finances, ont de leur côté négocié un « acte transactionnel » avec le pétrolier et l’ont fait bruyamment savoir.
Le temps presse : négocié sous l’ancien gouvernement de Sylvestre Ilunga Ilunkamba, cet accord devra être mis en place et exécuté par le gouvernement que tente de mettre en place depuis un mois Sama Lukonde Kyenge. Pour mettre la pression sur l’exécutif et parfaire leur profil de ministre en puissance, les promoteurs de l’accord avec Dig Oil ont fait circuler un mémo détaillant leur rôle et l’ont même fait publier dans le quotidien kinois Le Soft international.
Selon ce document, c’est une équipe composée du directeur de cabinet Kolongele Eberande, associé à Nicolas Kazadi, à l’envoyé spécial du président Kinuani Kamitatu Massamba et au consultant pétrolier de la société Erin Energy au Kenya Augustin Nkuba, qui aurait mené des pourparlers avec Dig Oil l’année dernière. Ces discussions auraient permis de réduire le montant des compensations dues à Dig Oil de moitié, de 617 millions de dollars à 300 millions de dollars. En outre, le pétrolier sud-africain aurait accepté de renoncer définitivement à l’exécution de la sentence arbitrale.
Un accord mystère en suspens
Jointe par Africa Intelligence, l’avocate de Dig Oil, Dorothée Madiya, a confirmé l’existence d’un compromis signé par le vice-ministre de la justice Bernard Takahishe Ngumbi avant la démission du gouvernement de Sylvestre Ilunga Ilunkamba le 21 janvier. Madiya précise que cet acte transactionnel attend juste la formation d’un gouvernement pour entrer en application. Si Dig Oil ne peut espérer obtenir 300 millions de dollars de la RDC, le pétrolier compte bien, en revanche, négocier un actif pétrolier d’une valeur équivalente. Le groupe a même déjà arrêté son choix : il souhaite obtenir le bloc 1 actuellement opéré par Caprikat et Foxwhelp, deux sociétés contrôlées par l’homme d’affaires Dan Gertler.
Les droits des deux sociétés sur le bloc 1 prennent fin le 16 juin. Les représentants de Gertler ont demandé une nouvelle extension début février. Son obtention sera cependant difficile, car la justification de la force majeure dont ils se prévalent pour justifier leur extension semble ne pas faire l’unanimité au sein du pouvoir congolais. Dig Oil est au courant que ce bloc 1 sera bientôt disponible et pourrait compenser les 300 millions de dollars que la RDC aurait accepté de lui payer. Le bloc est situé sur le flanc ouest du lac Albert, à proximité de la partie est, côté ougandais, où un projet de plus de 1,5 milliard de barils récupérables sera prochainement développé par Total.
Le bloc 1, lot de consolation empoisonné
A l’instar de Caprikat et Foxwhelp, Dig Oil n’a pas les moyens de développer le périmètre, mais espère le céder à des pétroliers qui, eux, l’auraient. En dix ans, Dan Gertler n’est jamais parvenu à intéresser la moindre major à ses blocs. Toutes sont rebutées par les conditions dans lesquelles l’homme d’affaires israélien, très proche de l’ancien président Joseph Kabila, avait obtenu ses permis. Si le pétrolier sud-africain parvient à emporter ce bloc grâce à un compromis secret négocié avec certains conseillers de Tshisekedi, il est à craindre qu’il lui soit également difficile de le céder.
Dernière curiosité, et non des moindres, du projet de compromis négocié par Kazadi et consorts avec Dig Oil : il prévoit que la RDC lui paye 8 millions de dollars en gage « de bonne volonté ». Particulièrement inhabituelle, cette provision alimente tous les soupçons au sein du premier cercle présidentiel. De nombreux conseillers se perdent en conjectures sur les raisons d’être de cette somme.
Courage, fuyons
Si certains membres du premier cercle présidentiel s’activent pour mettre en avant leur rôle dans la résolution du litige, d’autres, au contraire, font des pieds et des mains pour ne pas apparaître. C’est le cas de l’avocat André Kalenga-ka-Ngoyi, qui nous a écrit le 18 mars afin de souligner qu' »il n’a jamais géré ce dossier au ministère de la justice », dont il est un ancien conseiller.
Problème, là encore : la décision de l’arbitrage du 8 novembre 2018 mentionne bien que maître André Kalenga-ka-Ngoyi représentait les intérêts de la RDC, « défenderesse » dans cette affaire. Alors que la procédure de Paris portait en partie sur le bloc 1 retiré à Dig Oil au profit de Caprikat et Foxwhelp, André Kalenga-Ka-Ngoyi n’a jamais produit les pièces signées par la patronne de Dig Oil, Andrea Brown, démontrant que la RDC avait déjà compensé sa société après lui avoir retiré ce permis, rendant ainsi l’arbitrage caduc. Le principe de cette compensation avait été validé dès 2010 par le premier ministre d’alors, Adolphe Muzito, dans un courrier.
Kalenga-ka-Ngoyi a été jusqu’en 2019 le directeur de cabinet adjoint du vice-premier ministre en charge de la justice (2016-2019) Alexis Thambwe, l’un des plus proches conseillers de Joseph Kabila. C’est Thambwe qui a piloté toute la stratégie de la RDC sur le dossier Dig Oil pendant le mandat de l’ancien président, une approche qui a principalement consisté à s’impliquer au minimum et qui a conduit à la sentence d’arbitrage de 2018. André Kalenga-ka-Ngoyi fut l’associé de Thambwe au sein d’un cabinet d’avocats à Bruxelles pendant les années d’exercice du pouvoir de Mobutu Sese Seko.
Africa Intelligence