RDC: Roland Kashwantale, Philémon Mamba Bwa Zebo ou Gilbert Kankonde Malamba, Qui pour remplacer « le très special » François Beya?

Le casting des aspirants maîtres-espions de Tshisekedi

Fragilisé depuis l’incarcération de son ancien conseiller spécial à la sécurité François Beya Kasonga, Félix Tshisekedi tente de réorganiser son appareil de renseignement. Une manœuvre délicate alors que les tensions avec le voisin rwandais se font de plus en plus palpables.

En ces temps de regain de tensions avec le Rwanda à ses frontières orientales, les dysfonctionnements au sein des services de renseignement congolais se révèlent de plus en plus problématiques pour le président Félix Tshisekedi. Ces défaillances trouvent leur origine dans l’incarcération de l’ex-conseiller spécial du chef de l’Etat chargé des questions de sécurité, François Beya Kasonga, qui comparaît depuis le 3 juin devant la Haute cour militaire pour des griefs jugés peu probants. Depuis son arrestation en février , le dispositif de renseignement semble paralysé et diminué sur le plan opérationnel. Or, en RDC, comme dans la plupart des pays des Grands Lacs, les chefs des « services » se chargent également des questions de diplomatie régionale.

Jean-Hervé Mbelu Biosha, le chef de l’ANR sur la sellette

Patron de l’Agence nationale de renseignement (ANR) depuis décembre 2021, Jean-Hervé Mbelu Biosha tente, non sans mal, de masquer les lacunes. Il s’est rendu mi-mai à Paris pour s’entretenir avec Bernard Emié, le directeur général de la DGSE. Le chef du service de renseignement extérieur français avait noué une relation de confiance avec Beya Kasonga et déplore, à l’instar de la majorité de ses homologues occidentaux, le sort qui lui a été réservé. Le chef de l’ANR avait aussi chargé ses équipes de lui obtenir un rendez-vous avec Franck Paris, le conseiller Afrique du président français Emmanuel Macron. En vain.

Pour les maîtres-espions de Washington et des capitales européennes, la crédibilité de Mbelu Biosha suscite des interrogations et freine la coopération. Son expérience en matière de renseignement se limite à une fonction de directeur provincial de Kinshasa au milieu des années 2000, avant d’être nommé en mars 2019 numéro 2 de l’ANR. Surtout, il a joué un rôle de premier plan dans la gestion de l’affaire Beya et dans la constitution d’un dossier d’accusation jugé particulièrement mal ficelé. Cela lui a d’ailleurs valu des reproches du chef de l’Etat, en présence de la ministre de la justice Rose Mutombo Kiese, et du patron de la Direction générale des migrations (DGM), Roland Kashwantale Chihoza.

Tshisekedi a également peu apprécié le traitement du dossier sur les trois hommes d’affaires libanais arrêtés par l’ANR en début d’année en raison de soupçons sur leur participation à un projet menaçant la sécurité nationale . Averti en amont, le président s’est étonné de voir le trio relâché fin avril après environ quatre mois de détention, sans qu’aucune charge ne soit retenue contre eux.

L’ombre de Beya

En l’absence du « spécial », le chef de l’Etat congolais doit désormais se contenter sur le plan régional de négocier à travers le médiateur désigné par l’Union africaine (UA), à savoir l’Angola, présidé par João Lourenço. C’est Jean-Claude Bukasa – un ancien assistant de Beya Kasonga, diplômé en informatique et ex-employé chez IBM -, nommé en février pour assurer l’intérim de son ex-chef, qui fait les navettes à Luanda. Ce dernier, tout comme Mbelu Biosha, se trouve sur un siège éjectable, ciblé par les critiques des partenaires régionaux et internationaux sur le manque de connaissance des dossiers.

Dans ce contexte inflammable avec le voisin rwandais, le président Tshisekedi cherche à réorganiser son dispositif de renseignement et à pérenniser la fonction de conseiller spécial chargé de la sécurité. Plusieurs prétendants sont avancés. C’est d’abord le cas de Roland Kashwantale. Longtemps numéro 2 de Beya Kasonga à la DGM lorsque celui-ci s’employait à restructurer cette institution pour en faire un service de renseignement fonctionnel, il lui a succédé en février 2019. Les deux hommes entretenaient ces derniers temps des relations houleuses.

Ce quinquagénaire discret bénéficie d’un entregent limité dans les pays voisins, bien qu’il ait fait toute sa carrière dans les services de sécurité. En avril dernier, il a été associé aux consultations de Nairobi réunissant une vingtaine de représentants de groupes armés – sur plus d’une centaine – opérant dans l’est de la RDC, discussions dont le M23 a été exclu.

Il présente aussi l’avantage d’être originaire du Sud-Kivu, une province clé dans le dispositif sécuritaire congolais et stratégique sur le plan politique. Kashwantale est issu de la même tribu mushie que la première dame Denise Nyakeru Tshisekedi, avec qui on lui prête des liens de parenté – ils seraient cousins éloignés.

Le bal des prétendants

S’il venait à être confirmé au poste de conseiller spécial chargé de la sécurité auprès de Tshisekedi, Kashwantale pourrait être remplacé à la DGM par Jean-Baptiste Ekwaki. Ce choix reste toutefois sujet à caution. Originaire de la province de l’Equateur, Ekwaki a effectué la majorité de sa carrière dans les services de renseignement (ANR puis DGM), avant d’être rappelé de Goma à Kinshasa par Beya Kasonga pour en faire son conseiller privé. Il devait démarrer cette nouvelle fonction le jour de l’arrestation de son chef, auquel il rend régulièrement visite depuis son incarcération à la prison de Makala. Une proximité et une fidélité qui risquent de le desservir, tant certains conseillers du président souhaitent solder l’héritage Beya.

Dans ce bal des ambitieux convoitant le poste stratégique de conseiller à la sécurité du président, Claude Ibalanky tente également de se positionner. Proche du chef de l’Etat, cet homme d’affaires longtemps établi en Afrique du Sud s’est improvisé spécialiste de la diplomatie régionale depuis sa nomination en avril 2020 au poste de coordonnateur du mécanisme national de suivi de l’accord d’Addis-Abeba (MNS).

Soupçonné par certains hauts fonctionnaires congolais d’accointances avec le régime rwandais, il n’est pourtant plus en odeur de sainteté à Kigali. Critiqué pour son incapacité à peser sur les décisions stratégiques du président Tshisekedi, on lui reproche aussi sa gestion du dossier autour du rapatriement en RDC des anciens combattants du groupe rebelle M23. C’est ce qui transparaît en filigrane d’une lettre adressée le 10 juin dernier au Conseil de sécurité des Nations unies. Dans celle-ci l’ambassadeur rwandais en poste à New York note que « malgré l’existence d’une feuille de route de rapatriement […], le gouvernement de la RDC n’a montré aucun enthousiasme à les recevoir ». A Kinshasa, il pâtit aussi de ses liens d’affaires avec le premier cercle de l’ex-chef d’Etat Joseph Kabila. Le frère de ce dernier, Zoé Kabila, apparaît aux côtés d’Ibalanky dans des sociétés constituées en Afrique du Sud en 2012 et 2013 . L’autre prétendant est Philémon Mamba Bwa Zebo, actuellement administrateur chef de département d’appui à l’ANR. Il est réputé proche de la première dame.

La troisième personnalité à faire figure de potentiel impétrant est Gilbert Kankonde Malamba. Ancien vice-premier ministre chargé de l’intérieur, de la sécurité et des affaires coutumières dans le gouvernement de Sylvestre Ilunga, ce dernier est un cadre historique de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, la formation de Félix Tshisekedi). Il a longtemps officié comme conseiller du père de l’actuel président, l’opposant décédé en 2017 Etienne Tshisekedi, et garde depuis des liens avec sa veuve, Marthe Kasalu Jibikila. S’il avait pu avoir un temps les faveurs de Félix Tshisekedi, Kankonde Malamba pâtit auprès d’une partie de l’establishment politico-sécuritaire de soupçons de liens jugés trop discrets et étroits avec le Rwanda.

Tshisekedi consulte

En attendant la structuration de son nouvel appareil de renseignement, Félix Tshisekedi consulte au sein de son administration, ainsi qu’auprès de ses partenaires étrangers pour combler le vide laissé par l’éviction du « spécial ». A l’œuvre dans les cercles du renseignement depuis Mobutu Sese Seko, Beya Kasonga avait noué au fil des décennies des relations précieuses avec ses homologues du continent – mais aussi avec des chefs d’Etat – et des partenaires occidentaux . Dans la relation volatile avec le Rwanda, où il échangeait régulièrement avec le chef d’état-major, le général Jean-Bosco Kazura, son absence se fait particulièrement ressentir.

Kigali porte peu de considérations au conseiller privé du président Tshisekedi, Fortunat Biselele, dit « Bifort », un temps envoyé – et parfois auto-mandaté – comme émissaire. Le pouvoir de Paul Kagame considérait Beya Kasonga comme un interlocuteur fiable capable d’endiguer les desseins belliqueux de certains généraux des Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), conseillers et membres de l’entourage du président de RDC.

Africa Intelligence

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