Deux faits importants ont marqué l’actualité de ces dernières semaines en RDC. Le premier est le remaniement gouvernemental avec l’entrée au gouvernement Sama II de quelques poids lourds de la politique congolaise. Il s’agit de Jean-Pierre Bemba, Vital Kamerhe et Antipas Mbusa Nyamwisi. Le second est la restructuration du commandement de la Police nationale congolaise (PNC) avec la nomination du Commissaire divisionnaire principal Benjamin Alongaboni à la fonction de Commissaire général de la PNC.
Après les Warriors, un gouvernement d’assaut électoral et sécuritaire ?
L’analyse de la composition de ce gouvernement, qui intervient à neuf mois des élections présidentielle, législatives, provinciales et municipales, laisse transparaître un casting qui affiche des objectifs politico-électoralistes et sécuritaires clairs du président Tshisekedi.
Sur l’aspect politique, on remarque l’entrée des chefs de partis pour permettre à l’Union sacrée pour la nation, la coalition politique gouvernementale actuelle, de se transformer en une plateforme électorale derrière la candidature du Président sortant, Félix Tshisekedi. L’objectif est de permettre un maillage territorial large de la RDC. Jean-Pierre Bemba, le président du MLC, devrait apporter des suffrages à Tshisekedi à l’ouest du pays. Le retour en grâce de Vital Kamerhe, qui sera associé avec le Président du Sénat, Bahati Lukwebo, vise à séduire l’électorat du Sud-Kivu. Par ailleurs, Antipas Mbusa Nyamwisi devra composer avec Muhindo Nzagi et Julien Paluku, trois Nande dans un gouvernement, pour la reconquête du Nord-Kivu, une province où règne une insécurité galopante depuis l’arrivée au pouvoir du Président Tshisekedi. Les Nande constituent plus de la moitié de la population de la province du Nord-Kivu. Ils manifestent généralement une hostilité viscérale historique à l’expansionnisme hégémonique Tutsi et Rwandophone dans le Nord-Kivu. Une province devenue « politiquement insurrectionnelle » aux différents régimes au pouvoir depuis l’avènement des mouvements citoyens à partir de 2012 dont « La Lucha » est une figure de proue.
L’aspect sécuritaire se fait particulièrement remarquer par l’entrée au gouvernement des deux ex-chefs rebelles, autrefois alliés de l’Ouganda. Il s’agit de Jean-Pierre Bemba, l’ancien chef de la rébellion du MLC à la Défense nationale et d’Antipas Mbusa Nyamwisi, l’ancien chef de la rébellion du RCD-K/ML à la Coopération régionale. L’objectif visé est de mener une offensive militaire et diplomatique contre le Rwanda qui soutient militairement les rebelles du M23. Tshisekedi compte sur ces deux acteurs politiques pour user de leur influence auprès des autorités ougandaises en vue de contrer les actions du Rwanda au sein de l’EAC. Antipas Mbusa, dont la rébellion a été active en Ituri et au Grand nord du Nord-Kivu dans la région de Beni-Butembo, entretient d’excellentes relations avec l’establishment politique et sécuritaire de l’Ouganda. Il a également de bonnes entrées en Tanzanie. Il est devenu au fil du temps très hostile au Rwanda après s’être distancié du courant RCD attaché au Rwanda et créé le RCD/KML proche de l’Ouganda et actif lors de la réunification du pays en 2003. Le RCD-K/ML a compté environ 900 combattants dont certains ont été intégrés au sein des FARDC et occupent actuellement de bons postes de commandement.
Le volet sécuritaire reste un trait caractéristique très apparent du deal entre Tshisekedi et Bemba. Depuis sa défection de Lamuka en 2020 et son adhésion à l’Union sacrée, Jean-Pierre Bemba s’est considérablement rapproché de Tshisekedi. Il joue discrètement le rôle de conseiller militaire occulte du président Tshisekedi depuis le lancement de l’état de siège en mai 2021. Cela s’est constaté d’abord dans la mise en place qui a eu lieu en mai 2021 au sein des unités opérationnelles des FARDC au Nord-Kivu et en Ituri. Plusieurs officiers supérieurs et généraux issus de l’ex-rébellion du MLC ont été nommés aux postes de commandement à l’Est du pays. C’est le cas du lieutenant-général Constant Ndima, nommé gouverneur militaire du Nord-Kivu pour piloter les opérations militaires dans cette province où les groupes armés, dont les ADF, font la loi avant la résurgence du M23. Le général de brigade Jean-Claude Bokolomba, ancien chef des renseignements militaires de la branche armée du MLC, avait été nommé commandant adjoint du secteur opérationnel Ituri en charge de l’administration et de la logistique. Le général de brigade Antoine Gbiagolo Ngondo quant à lui était nommé commandant adjoint chargé des opérations et du renseignement de l’opération Sukola 1 au Nord-Kivu contre les ADF. Au niveau de la PNC, le général ex-MLC Benjamin Alongaboni était nommé gouverneur militaire policier adjoint en Ituri aux côtés du gouverneur militaire, le lieutenant-général Johnny Luboya Nkashama. Le général ex-MLC Louis-Segond Karawa était déjà commissaire divisionnaire adjoint de la police dans le Haut-Katanga depuis 2020.
Le deal sécuritaire Tshisekedi-Bemba se renforce davantage avec les récentes restructurations au niveau de l’armée et de la police. Le fait de réhabiliter le général Constant Ndima, gouverneur militaire du Nord-Kivu pour reprendre le commandement des opérations militaires dans cette province est un signe qui ne trompe pas de ce repositionnement des ex-MLC dans le paysage militaire et sécuritaire de la RDC et du renforcement du pacte politico-électoral et sécuritaire entre Tshisekedi et Bemba. Cela s’est confirmé par les récentes nominations du général (commissaire divisionnaire) Benjamin Alongaboni, ex-gendarme FAZ et ex-garde civile à la tête de la PNC, en remplacement du général (ou commissaire divisionnaire) Dieudonné Amuli Bahigwa, un autre ex-MLC perçu par certains sécurocrates de Tshisekedi comme étant proche de Joseph Kabila. Le général Louis-Segond Karawa dirige la police provinciale du Mai-Ndombe en proie aux graves violences communautaires entre les Teke et les Yaka sur le fond d’une instrumentalisation politicienne et électoraliste de certains leaders politiques de premier ordre dans l’échiquier institutionnel du pays.
Quelle marge de manœuvre pour Bemba dans ce nouveau schéma tactique sécuritaire ?
C’est la question que se posent plusieurs analystes sur la redistribution effective des cartes sur le terrain, d’autant que la défense nationale n’est plus un domaine réservé du Président de la République. La Constitution congolaise en fait désormais un domaine de collaboration avec le gouvernement. Par le passé, le chef de la défense était politiquement d’obédience partisane présidentielle, ce qui permettait au Chef de l’Etat d’exercer une mainmise totale sur ce domaine régalien très sensible. Les choses pourraient être différentes dans cette nouvelle coalition gouvernementale où Bemba ne devrait pas se contenter d’être une caisse de résonance des décisions prises en amont au sein de la maison militaire du Président de la République.
L’enjeu sera de voir comment Jean-Pierre Bemba pourra cohabiter et cogérer la défense avec l’omniprésent et omniscient lieutenant-général Franck Buamunda Ntumba, le puissant chef de la maison militaire du président. Le général Ntumba, devenu le militaire le plus puissant du régime de Tshisekedi, capture presque tous les pouvoirs de la défense entre ses mains, à savoir la gestion stratégique, opérationnelle, logistique et le portefeuille de l’armée. Le général Ntumba s’impose aujourd’hui, de fait, comme le véritable chef de la défense. En RDC depuis toujours, le ministre de la Défense reste sans portefeuille. Il ne dispose d’aucun droit d’initiative sur l’affectation du budget de la Défense et son contrôle effectif. Ce sont généralement d’autres personnes de l’entourage direct du chef de l’Etat qui se chargent d’actionner les lignes budgétaires de l’armée et les fonds spéciaux de la sécurité sans aucun contrôle parlementaire. Pourtant, en acceptant d’occuper un poste politique de second plan, celui de Vice-premier ministre, lui qui a l’étoffe présidentiable, Bemba a dû certainement revendiquer en contrepartie certaines prérogatives propres et une certaine marge de manœuvre dans l’exercice de ses nouvelles fonctions.
Jean-Pierre Bemba est-il la nouvelle arme fatale de la victoire électorale de Tshisekedi ?
La nomination de Jean-Pierre Bemba à la Défense suscite d’énormes attentes de la part de plusieurs Congolais dans une période où l’armée congolaise peine à contrer l’invasion rwandaise qui se sert du M23. Cependant, la tâche qui l’attend reste colossale avec une armée dont la réforme, initiée il y a 20 ans jour pour jour, après l’adoption le 1er avril 2003 à Sun City de l’Accord global et inclusif signé à Pretoria le 17 décembre 2002, s’est avérée infructueuse et politiquement sabotée.
La Défense et le social restent particulièrement aujourd’hui avec acuité deux fronts à vaincre dans l’urgence par ce gouvernement Tshisekedi III en vue de se positionner en bon ordre de bataille pour les prochaines élections. Cependant, il ne faut pas se voiler la face qu’il est généralement une réalité indéniable qu’en période préélectorale, les préoccupations du gouvernement se focalisent plus sur les stratagèmes de conservation du pouvoir par tous les moyens possibles que sur l’accomplissement des objectifs visant à répondre aux préoccupations de base des populations administrées.
Dans cette optique, Bemba aura entre autres la lourde tâche de gérer l’après-élection en cas d’éventuels débordements qui pourraient amener l’armée à intervenir dans la sphère policière du maintien et du rétablissement de l’ordre public. En effet, les expériences électorales passées ont constamment démontré les limites des interventions de la police en pareilles circonstances et le recours à l’armée pour la suppléer. C’est là que Bemba serait mis en œuvre lorsque l’armée serait forcée ou appelée à s’immiscer dans le jeu politique par la répression des contestataires du régime. À notre avis, Bemba devrait marcher sur des œufs au vu de son passé judiciaire qui l’a conduit à la CPI, il y a 15 ans. Il est un fait indéniable que le bad boy d’hier, qualifié par plusieurs observateurs de traîner derrière lui un comportement fougueux et impulsif, avait déclaré avoir mûri et s’être assagi avec le temps et les épreuves subies. Il a certainement intégré les limites ou la ligne rouge à ne plus franchir dans son nouvel activisme politique avec cette épée de Damoclès de la CPI, au goût amer, qui reste suspendue sur sa tête, malgré son acquittement du fait des vices de procédure. Le Bemba nouveau sera plus que probablement moins rebelle, moins va-t-en-guerre et moins zélé que l’Igwe d’hier. Surtout qu’il ne faudrait pas sous-estimer l’image que renvoie Bemba auprès des puissances occidentales qui l’attendent probablement au tournant et gardent un goût amer de son acquittement. Jusqu’où irait-il dans la défense du pouvoir de Tshisekedi alors que plusieurs partisans de ce dernier le redoutent et le voient, à tort ou à raison, comme un loup dans la bergerie présidentielle ?
Conclusion
Le nouveau gouvernement de Tshisekedi est éminemment et stratégiquement un gouvernement de double guerre électorale et sécuritaire. L’objectif est de permettre au président sortant de conserver le pouvoir et de juguler l’insécurité endémique à l’est du pays par une double offensive militaire et diplomatique contre le Rwanda. Ce casting de combat électoral et sécuritaire de Tshisekedi ne doit pas être sous-estimé par ses adversaires politiques et une opposition actuellement invisible et semblant naviguer à vue et en ordre dispersé.
En stratégie on dit : « Ne sous-estimez jamais votre adversaire en pensant qu’il a fait une erreur, mais vérifiez bien les conséquences de son coup et de la réponse que vous envisagez. »