Le président ougandais tablait sur le fait que l’entrée de la RDC au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est relance à plein l’importation d’or congolais vers son pays. Mais les sanctions américaines portées contre la plus grosse raffinerie de Kampala pourraient contrecarrer ses plans.
Rendue officielle le 29 mars, l’admission de la RDC au sein de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC) ouvre aux six autres Etats adhérents – Burundi, Kenya, Ouganda, Rwanda, Soudan du Sud et Tanzanie – de vastes perspectives de commerce. Tous espèrent capter des bénéfices de l’arrivée de ce pays aux 90 millions d’habitants et aux ressources immenses au sein du marché commun de l’EAC, au premier rang desquels l’Ouganda de Yoweri Museveni, qui espère accroître le traitement sur son territoire de l’or congolais.
Butin aurifère entamé
Depuis quelques mois, les gains perçus par l’Etat ougandais sur le transit de ce minerai se sont en effet taris. L’Ouganda avait pourtant connu un boom dans l’or ces dernières années, ses revenus issus du secteur étant passés de 330 millions de dollars en 2015 à plus de 2 milliards en 2020. Une réalité intrinsèquement liée à la RDC, et surtout aux provinces de l’est du pays. De ces dernières proviennent 80 % de l’or passant par l’Ouganda, où le minerai est raffiné à Kampala dans les unités dédiées avant d’être expédié vers des acheteurs partout dans le monde, quand il n’est pas simplement réexporté brut en profitant des infrastructures et de moindres taxes. Malgré la présence de gisements d’or dans de nombreuses régions de l’Ouganda, notamment Karamoja au nord, Busia à l’est, Mubende et Buhweju au sud-ouest, l’exploitation du métal jaune reste minime dans le pays.
Mais, en avril 2021, le gouvernement ougandais a amendé la loi et imposé une nouvelle taxe de 5 % sur l’exportation de tout kilogramme d’or raffiné, et de 10 % sur celle d’or brut. L’objectif était d’accroître les revenus du pays issus de l’or et surtout de satisfaire une large frange de la population qui estimait ne percevoir aucun bénéfice de cette manne, alors même que le métal jaune était devenu le premier poste d’exportation de l’Ouganda en dépassant le café en 2020. Un état de fait qui a entraîné des protestations de la part des négociants d’or, qui, selon les données avancées par Adam Mugume, directeur de la recherche et de la politique au sein de la Bank of Uganda, la banque centrale du pays, paieraient désormais au minimum 200 dollars de plus par kilogramme d’or exporté.
Les commerçants basés en Ouganda ont bloqué des stocks dans le pays pour signifier leur mécontentement et éviter de payer l’imposition. La nouvelle taxe a toutefois aussi provoqué des réactions parmi les exploitants et traders de RDC. Ils ont ainsi identifié et commencé à utiliser des routes alternatives évitant l’Ouganda pour exporter leur or hors d’Afrique, ou bien renforcé le trafic illégal. Les exportations d’or depuis l’Ouganda ont donc fortement baissé depuis juillet, selon les observations du ministère des finances.
Le réchauffement des relations entre Kinshasa et Kigali, puis la signature mi-2021 d’un accord entre les présidents congolais Félix Tshisekedi et rwandais Paul Kagame en vue de traiter l’or produit par la compagnie publique de RDC Sakima (Société aurifère du Kivu et du Maniema) par une entreprise basée à Kigali, Dither , n’appuie pas nécessairement les intérêts de l’Ouganda. De la même manière, la réouverture de la Tanzanie à la suite du décès en mars 2021 du président John Magufuli ainsi que l’inauguration d’une raffinerie d’or l’an dernier dans le pays ont offert à l’or congolais de nouvelles perspectives.
Reculade pour mieux rebondir ?
Afin de changer la donne et de faire revenir les volumes d’exportation d’or depuis l’Ouganda au niveau de 2020 – 2 milliards de dollars -, le chef de l’Etat Yoweri Museveni a décidé, au début de l’année 2022, de suspendre temporairement la taxe. Cet impôt à l’export reste inscrit dans la loi, mais il est actuellement l’objet de négociations entre le ministère des finances de Matia Kasaija et les négociants afin de trouver un terrain d’entente. Le gouvernement a ensuite proposé de réduire la taxe à 100 dollars par kilogramme d’or raffiné à l’export.
Jusqu’à présent, au-delà même du fait que les traders bloquent toujours leurs stocks en Ouganda en guise de protestation envers le gouvernement, aucun signe de reprise véritable du commerce aurifère via le pays n’a été observé. Le moratoire sur la taxe à l’export et l’entrée de la RDC dans le marché commun est-africain laissaient toutefois entrevoir un espoir à Yoweri Museveni.
Le couperet des sanctions américaines
Cet espoir apparaît néanmoins déjà douché du fait des sanctions imposées par l’Office of Foreign Assets Control (OFAC) du département du Trésor américain le 17 mars contre le Belge Alain Goetz et sa raffinerie de Kampala, African Gold Refinery (AGR), pour leur participation au trafic d’or clandestin en provenance de la RDC . Cette dernière est la plus importante du pays, devant la Simba Gold Refinery et la Bullion Refinery, bien que la société chinoise Wagagai Mining affirme construire une unité supplémentaire qui a vocation à avoir des capacités encore plus élevées qu’AGR . AGR contrôle une très large partie du commerce d’or en Ouganda, et les relations d’Alain Goetz avec les autorités sont bonnes.
Visant nommément une série de sociétés d’Alain Goetz ainsi que toutes celles qu’il contrôle, la décision de Washington complique toute transaction avec eux en dollars ou transitant par le territoire des Etats-Unis. Ceci devrait détourner toujours plus la route d’exportation de l’or congolais de l’Ouganda. Mais cette situation réduira sûrement aussi les exportations depuis l’Ouganda, grevant ainsi les revenus du pays, où le gouvernement a fermement condamné les sanctions américaines. A l’inverse, le Rwanda avait déjà décidé, mi-2021, de mettre un terme à ses relations avec Alain Goetz, qui a un temps contrôlé la raffinerie d’or de Kigali Aldango Refinery, filiale de sa société émiratie Aldabra.
Africa Intelligence