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Synthèse
En 2018, deux hommes d’affaires nord-coréens ont créé une entreprise de construction en République démocratique du Congo (RDC). Ils ont participé à des opérations qui iraient à l’encontre des sanctions de l’Union européenne, de l’Organisation des Nations Unies (ONU) et des États-Unis. Malgré de strictes interdictions internationales, ces personnes ont réussi à ouvrir un compte bancaire pour leur société, Congo Aconde, et ont mené des travaux dans le pays. Parmi ces projets, Congo Aconde a décroché un contrat pour ériger des statues dans une capitale de province isolée, une activité interdite de manière explicite par des sanctions onusiennes adoptées en 2016. Des fonds publics congolais auraient financé les statues, ce qui est également contraire aux sanctions onusiennes. L’activité de Congo Aconde a no- tamment attiré l’attention de plusieurs éminents hommes politiques congolais membres du parti politique de l’ancien président Joseph Kabila, et certains d’entre eux se sont même entretenus avec les hommes d’affaires nord-coréens.
Au travers de son enquête, The Sentry soulève des questions importantes concernant l’application des sanctions sur la Corée du Nord, tout en démontrant comment de nombreux niveaux du gouverne- ment congolais et plusieurs banques ont manqué à leur devoir de vigilance en ce qui concerne Congo Aconde. Ces mêmes erreurs ont permis à l’entreprise de mener des opérations interdites en RDC et ont exposé le système financier international à des risques importants. En termes spécifiques, Congo Aconde a obtenu un compte libellé en dollars américains auprès de la filiale congolaise d’Afriland First Bank, une institution siégeant elle-même au Cameroun. Le compte a permis à l’entreprise de déplacer ses fonds au plan international par le biais de la BMCE Bank International, identifiée dans des docu- ments consultés par The Sentry comme le partenaire bancaire désigné pour traiter des transactions en dollars et en euros pour le compte de Congo Aconde en RDC. Les programmes de sanctions visant la Corée du Nord tentent principalement d’interrompre son accès au système financier international car les revenus générés à l’étranger peuvent à terme servir à financer son programme d’armes de destruction massive. L’accès aux services bancaires obtenu par Congo Aconde pourrait donc constituer une me- nace à la paix et à la sécurité internationales plutôt qu’une simple inattention.
Le dossier Congo Aconde est un appel lancé aux banques, aux gouvernements et aux institutions multilatérales pour empêcher les violations de sanctions en RDC. La faiblesse des systèmes internes de contrôle et des mécanismes de surveillance en RDC y attirent des personnes tentant d’échapper aux sanctions. Le secteur bancaire congolais et l’économie nationale sont ainsi exposés à des risques importants.
Recommandations principales
Suite à son enquête, The Sentry émet les recommandations suivantes, dont le texte intégral figure à la fin du rapport.
Les États-Unis :
• Modifier l’avertissement sur les risques. Le Financial Crimes Enforcement Network (Ré-
seau pour faire respecter les règlements sur les crimes financiers, ou FinCEN) du Départe-
ment du Trésor américain devrait modifier son avertissement concernant tout financement illicite potentiel provenant de la Corée du Nord, y compris les risques de faire des affaires avec certaines parties du secteur bancaire congolais.
La communauté internationale :
• Intervenir afin d’appliquer des mesures pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et de combler les lacunes à cet égard. Le Trésor américain, le Fonds Monétaire International, la Banque mondiale et d’autres partenaires internationaux devraient inciter la banque centrale congolaise à remédier aux lacunes des lois concernant le blanchiment d’argent et aider les banques en RDC à mettre en œuvre des normes pour lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Le FMI et le Bureau d’as- sistance technique (Office of Technical Assistance) du Trésor américain et le FMI devraient collaborer avec le ministère de la Finance congolais pour remédier aux lacunes dans les lois et la mise en œuvre des politiques. Les partenaires internationaux devraient faire pression sur leurs interlocuteurs au sein du gouvernement congolais pour qu’ils financent la cellule des renseignements financiers et pour qu’ils envisagent de lui apporter le soutien technique nécessaire.
Les banques internationales et autres institutions financières pertinentes :
• Appliquer un devoir de vigilance renforcée. Les banques internationales devraient appli- quer leur devoir de vigilance renforcée par rapport aux transactions de certaines banques actives en RDC. Afriland First Bank, BMCE Bank International et toute autre banque corre- spondante qui aurait pu traiter des transactions pour Congo Aconde devraient se conformer aux sanctions onusiennes et américaines, et geler les comptes contrôlés par Congo Aconde et ses propriétaires nord-coréens.
Le gouvernement congolais :
• Habiliter la cellule congolaise de renseignements financiers. Le gouvernement congolais doit habiliter sa Cellule nationale des renseignements financiers (CENAREF) afin de mener des enquêtes indépendantes et rigoureuses portant sur des opérations financières douteus- es. Le gouvernement congolais devrait également adhérer au Groupe Egmont, un forum international des cellules de renseignements financiers qui vise à promouvoir le partage d’in- formations.
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Des monuments qui cachent un financement illégal
Pak Hwa Song et Hwang Kil Su, de nationalité nord-coréenne, se sont rendus en République démo- cratique du Congo (RDC), ont créé une entreprise, ont ouvert un compte bancaire et se sont entrete- nus avec des hommes politiques de haut niveau alors qu’ils s’engageaient dans des projets de travaux publics. Ces opérations iraient à l’encontre des sanctions européennes, onusiennes et américaines visant la Corée du Nord, et soulèvent des questions importantes par rapport à l’application des sanctions en RDC.

Les fondateurs de Congo Aconde ont fourni des copies de leurs passeports nord-coréens lors des procédures pour constituer l’entreprise. Source : The Sentry
En janvier 2018, MM. Pak et Hwang ont obtenu des visas non-commerciaux de visiteurs à entrée simple émis par l’ambassade congolaise au Cameroun.1, 2 Le mois suivant, ils ont amorcé les étapes néces- saires pour créer une société en RDC,3 incluant l‘ouverture d‘un compte bancaire local et l‘emploi d‘un avocat pour préparer l’acte constitutif et d’autres formulaires nécessaires.4
MM. Pak et Hwang ont ouvert un compte bancaire pour Congo Aconde dont la devise était en dol- lars américains auprès de la succursale à Lubumbashi d’Afriland First Bank, institution siégeant au Cameroun. Des documents soulignent un lien entre ce compte, ouvert dans une ville au cœur de l’industrie minière congolaise, et le système financier international. Les institutions financières en RDC reposent sur des relations dites de correspondance avec des banques internationales de plus grande portée afin de traiter des transactions dans des devises étrangères. Les transactions en dollars sont particulièrement importantes pour le commerce dans le pays. Des documents consultés par The Sentry identifient la succursale parisienne de la BMCE Bank International, qui elle siège à Londres, comme correspondante pour traiter les transactions en dollars et en euros pour le compte de Congo Aconde auprès d’Afriland First Bank.5, 6
Trois mois après la création de Congo Aconde, le Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie (PPRD) mené par le président de l’époque, Joseph Kabila, a publié sur les réseaux sociaux qu’Emma- nuel Ramazani Shadary, le candidat que Kabila a choisi par la suite pour lui succéder aux élections présidentielles de 2018, s’est rendu en province de Haut-Lomami.7, 8 La publication a noté que lors de sa tournée à Kamina, capitale de la province, M. Shadary cherchait à faire le bilan sur les travaux publics en cours qui « sont les promesses du chef de l’État à la population de cette partie du pays ». M. Shadary devait ensuite donner un compte-rendu à la direction du PPRD sur l’évolution des travaux. Il s’est entretenu avec le gouverneur de Haut-Lomami à l’époque, Jackson Kalenga Mwenzemi, à un rond-point devant une statue en construction représentant un chef du groupe ethnique auquel Joseph Kabila appartiendrait.9 M. Kabila aurait ordonné à M. Shadary de visiter le site du projet, selon les mé- dias officiels congolais.10
M. Kalenga, associé au bloc électoral Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila, a mention- né la même statue lors d’une cérémonie un mois plus tard lorsqu’il a posé la première pierre pour un fu- tur monument honorant le père de ce dernier, l’ancien président Laurent-Désiré Kabila.11, 12, 13 L’Agence congolaise de presse a fait mention dans un article sur la cérémonie d’une société nommée « Congo Akonde », identifiée comme étant sud-coréenne, et indiqué qu’elle construisait la statue que M. Shadary avait visitée et celle représentant le père de Joseph Kabila.14, 15
Dans une vidéo de la cérémonie consultée par The Sentry, une personne qui ressemble à M. Pak, l’ac- tionnaire majoritaire de Congo Aconde, marche aux côtés de M. Kalenga, qui souligne ensuite combien le projet est important pour Kabila fils et remercie « la société Aconde ».16 Trois articles publiés dans la presse officielle et des déclarations par des représentants du gouvernement ont indiqué que les statues, qui ont été dévoilées en janvier 2019, avaient été financées à part entière par le gouvernement de la province.17, 18, 19

L’une des statues que Congo Aconde a construites à Kamina, la capitale de la province de Haut-Lomami, représente l’ancien président Laurent-Désiré Kabila (photo de gauche), et l’autre représente un chef des Luba, un groupe ethnique (photo de droite). Source : The Sentry.
Alors qu’il préparait une campagne d’assainissement de grande envergure portant sur cinq ans à travers l’ensemble de la capitale, le gouverneur de Kinshasa Gentiny Ngobila Mbaka, un chef de file du PPRD, s’est rendu en août 2019 sur le terrain choisi pour un petit projet de réhabilitation. Le gouverneur aurait projeté de faire construire un parc public sur un terrain vague le long d’un grand boulevard.20, 21
Des articles de presse et des publications sur les médias sociaux concernant la visite de M. Ngobila ont indiqué que Congo Aconde était impliqué dans le projet.22, 23 Dans la couverture médiatique de cet événement, M. Ngobila examine des croquis du projet et semble s’entretenir avec d’autres personnes à ce sujet. Dans certains cas, on y trouve également des photographies de M. Ngobila parlant avec une personne identifiée comme le directeur technique de Congo Aconde, Hwang Kil Su, qui semblerait être la même personne identifiée sur l’un des passeports nord-coréens consultés par The Sentry.24, 25, 26
The Sentry n’a pas pu identifier des factures ou des documents concernant le budget auprès du siège du gouverneur indiquant le statut du projet, la façon dont il a été financé ou décrivant comment Congo Aconde aurait pu être désigné. Cependant, la couverture médiatique cite des projets semblables menés par Congo Aconde dans le « Grand Katanga », une région qui comprend la province de Haut-Lomami.27,
28, 29 M. Hwang aurait également indiqué que « son pays » est disposé à apporter son soutien à la cam- pagne du gouverneur Ngobila de réhabilitation de la ville. En juin 2020, The Sentry n’a toujours pas pu confirmer si des travaux d’envergure avaient commencé.30

Le gouverneur de Kinshasa, Gentiny Ngobila Mbaka, s’entretient avec une personne identifiée comme étant Hwang Kil Su auprès du site prévu pour l’aménagement d’un parc public. Source : The Sentry.
Un commerce dangereux
L’activité de Congo Aconde n’est que le dernier exemple d’opérations impliquant la RDC et la Corée du Nord soupçonnées d’aller à l’encontre de sanctions.31 En 2013, des Casques bleus ont récupéré auprès de groupes armés en RDC six types de munitions différentes fabriquées en Corée du Nord.32
Des enquêteurs de l’ONU ont signalé trois ans plus tard que la RDC avait reçu des armes légères en provenance de la Corée du Nord qui avaient été remises à terme à la Garde républicaine et à un élément de la police spéciale congolaise, et que des instructeurs nord-coréens avaient formé ces mêmes forces sur une base militaire proche de Kinshasa.33, 34
De même, les deux statues dans la province de Haut-Lomami ne représentent que le dernier exemple de conception et de construction nord-coréennes dans le pays. En 2002, Mansudae Overseas Projects, une entreprise contrôlée par la Corée du Nord impliquée dans des chantiers dans au moins 14 pays à travers le continent africain, a construit à Kinshasa une statue représentant la légende nationale Patrice Lumumba et un monument à l’ancien président Laurent-Désiré Kabila.35, 36, 37, 38, 39, 40 À la fin de l’année
2016, le Département du Trésor américain a émis des sanctions à l’encontre de Mansudae Overseas Projects et l’ONU a expressément interdit les États-membres de se procurer de façon directe ou indirecte des statues provenant de personnes ou d’entités nord-coréennes.41, 42 La résolution onusienne interdit également aux citoyens nord-coréens de fournir, vendre ou
transférer des statues. Mansudae Overseas Projects s’est avéré être une source importante de revenus pour le gouvernement nord-coréen, et aurait donc pu financer en partie le programme d’armes de destruction massive, cible principale des sanctions internationales à l’encontre du pays.43, 44, 45
The Sentry a établi que le gouvernement de la province de Haut-Lomami semble avoir agi à l’encontre des interdictions onusiennes sur l’obtention des statues nord-coréennes et sur l’emploi de fonds publics pour bâtir de tels monuments.46, 47, 48,
Le projet pour aménager un parc public à Kinshasa semble également aller à l’encontre de l’interdiction des États-membres de l’ONU de financer des activités défendues liées à la Corée du Nord. Cependant, l’emploi final des fonds du gouvernement de la province de Kinshasa pour ce projet demeure incertain. De même, en fournissant des services bancaires à Congo Aconde—et ainsi au correspondant bancaire BMCE Bank International si elle traite des transactions reliées à la société—Afriland First Bank semble enfreindre des sanctions onusiennes qui exigent un gel des avoirs des comptes liés à des activités interdites.50 Les sanctions de l’Union Européenne ciblant la Corée du Nord, qui consistent largement en une transposition juridique des mesures adoptées par l’ONU, comprennent les mêmes dispositions.51, 52
En fournissant des services clients à Congo Aconde, Afriland First Bank et BMCE Bank International semblent avoir également agi à l’encontre des sanctions américaines. En 2017, le gouvernement améri- cain a tenté d’empêcher la Corée du Nord d’accéder à des fonds pour financer son programme d’armes de destruction massive, en interdisant aux banques de fournir des services bancaires en dollars améri- cains à des entreprises contrôlées par des Nord-Coréens.53 Le décret présidentiel exige également que les institutions financières gèlent tous les avoirs sous la juridiction américaine si un citoyen nord-coréen possède ou contrôle un compte bancaire étranger lié à une transaction en question.54 Au vu du rôle dominant des États-Unis pour traiter les transactions en dollars, certaines des activités bancaires de Congo Aconde ont probablement évolué sous la juridiction américaine.55

Congo Aconde a ouvert un compte en dollars auprès de la succursale de Lubumbashi d’Afriland First
Bank. Source : The Sentry.
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Vulnérabilités dévoilées
L’activité à laquelle Congo Aconde se serait livrée illustre comment des institutions privées et publiques en RDC qui devraient empêcher un tel opportunisme ne l’ont pas fait de manière significative dans cette situation.
Un moment décisif illustrant la non-conformité des acteurs a eu lieu lorsqu’Afriland First Bank a créé un compte en dollars pour Congo Aconde auprès de sa filiale de Lubumbashi, selon des éléments con- sultés par The Sentry. En outre, ces éléments indiquent que la BMCE Bank International, le partenaire bancaire désigné pour traiter des transactions en dollars et en euros pour le compte d’Afriland First Bank, a permis à Congo Aconde d’accéder à des devises internationales essentielles.
Les règlements de la Banque centrale du Congo sur les risques de blanchiment d’argent et de finan- cement du terrorisme stipulent que les banques doivent obtenir auprès des entreprises clientes poten- tielles deux types de documentation afin d’établir une relation. En premier lieu, ces clients potentiels doivent fournir des documents officiels déclinant le nom et la forme de l’entité juridique, son adresse documentée et les personnes qui sont autorisées à la représenter.56, 57 En second lieu, ils doivent fournir des pièces d’identité pour les agents de l’entreprise.58, 59 Les règlements de la banque centrale défi- nissent la mise à disposition de ces documents de base comme une norme minimale.
Bien que la nationalité des MM. Pak et Hwang demeure ambiguë sur certains formulaires, les em- ployés d’Afriland First Bank auraient vu que les deux hommes étaient nés à Pyongyang, la capitale nord-coréenne, s’ils avaient examiné ne serait-ce que les documents élémentaires concernant Congo Aconde.60, 61 Il est fort probable que les employés d’Afriland First Bank auraient vu au moins un pas- seport nord-coréen dans sa copie originale ou sa copie certifiée conforme si la banque avait respecté les conditions concernant les documents justificatifs de bonne foi. L’envergure des sanctions interna- tionales visant la Corée du Nord est telle que ces indicateurs auraient dû au moins mener la banque à examiner minutieusement l’entreprise et ses représentants. La plupart des banques auraient refusé catégoriquement d’accepter Congo Aconde comme client, ne serait-ce que pour son association avec la Corée du Nord.62, 63

Ces extraits des actes constitutifs de Congo Aconde aurait dû donner l’alarme. Source : The Sentry.
Les transactions de Congo Aconde en RDC illustrent également les échecs des autorités et des fonc- tionnaires congolais. Le gouvernement congolais semble avoir enfreint des interdictions de séjour onu- siennes par le biais de son ambassade au Cameroun, qui a permis aux propriétaires de l’entreprise, MM. Pak et Hwang, d’entrer sur le territoire congolais, avant que ceux-ci ne participent au final à une activité interdite.64, 65 Les deux Nord-Coréens semblent avoir également enfreint les conditions de leurs visas de séjour obtenus à la mission, sur la base de documents consultés par The Sentry. En RDC, les étapes nécessaires pour former Congo Aconde auraient pu mettre à jour des détails concernant les actionnaires et la gestion de Congo Aconde auprès de trois ministères et au moins 10 services du gouvernement chargés de vigilance.66, 67
Cependant, une entreprise associée avec des citoyens d’un pays soumis à d’importants programmes de sanctions internationales, et dont la mission officielle suggère une activité interdite à des Nord-Coréens, a réussi à franchir des barrières procédurales significatives.68 Certains membres du gouvernement et certaines autorités de province auraient passé commande auprès de Congo Aconde pour des activités qui semblent enfreindre des interdictions émises par l’ONU, parmi d’autres instances.69 Tout proces- sus de sélection ou toute enquête rudimentaire de l’entreprise aurait abouti à de fortes inquiétudes, aggravées par les contacts directs entretenus par plusieurs représentants élus et des chefs de partis politiques auprès des projets de Congo Aconde et de ses propriétaires.
Les lacunes de la Cellule nationale des renseignements financiers (CENAREF) ont également expo- sé le pays à des individus tentant d’esquiver les sanctions en ne respectant pas les directives et les bonnes pratiques internationales pour minimiser ce genre de risques. La CENAREF aurait dû scruter, interrompre et signaler toute transaction financière impliquant l’entreprise à cause des conséquences sur la sécurité et les sanctions internationales. Cependant, il est difficile d’établir si la CENAREF a pris conscience de l’activité bancaire de Congo Aconde. En général, l’unité des renseignements financiers enquête difficilement sur toute activité financière potentiellement illégale pour plusieurs raisons, y com- pris des limites concernant son propre financement et un manque de capacité.70
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Conclusion
Le présent rapport souligne les lacunes dans le devoir de vigilance des institutions privées et publiques en RDC qui ont rendu possibles des activités interdites par des sanctions internationales, ce qui pourrait exposer le pays à d’autres comportements qui menacent la paix et la sécurité internationales. Les entre- preneurs nord-coréens qui ont créé Congo Aconde ont participé ouvertement à des activités interdites sans en apparence rencontrer de résistance. Les programmes de sanctions à l’encontre de la Corée du Nord tentent principalement d’empêcher les Nord-Coréens et leurs entités d’accéder au système ban- caire, ou d’y mettre fin lorsqu’il y a lieu, car ce genre d’activité pourrait financer leur programme national d’armes de destruction massive. Les banques internationales dont les banques locales dépendent pour traiter des transactions dans des devises étrangères, surtout celles en dollars, ont longtemps évoqué des inquiétudes par rapport aux pratiques concernant le devoir de vigilance dans les secteurs bancaire et financier congolais. Ces inquiétudes ne feront qu’augmenter du fait que la filiale congolaise d’Afriland First Bank a permis à Congo Aconde d’ouvrir un compte en dollars. À moins de prendre des mesures pour instaurer la confiance, telles que des réformes généralisées du secteur, les institutions publiques, les entreprises privées et les foyers pourraient ne plus avoir accès à certains services financiers essen- tiels, ce qui nuirait à la stabilité économique du pays.
Des membres haut placés du gouvernement ont passé commande auprès de l’entreprise pour effec- tuer des travaux publics, de toute évidence à l’encontre des sanctions internationales, ce qui souligne la mauvaise gestion de ressources déjà rares. Notamment, la province de Haut-Lomami, où Congo Aconde semble s’être engagé dans des activités interdites, est isolée géographiquement et économi- quement, en partie de par son infrastructure médiocre des transports. En outre, la population y souffre de malnutrition à un niveau plus élevé que la moyenne, ainsi que de plusieurs maladies transmissibles, tels que la rougeole et le choléra.71, 72, 73, 74, 75 Les deux statues de petite taille construites par Congo Aconde représentent une inattention notable de la part des élus chargés d’améliorer la qualité de vie des habitants de Haut-Lomami. Des fonds qui auraient pu consolider l’infrastructure ou la santé publique ont été alloués à des travaux publics qui pourraient dissuader des donateurs, des investisseurs et d’autres parties cherchant à apporter leur soutien à la province.
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Recommandations
Les États-Unis, l’Union européenne, les Nations Unies et les institutions financières internatio-
nales :
• Mettre en garde contre les risques de sanctions. Le Réseau de suppression des crimes finan- ciers (Financial Crimes Enforcement Network, ou FinCEN) du Département du Trésor américain devrait modifier son avertissement concernant tout financement illicite potentiel provenant de la Corée du Nord afin d’y ajouter les risques de faire des affaires avec certaines parties du secteur bancaire congolais. Les avertissements du FinCEN ont une part importante dans la lutte contre la corruption et l’exécution des sanctions. Les banques américaines et internationales seraient averties de mieux recueillir des informations sur des entités faisant l’objet de sanctions et sur des comptes suspects ayant un lien avec la RDC.
• Renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme.
Le Département du Trésor américain et le FMI devraient inciter la banque centrale congolaise à remédier aux lacunes dans les lois concernant la lutte contre le blanchiment d’argent, et assister les banques actives dans le pays à mettre en œuvre des normes contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme. Parmi ces questions, il s’agit d’empêcher les banques d’ouvrir des comptes anonymes, de faire respecter les limites sur les transactions importantes en liquide, de s’assurer que les banques accomplissent leur devoir de vigilance pour les comptes détenus par des personnes politiquement exposées (PPE) et de renforcer les règles concernant la correspondance bancaire. Le Bureau d’assistance technique (Office of Technical Assistance) du Trésor américain et le FMI peuvent collaborer avec le ministère de la Finance congolais pour combler les lacunes dans les lois et la mise en œuvre des politiques. Les partenaires interna- tionaux devraient faire pression sur leurs interlocuteurs au sein du gouvernement congolais pour qu’ils financent la cellule des renseignements financiers et pour qu’ils envisagent de lui apporter le soutien technique nécessaire.
• Améliorer les contrôles effectués par les partenaires européens. L’Union européenne devrait envisager d’ajouter la RDC à sa liste de pays tiers à risques élevés afin de permettre des contrôles renforcés. Les pays européens et le Royaume-Uni devraient envisager d’émettre des avertissements sur les risques de faire des affaires avec certaines parties du secteur bancaire congolais, tout en soulignant la possibilité que certains acteurs exploitent le secteur afin d’es- quiver des sanctions.
• Améliorer la transparence dans les contrats publics. Le Département d’État américain et le FMI devraient encourager la RDC à assurer une transparence dans ses modalités pour les con- trats publics et à rendre tous les contrats publics, y compris les contrats auprès des provinces, accessibles au public.
• Fournir de l’assistance technique pour appliquer les sanctions. Les pays capables de fournir une assistance technique devraient aider d’autres pays à appliquer les sanctions onusi- ennes. Les États-Unis et l’Union européenne devraient entretenir des programmes pour fournir cette aide, tel que le programme du Département d’État américain de contrôle des exportations et sécurité connexe des frontières (Export Control and Related Border Security Program), le
programme du Département de la Défense américain de contre-prolifération internationale (In- ternational Counterproliferation Program), le programme international du Département de l’Éner- gie américain de contrôle des exportations et de non-prolifération (International Nonproliferation Export Control Program) et le programme de la Commission Européenne de pair-à-pair (P2P).
• Envisager des sanctions ciblées sur les réseaux. Les États-Unis, le Conseil de sécurité de l’ONU et l’Union européenne devraient mener des enquêtes sur les personnes et les éventuels réseaux liés aux transactions décrites dans ce rapport, y compris des membres du gouver- nement congolais qui ont facilité les contrats pour les entreprises nord-coréennes. Ces instances et ces pays devraient également envisager des sanctions ciblées à l’égard de ces personnes et de leurs réseaux.
Les banques internationales et la communauté financière :
• Appliquer le devoir de vigilance envers les transactions. Les banques multinationales avec des opérations internationales devraient exercer un devoir de vigilance renforcé envers les trans- actions de certaines banques ayant des opérations en RDC. Les banques qui ont une activité en RDC devraient améliorer leur système de sélection, leur formation et leur sensibilisation envers ces délits, ainsi qu’envers les signes avant-coureurs de financement de la prolifération. Afriland First Bank et ses correspondants bancaires devraient se conformer aux sanctions onusiennes et américaines, ainsi que geler tous les comptes contrôlés par Congo Aconde et ses propriétaires nord-coréens. Les banques devraient coopérer avec les enquêteurs et fournir tous les docu- ments concernant les comptes et les transactions qui en découlent. Tout en mesurant leur ap- proche à l’échelle des risques, les banques devraient éviter de minimiser en masse les risques et devraient se conformer aux normes internationales contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme.
• Développer de bonnes pratiques. L’Association congolaise des banques (ACB) devrait dével- opper de bonnes pratiques pour aider les banques locales à améliorer le devoir de vigilance envers la Corée du Nord, y compris en ce qui concerne la prolifération et le financement des armes de destruction massive, ainsi que pour restaurer la confiance envers le secteur bancaire congolais.
Le gouvernement congolais
• Améliorer la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme.
Le gouvernement congolais devrait s’assurer que les institutions financières locales soient plus conformes aux normes concernant la lutte contre le blanchiment d’argent et contre le finance- ment du terrorisme, y compris en apportant son soutien au développement d’une évaluation na- tionale des risques, d’une stratégie nationale pour combler les lacunes de l’actuelle lutte contre le blanchiment d’argent et contre le financement du terrorisme, de la capacité des régulateurs et d’un contrôle renforcé du secteur bancaire. La banque centrale devrait également fournir des directives à toutes les banques ayant des opérations en RDC en appliquant les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU concernant le financement de la prolifération.
• Habiliter l’unité congolaise des renseignements financiers. Le gouvernement congolais
devrait donner à la CENAREF les moyens de mener des enquêtes indépendantes et rigoureus-
es portant sur des opérations financières douteuses pour soutenir les agences congolaises du maintien de l’ordre et les tribunaux nationaux. Le gouvernement devrait notamment pourvoir du personnel expérimenté à l’unité des renseignements financiers, fournir la formation néces- saire pour les employés actuels et financer l’unité dans son intégralité. Le gouvernement devrait également s’assurer que les employés de la CENAREF ont accès aux ressources nécessaires pour mener des enquêtes, y compris l’accès aux informations provenant des secteurs public et privé, ainsi qu’à la technologie adaptée pour accéder à ces informations, les analyser et les placer en lieu sûr. La CENAREF devrait ajouter à son mandat la lutte contre le terrorisme et contre le financement de la prolifération. Le gouvernement congolais devrait également adhérer au Groupe Egmont, un forum international des cellules de renseignements financiers qui vise à promouvoir le partage d’informations.
• Passer en revue les contrats problématiques. Les autorités au pouvoir aux niveaux national et provincial devraient annuler tous les contrats en cours avec Congo Aconde et passer en revue tous les contrats signés avec des entreprises contrôlées par des Nord-Coréens.
• Établir un registre public des entreprises conforme au Groupe d’action financière. Le gou- vernement congolais, mené par le ministère de l’Économie nationale et le ministère du Com- merce extérieur, devrait créer un registre public des entreprises établies en RDC qui peut être consulté en ligne afin d’améliorer la transparence des entreprises, la vigilance publique et la responsabilité. Ce registre devrait comprendre des informations sur les actionnaires et les pro- priétaires bénéficiaires, tout en suivant les recommandations datant de l’année 2012 du Groupe d’action financière en ce qui concerne la transparence sur ces derniers.
• Appliquer dans leur intégralité les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sur la prolifération des armes et la 7ème recommandation du Groupe d’action financière. Le gou- vernement congolais devrait promulguer une loi pour appliquer et faire respecter les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU sur la prolifération et le financement des armes. Les mesures liées à ces efforts peuvent comprendre la mise en place de l’autorité juridique nécessaire et l’identification des autorités nationales compétentes pour appliquer et faire respecter des sanc- tions financières ciblées. Le gouvernement congolais devrait coopérer avec le Groupe d’action financière et la cellule régionale de l’Afrique centrale qui suit les mêmes lignes afin d’appliquer la 7ème recommandation du Groupe d’action financière, qui exige que les pays appliquent des sanctions financières ciblées conformément aux résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU.
• Coopérer avec le Groupe d’experts et le comité du Conseil de sécurité. Le gouvernement congolais devrait remettre des rapports d’exécution conformément à ses obligations auprès du Conseil de sécurité de l’ONU. Il devrait également apporter son soutien au Groupe d’experts sur la Corée du Nord dans sa collecte d’informations. La délégation congolaise à l’ONU devrait fournir un compte-rendu détaillé des évènements décrits dans ce rapport auprès du Groupe d’ex- perts de l’ONU et du comité du Conseil de sécurité afin de faciliter une enquête et un examen ul- térieur. Le gouvernement congolais devrait également solliciter l’aide des comités du Conseil de sécurité ayant rapport à la Corée du Nord (notamment les comités 1540 et 1718) afin de mieux appliquer les résolutions du Conseil de sécurité, de développer des mécanismes d’exécution et de partager des renseignements.
The sentry.org