Privé de sa majorité à l’Assemblée, son Premier ministre sous la menace d’une destitution, sa plateforme politique au bord de l’implosion, Joseph Kabila peut-il rebondir politiquement en RDC? Les options ne sont pas nombreuses.
L’alliance politique entre le clan de l’ancien président et celui de son successeur, Félix Tshisekedi, appartient au passé.
Ce mercredi, les députés nationaux vont examiner la motion de censure contre le Premier ministre Sylvestre Ilunga Ilunkamba. En outre, le président du bureau d’âge menace de destituer l’actuel gouvernement.
Pour le Front commun pour le Congo, (FCC), plateforme politique de Joseph Kabila, le Premier ministre ne répondra pas à une convocation émise par un bureau qu’ils estiment « non compétent ».
Cette motion de défiance, si elle est adoptée, sera le dernier acte de ce divorce entre le Cap Pour le Changement (CACH), alliance entre Félix Tshisekedi et Vital Kamerhe qui a remporté la dernière présidentielle) et le Front Commun Pour le Congo (FCC) de l’ancien président Joseph Kabila.
L’analyste politique Adolphe Voto estime Joseph Kabila n’a pas dit son dernier mot.
« L’issue du bras de fer dépend des consignes que Kabila va donner à ses députés qui cherchent à prendre leur revanche lors du vote du bureau définitif. Si Kabila a laissé faire les choses jusque-là, c’est soit qu’il joue à l’apaisement pour ne pas s’attirer la foudre des États-Unis avec qui il a des rapports difficiles, soit qu’il est en train de suivre de loin un scénario écrit d’avance où Tshisekedi ne peut aller au-delà des limites, en sachant que Kabila garde encore des alliés de taille dans la région », explique Voto.
Cette rupture a fait voler en éclat un partenariat noué aux lendemains de la présidentielle de 2018 et remis en cause les équilibres obtenus depuis lors.
Mais d’abord, revenons en arrière pour mieux comprendre ce qui se passe aujourd’hui.
Les raisons du divorce
Nous sommes en janvier 2019. La RDC venait de vivre sa première alternance démocratique. Joseph Kabila ne s’est pas présenté à l’élection, ayant décidé après 17 ans de mandat de ne pas briguer un troisième mandat consécutif controversé.
Tandis que Tshisekedi accède au poste de président, le camp de Kabila obtient la majorité au Parlement. Cela signifiait que le Premier ministre serait également issu du FCC.
L’alliance CACH-FCC est née, mais la cohabitation s’annonçait difficile. Pour les opposants au président nouvellement élu Tshisekedi, Joseph Kabila continuerait à tirer les ficelles, une allégation que le CACH a rejetée.
De plus, les deux hommes étaient des rivaux politiques de longue date, comme l’avaient été leurs pères. Etienne Tshisekedi, le père de l’actuel président, avait pratiquement consacré toute sa carrière politique, riche de plusieurs décennies, à s’opposer au Kabila, père et fils.
Le 06 décembre dernier, Tshisekedi a annoncé la fin de son coalition avec son prédécesseur, suite aux multiples désaccords. Plus récemment, la nomination des juges à la Cour Constitutionnel, l’épisode qui a cristallisé la fracture, selon Octave Nasena, professeur de droit à l’université Cardinal Malula et analyste politique.
« Le président a fait un bilan de son parcours à la tête de l’Etat et il a constaté lui-même le blocage. Il a imputé cela au fait que la coalition ne lui a pas prêté main forte et dit avoir connu beaucoup d’obstacles ou qu’on a mis des ‘peaux de bananes’ sur son chemin », explique l’universitaire.
Des bouleversements au Parlement
En décembre 2020, après des mois de tensions persistantes au sein du FCC-CACH, le camp Tshisekedi a fini par arriver à ses fins avec la destitution de la présidente Jeannine Mabunda.
Le vote a eu lieu après des jours de bagarres dans l’enceinte du Parlement qui ont nécessité l’intervention de la police.
Lors de la destitution de la présidente de l’Assemblée nationale, les députés favorables à la « déchéance » de leur présidente étaient 281 voix contre 200 qui soutenaient son maintien. Pourtant en 2018, le FCC se targuait d’avoir une majorité de 300 députés sur les 500 que comptes l’Assemblée nationale congolaise.
En attendant l’annonce officielle du bureau d’âge sur la composition de la nouvelle majorité présidentielle, 42 députés du parti de Joseph Kabila ont officiellement rejoint l’union sacrée que prône le président Felix Tshisekedi.
Des alliances en évolution
Lors de la destitution de la présidente de l’Assemblée nationale, les députés favorables à la « déchéance » de leur présidente étaient 281 voix contre 200 qui soutenaient son maintien. Pourtant en 2018, le FCC se targuait d’avoir une majorité de 300 députés sur les 500 que comptes l’Assemblée nationale congolaise.
Début décembre, un collectif composé des 26 gouverneurs que compte le pays a adressé une motion de soutien au président Tshisekedi dans un contexte de bras de fer au sein de la majorité.
« Depuis quelques mois, le président à travers des manœuvres politiques, a réussi à renverser cette majorité parlementaire. Ce qui le libère de son partenaire d’hier et lui permet de mettre en place une nouvelle majorité qui s’ouvre à d’autres potentiels alliés comme Moïse Katumbi et Jean Pierre Bemba. Donc c’est ce rapport de force qui est en train de se mettre en place », constate Christian Moleka, politologue-prospectiviste congolais.
Il faudra noter tout de même que l’opposant Martin Fayulu a, lui, refusé la main tendue de Félix Tshisekedi, son rival à la dernière élection présidentielle qu’il accuse de lui avoir volé sa victoire.
« L’ancien président a mis en place une cellule de crise pour reconquérir, lors des élections à venir, la majorité du nouveau bureau définitif de l’Assemblée nationale », note M. Moleka, l’analyste politique.
Mais, pour eux, la partie est loin d’être terminée, comme le prédit André-Alain Atundu, un des responsables de la communication de la formation de Kabila.
« Un combat politique est un combat général sur la gouvernance du pays. Ce sont les seuls options des acteurs. Vous voulez un exemple de l’histoire, vous avez l’UDPS qui se glorifie de 38 ans de combat politique n’a jamais été au pouvoir pendant ces années. Ils ont continué. Alors nous allons continuer notre combat et nous ne sommes nullement laminés par la déchéance du bureau de la présidente Jeanine », explique M. Atundu.

Qu’a dit Kabila ?
Si le président Tshisekedi a abordé les raisons de la rupture, son prédécesseur est resté silencieux sur le sujet malgré les différents actes posés par le camp de son allié.
Kabila est un homme politique à la parole rare. Durant son magistère à la tête de la RDC, il s’était illustré par cela. Toutefois, peu avant les élections de décembre 2018, il avait déclaré dans un entretien exclusif avec la BBC qu’il n’excluait rien, y compris la possibilité de se présenter à nouveau en 2023.
En tant qu’ancien chef d’État, Kabila est devenu également sénateur à vie, aux termes de la Constitution.
Mais, pour eux, la partie est loin d’être terminée, comme le prédit André-Alain Atundu, un des responsables de la communication de la formation de Kabila.
« L’avenir du FCC est un avenir de combat qu’il a toujours mené à savoir le respect de la constitution, le respect de l’engagement politique et donc la consolidation de notre démocratie. Et un combat politique est un combat général sur la gouvernance du pays. Ce sont les seuls options des acteurs. Vous voulez un exemple de l’histoire, vous avez l’UDPS qui se glorifie de 38 ans de combat politique n’a jamais été au pouvoir pendant ces années. Ils ont continué. Alors nous allons continuer notre combat et nous ne sommes nullement laminés par la déchéance du bureau de la présidente Jeanine », explique M. Atundu.
Une alliance Kabila-Fayulu?
Même si les deux hommes n’ont pas publiquement entamé des négociations pour mettre en place une coalition, l’analyse politique Christian Moleka, pense que l’ancien chef de l’Etat devrait songer à se rapprocher de Martin Fayulu.
« A court terme, il faudra d’abord rassembler ce qui reste comme acteurs autour de lui et éventuellement envisager de nouvelles alliances. Pourquoi pas un rapprochement avec Fayulu puisque les circonstances font qu’ils sont tous un peu isolés par rapport à l’actuel président Félix Tshisekedi. Ce n’est qu’à la suite de cette réorganisation qu’il pourrait éventuellement s’investir dans la course pour 2023 », explique-t-il.
Dans son discours de fin d’année, Martin Fayulu qualifie « l’union sacrée » de « transhumance et de cancer pour le Congo ».

Le régime FCC/CASH distrait l’opinion. On prend les mêmes acteurs responsable de l’échec on le recycle dans une blanchisserie appelée union sacrée », déclare-t-il.
Martin Fayulu ne croit pas au divorce entre Kabila et Tshisekedi.
« Ce à quoi nous assistons aujourd’hui est la mise en scène d’un divorce pour faire oublier le bilan négatif des dernières années. Des fusibles ont sauté et vont continuer de sauter, des pions ont été déplacées mais le système reste le même. L’union sacré n’est autre que la seconde grossesse du couple FCC/CASH », ajoute-t-il.
Que nous réserve l’avenir ?
Le président Felix Tshisekedi a nommé un informateur chargé de construire une nouvelle majorité à l’Assemblée Nationale. Si la menace du CASH de dissoudre l’Assemblée nationale et de faire tomber le gouvernement se concrétise, le FCC n’aura plus de marge de manœuvre sur la scène politique congolaise mais il reste fort sur le plan économique, selon l’analyste politique Adolphe Voto.
« La rupture entre Félix Tshisekedi et Joseph Kabila a plusieurs conséquences sur la scène politique congolaise. Si elle est perçue comme la fin du règne du FCC, il n’est pas certain que ce soit la fin de Kabila qui a le contrôle de l’économie congolaise. Ce qui détermine le sort de Kabila, c’est plus sa relation avec les États Unis qui lui mettent la pression que son rapport avec Felix Tshisekedi », analyse l’universitaire congolais.
Selon les textes, si le président vient à dissoudre l’Assemblée nationale, il devrait alors organiser des élections dans les 90 jours qui suivent cette annonce.
Un bras de fer en perspective ? le temps nous dira où vont les fortunes politiques de l’ancien et de l’actuel président.
BBC